Maxime Abolgassemi : Étude comparée de deux extraits pour
l'épreuve orale de spécialité « Lettres Modernes », sous sa
nouvelle forme, au concours de l'ENS de Lyon.
Mis en ligne le 23
novembre 2012.
© : Maxime Abolgassemi.
Maxime Abolgassemi
est professeur de classes préparatoires
au lycée
Chateaubriand de Rennes.
Il propose ici un corrigé
élaboré pour la préparation d'une épreuve orale au concours de l'ENS de Lyon,
programme 2013.
Étude pour l'épreuve orale de spécialité « Lettres
modernes », sous sa nouvelle forme,
au concours de l'ENS de Lyon
— « Le Désir d'être un homme », Contes Cruels, Villiers de l'Isle
Adam : de « À cette
lecture […] » p. 176, à la fin de la nouvelle p. 177
(éditions Classiques Garnier, « poche »)
— « Le Portrait », Nouvelles de Pétersbourg, Gogol : de « Il s'arrêta
soudain […] » à « […] toute leur journée. » p. 138
(éditions Gallimard, « Folio classique »)
Merci à Camille Mourocq et
Valentin Pacaud (Khâgne Lyon du lycée Chateaubriand).
Les cas de dérangements psychiques (ces détraquements
nerveux à la mode dans la littérature fin de siècle) sont multiples dans
les Contes Cruels, faisant
souvent écho à des portraits de fous gogoliens, torturés par des
obsessions. Ici, ces deux textes s'attachent à un protagoniste
singulier, engagé dans un processus enragé qui menace de le bouleverser.
Quelle leçon pourrait-on tirer des transformations, subies ou
souhaitées, de ces deux personnages qui sont, avant tout, des
artistes ? Nous verrons tout d'abord sur quoi repose la singularité
de Chaudval et Tchartkov, puis ce qu'induit un processus de
transformation qui les rend criminels, avant d'examiner la question des
formes du mal qu'ils exemplifient à la perfection.
1. Deux personnages singuliers
Ces deux personnages présentent une étrangeté
apparente dans leur comportement et leurs projets fous, jusqu'à devenir
des criminels.
a) L'étrangeté de ces deux personnages
Tchartkov et Chaudval sont, pareillement, deux
artistes arrivés à la reconnaissance maximale : l'un, grâce aux
mille ducats tombés du portrait, s'est acquis la meilleure réputation de
peintre dans le milieu bourgeois de sa ville ; l'autre est un
« illustre tragédien » au sommet de son art, qui s'aperçoit
qu'il vieillit, la cinquantaine arrivée. Et pourtant, les nouvelles
racontent comment ils vont se détourner de cette réussite sociale, sous
le coup d'une découverte intime. Le peintre subit les affres d'une crise
artistique, « cette affreuse torture qui ronge parfois les talents
médiocres quand ils essaient vainement de dépasser leurs limites »
(l. 19-20). Chaudval veut savoir s'il est capable, une fois, de
ressentir de vraies émotions, qu'il a jouées à la perfection sur scène,
en particulier de voir surgir les spectres du
remords.
Cette remise en cause existentielle les fait ainsi,
très symptomatiquement, non seulement tourner le dos à cette gloire,
mais encore fuir la société. Chaudval est parti dans son phare où il vit
coupé du monde dans une « solitude lumineuse » (l. 35) et
Tchartkov vient de retourner dans son taudis de l'île Basile,
« loin des hommes ». Et « du plus loin qu'ils
l'apercevaient, ses amis eux-mêmes évitaient une rencontre »
déplaisante (l. 50-51).
b) L'acmé d'un processus
Ils sont tous deux saisis ici à l'acmé d'un
processus, qu'il est intéressant de distinguer. Tchartkov subit
l'influence extérieure du tableau, de manière doublement
involontaire : « ses yeux venaient de croiser un regard
immobile fixé sur lui » (l. 2-3). Ses yeux seuls agissent, non
sa volonté, et c'est pour s'apercevoir qu'il est l'objet d'une attention
tierce. Gogol apporte un soin tout particulier à justifier causalement
ce surgissement, derrière le rideau habituel des toiles du peintre, de
ce portrait « dont Tchartkov avait entre-temps perdu jusqu'au
souvenir » (l. 5). Cette surprenante réapparition provoque dès
lors « un transport de rage » (l. 15-16), à la façon d'un
raptus, un passage à l'acte, à
peine reporté dans un « projet » (l. 29) qui germe, et
qu'il « exécuta » (l. 30) ensuite.
Pour Chaudval, c'est un processus froid et calculé
qu'il a lancé sciemment, sur le mode d'une expérimentation tentante,
quoique venue à son esprit intempestivement : souhaiter « d'être un
homme ? Après tout, pourquoi pas ? » (p. 172). La
lecture du journal, qui ouvre notre extrait, en est alors une étape de
plus, attendue une fois l'incendie commis.
On le voit, les deux titres de nouvelles concentrent
l'idée de ces processus mis en branle, opposés dans les deux textes
point par point.
c) Paradoxaux… et criminels
Ce qui révèle deux personnages complexes et
paradoxaux : voilà un peintre qui détruit « tout ce que l'art
produisait de plus achevé » (l. 32), et un artiste qui tue, en
s'effaçant, alors qu'il a pour métier d'être dans la lumière.
Paradoxales aussi les premières lignes de l'extrait des Contes Cruels, lorsque Chaudval
« sauta de joie », « se frottant fiévreusement les
mains » (l. 1-2), signes d'une passion certes théâtralisée,
comme chaque geste du tragédien, mais révélatrices aussi d'une forte
excitation, alors même qu'il ne ressent toujours aucun remords. Cette
jubilation contradictoire, sur laquelle nous reviendrons, fait écho à ce
paradoxe théorisé par Diderot, « le paradoxe du comédien »,
montrant que la vérité émouvante de l'acteur est produite par une
froideur détachée. L'ambiguïté de ce criminel par hypothèse est
confirmée dans l'adjectif « merveilleux » (« Quel
merveilleux scélérat je suis ! », l. 3), qui a remplacé
le plus critique et lucide « effrayant » des versions en revue
de juillet 1882. Quant à Tchartkov, la subtilité dialectique réside dans
le fait qu'il détruit l'art parce
qu'il le chérit plus que tout, d'où « son bouleversement
« de fond en comble » (l. 18-19), et la cruauté de cette
« affreuse torture » (l. 19) liée à l'impuissance
artistique.
Ces processus criminels vont faire de nos deux
protagonistes de véritables monstres, dans une problématisation,
intrigante, de leur transformation.
2. La problématique de la transformation en
assassins
De manière révélatrice, les moyens narratifs du point
de vue ne sont pas les mêmes chez Gogol et Villiers de l'Isle-Adam, pour
une monstruosité elle aussi différente, quoiqu'elle aboutisse à deux
criminels.
a) Le point de vue narratif
Il oppose donc les deux personnages, et les deux
récits. Les deux paragraphes du « Portrait » fournissent deux
approches complémentaires et successives de Tchartkov. Le premier est
focalisé intérieurement, et il le faut pour que le lecteur ait accès au
« tourment » qui bouleverse l'esprit du peintre. Après, le
second paragraphe nous livre le spectacle monstrueux d'une vraie
métamorphose, c'est-à-dire un changement affectant son apparence, son
extériorité, pour laquelle il n'est nul besoin de chercher des
sentiments humains, d'ordre psychique. À ce sujet, on notera que le
visage est le lieu d'une tempête chez l'un, Tchartkov, « le fiel
lui montait au visage » (l. 27), « cette monstrueuse
passion se reflétait en traits atroces sur son visage toujours empreint
du fiel et de malédiction » (l. 46-47) ; tandis que pour
l'autre, Chaudval, « sa tête débonnaire
n'avait point changé ! » (l. 25). La fureur, passion
agissante dans les deux textes, a donc un statut inversée : elle se
lit sur les traits du peintre déformés ; et c'est l'absence de
changement qui rend le comédien « furieux » (l. 25)
– ce que nous ne pouvions apprendre que par une focalisation
interne. La monstruosité de l'un se peint sur ses traits, quand celle de
l'autre réside dans leur persistance inaltérée.
b) La monstruosité
Un témoin pourrait donc constater la transformation
monstrueuse de Tchartkov, violemment animalisé : « il grinçait
des dents » (l. 28), « dévorait d'un Ïil de
basilic » (l. 28), « comme un tigre » (l. 35),
en « féroce vengeur » (l. 40) (ce dernier adjectif
signifiant étymologiquement « bête sauvage »). Plus
précisément, il faut adjoindre à ce monstre quasiment mythique par sa
rage destructrice, une dimension diabolique, comme souvent chez Gogol,
plus chrétienne. « Le ciel en courroux » (l. 43) semble
intervenir pour le châtier, et Tchartkov ressemble à
« l'épouvantable démon imaginé par Pouchkine » (l. 48)
qui crache « d'éternels anathèmes » (l. 50).
C'est l'impossibilité à ressentir des remords qui
dévoile ainsi la monstruosité criminelle de Chaudval, toujours sur le
mode de la transformation souhaitée, celle du titre, celle qui
conduirait à « être un homme ». Sa théâtralité de tragédien
poseur le fait avouer à haute voix, dans des monologues inquiétants de
désinvolture sadique, l'indifférence amusée qui le caractérise. « -
Ah ! le moyen a été dur, j'en conviens ! » (l. 6).
Ce qui est très euphémisé :
« dur » pour qui ? Justement pas pour lui, qui n'aura eu
qu'à prévenir une interpellation, en malfaiteur prudent. Relisant le
journal, il se prend même à rêver, et il murmure :
« Tiens ! j'aurais dû prêter le concours de mon talent au
bénéfice de mes victimes ! » (l. 11-12), c'est-à-dire des
« incendiés » (l. 10), terme euphémistique par métalepse
(qui fait porter l'accent sur le résultat de l'action, comme pour faire
oublier son origine assassine). Le murmure dévoile l'abandon à un délice
fantasmatique qui inverse la logique première de la représentation
destinée à venir en aide aux pauvres victimes. « J'eusse été bien
nature… » (l. 14), c'est-à-dire de ce naturel dont peut
convaincre l'art, et qui n'est qu'illusion. L'évocation de la figure
d'« Oreste » (l. 13), criminel par déchirement tragique
entre ses devoirs filiaux et l'appel à la vengeance de sa sÏur, est un
contre-modèle cruel : il est, en quelque sorte, l'exact contraire
de Chaudval, imperméable au moindre remords, et poussé au meurtre par sa
seule vanité curieuse.
c) Deux criminels
Cette métamorphose criminelle, spectaculaire et
visible, ou enfouie et manifeste sous l'art du spectacle sans empathie
possible, touche finalement à la question du mal. Ce « projet le
plus satanique » (l. 29) et le thème du châtiment divin se
retrouvent, négativement, et peut-être ironiquement, dans la mort de
Chaudval, « le Dieu qu'il invoquait ne lui accorda point cette
faveur » (l. 40-41).
La fureur de Tchartkov est un déchaînement de
violence meurtrière envers l'art et sous des modalités sadiques :
il « se jetait dessus comme un tigre pour le lacérer et le mettre
en pièces, le piétiner » (l. 34-35) ; il « éventra
tous les sacs d'or » (l. 38), au verbe inquiétant qui voit un
ventre dans ses réserves d'or constituées par son talent médiocre.
Après son fantasme de gala, une autre rêverie fait
esquisser à Chaudval un projet de détournement assassin de ce phare dont
il a hérité. « Il sautait sur les signaux, qu'il faussait, dans la
radieuse espérance de faire sombrer au loin quelque bâtiment »
(l. 26-28). L'adjectif antéposé « radieuse » suscite la
surprise, tant les rayons suggérés ressortissent au champ lexical de la
joie (d'ailleurs la première version écrivait seulement « dans
l'espoir »). Or c'est aussi celui de la gloire, du brillant,
connotant donc le monde de la scène et du spectacle narcissique. Ce
crime consistant à détourner l'objet technique, les signaux du phare, de
sa finalité prévue, entièrement consacrée au salut des marins, se nomme
justement perversion (le phare
devenant une « arme par destination » selon le code pénal
– précisément l'article 132-75).
La question du mal émerge ainsi à la confrontation de
ces deux extraits, qu'il faut aborder maintenant.
3. Deux formes de mal à interroger
Les différences entre ce qui affecte Chaudval et
Tchartkov dans leur processus meurtrier conduisent à chercher à subsumer
les deux figures troublantes sous une typologie complémentaire. Marqués
par la jouissance maléfique, ces deux cas se comprennent parfaitement à
travers les rubriques psychiatriques du pervers et du névrosé, ce qui
nous invite à tirer une leçon de ces histoires
fascinantes.
a) La jouissance du mal
Comme l'a montré Lacan, il faut parler ici pour
Chaudval de jouissance,
excédant largement le simple plaisir dans la norme. À la page précédant
notre extrait, concluant un long monologue justificateur de comédien
habitué aux délibérations tragiques, il s'écriait d'ailleurs :
« Allons nous enfermer dans notre phare, pour y jouir en paix de
nos remords » (p. 175). « Quel merveilleux scélérat je
suis ! » (l. 3), savoure-t-il ensuite à la lecture du
journal, plus empreint de satisfaction trouble que du regret de
l'absence de remords, pourtant constatée, en une pure parole de
jouissance complaisante envers soi-même. « Vais-je être assez
hanté ? » (l. 4), exulte-t-il de manière absurde, dans un
questionnement oratoire qui renverse la finalité apparente, d'ordre
moral (celle de l'exigence du titre), pour dévoiler que le dispositif
criminel porte déjà, en lui, un plaisir impatient.
La métamorphose de Tchartkov s'accompagne elle aussi
d'une « ardeur effroyable » (l. 31), il massacre les
tableaux « en riant de plaisir » (l. 36). Il se livre à
une sorte de dévoration goulue, de joie de la destruction :
« pour le lacérer, le mettre en pièce, le piétiner en riant de
plaisir », dans un parallélisme profus et en gradation, la phrase
réduisant finalement le sublimé de la toile à un matériau vil, déchu,
tombant de l'Ïil aux pieds.
b) Pervers et névrosé
De toutes ces différences dans le traitement des deux
personnages, et des intrigues des deux nouvelles, se dégage en fait une
typologie du mal, entre pervers et névrosé.
Le portrait de Chaudval est celui d'un pervers
narcissique, portant toujours un masque car il ne ressent aucune
empathie pour les autres (« Il n'éprouvait rien, mais absolument
rien ! », l. 32), qu'il doit feindre pour être quand même
inséré dans des relations sociales apparemment normales. C'est la
caractéristique perverse de l'hypernormalité, comme le visage noble et avenant que se
compose le comédien, et derrière lequel il se cache (voir le 2a). Tout
pervers est donc comédien, et comme on l'a rappelé, pour Diderot, tout
comédien doit se détacher des affects habituels, ce qui peut le
condamner à une distanciation d'essence perverse. Ainsi c'est toute
l'intrigue singulière de la nouvelle qui est une allégorie de la
perversion, au sens psychiatrique. Chaudval se questionne donc sur sa
nature profonde, en pervers qui, un instant, se demande s'il l'est
totalement ou s'il peut avoir accès à des sentiments qui fondent, dans
la normalité statistique et métaphysique, l'être d'un humain. Le titre
énigmatique, « Le désir
d'être un homme », faisait d'ailleurs justement porter l'accent sur
le désir, que seul un pervers peut concevoir (pour les autres, ce désir
est inconcevable) !
À l'inverse (puisque, selon Freud, la névrose est le
négatif de la perversion), Tchartkov est un névrosé. Après tout, sans le
portrait, rien ne lui serait arrivé. Cette péripétie narrée, quoique
mortelle, n'est que la cause d'une crise ponctuelle aiguë, alors que
rien n'aurait pu affecter la nature froide et sans empathie de
Chaudval. C'est une question de nature essentielle. Voilà
pourquoi le temps n'a pas de prise sur son comportement, comme le
suggère le sommaire, magnifique dans son anacoluthe : « Et les
soirs tombèrent, se succédèrent, et les nuits » (l. 17).
Tchartkov, lui, au contraire, est soumis à des pulsions destructrices
itératives, « dès qu'il voyait une Ïuvre marquée au sceau du talent
[…] » (l. 26), « quand il avait payé un tableau très cher
[…] » (l. 32), qui accélèrent un processus de dégradation
(après notre extrait, le narrateur explique qu'une « existence si
tendue ne pouvait se prolonger longtemps » (p. 138), tension
propre à la névrose en effet.
c) Une leçon à déchiffrer
La nouvelle française est explicitement l'occasion du
déchiffrement d'un genre de morale : nouvelle à chute, elle
présente une coda finale en italique énigmatique. Nous pouvons
maintenant en présenter trois interprétations. Premièrement, Chaudval
n'a pas réussi à être un homme et, criminel, il est puni d'un trépas
venant rétablir l'ordre du monde. Il n'est alors qu'un spectre, condamné
par Dieu pour ses crimes. Seconde hypothèse, en tant que Comédien jouant
toujours les sentiments, en « vieux histrion » (l. 41)
cabotinant, il n'est qu'un spectre incapable de vivre une vie naturelle
(à la façon de Maximilien de « Sentimentalisme » par exemple).
Troisième hypothèse, celle à laquelle nous conduit cette étude : la
mort de Chaudval est une apothéose (dans les déchaînements hugoliens
« au bruit de l'océan », l. 36) lumineuse (d'où sa
« radieuse » espérance criminelle). Il a trouvé ce qu'il
était, c'est-à-dire un spectre assassin, rôdant et tuant impunément. De
ce point de vue, la nouvelle aura mis en scène, avec une grande rigueur,
une des premières incarnations du pervers narcissique meurtrier défiant
la police et la société (« un malfaiteur inconnu », p.176),
lisant en jubilant les nouvelles de ses « succès » (l. 3)
dans la presse, introuvable grâce au caractère gratuit du crime et à son
« mobile » (p. 176) impénétrable aux yeux normaux
(« Fantômas » n'existe pas encore !). D'ailleurs, en
conformité avec l'hypothèse perverse, Chaudval était de toute manière un
spectre par nature, puisque
son prénom, donné page 169, est…
« Esprit » !
Pour la nouvelle russe, le contexte est d'abord
fantastique, car « le fatal portrait » (l. 9) semble
avoir poursuivi un but souterrain, instrumentalisant le pauvre Tchartkov
depuis le début, en mêlant, un peu conventionnellement, rêve et réalité
(section des trois rêves à suivre des pages 107-110). Factuellement, c'est le rouleau des mille ducats
onirique, bien trouvé (p. 115) qui change son destin artistique. La
leçon porte précisément sur ce rapport à la renommée, au talent et à
l'art. On ne peut réussir socialement que par l'argent, semble dire
Gogol, et la vraie gloire artistique se goûte en retrait de l'agitation
superficielle et narcissique, jusqu'à la pauvreté. Il a fallu à
Tchartkov se payer une publicité dans un « journal en vogue »
(p.118), dont une note nous désigne une victime biographique et réelle à
la satire, l'« ennemi littéraire Th. Boulgarine » de
Gogol (p. 299). Mais la reconnaissance bourgeoise, ces familles
venues se faire tirer le portrait, ne font pas le talent : elle
prépare seulement, pour un jour de châtiment, le face à face avec le
vrai génie, respectueux du vrai art, et la défaite de la folie. L'art
véridique est corrompu par l'argent qui, littéralement, tue l'art,
puisqu'il permet à Tchartkov de se payer
toutes les Ïuvres… pour les anéantir !
On aura donc constaté combien la confrontation de ces
deux textes en parallèle permet de les apprécier chacun, dans leur
convergente volonté de fouiller la psychologie limite de certains
penchants humains, et selon des modalités complémentaires. Finalement,
Gogol et Villers de l'Isle-Adam découvrent des moyens de questionner la
nature qui échappent bien à la dialectique perverse de l'artifice
(« L'amour du naturel » des Contes Cruels).
Maxime
Abolgassemi