Mis en ligne le 19 octobre 2014.
Jean-Pierre Chambon
Tout venant
Éditions Héros-limite, 2014
Les
poèmes de Tout venant ressemblent à
des haïkus expansés. Ils appartiennent en tout cas au genre de la poésie
d'observation, de la poésie des choses vues. Mais plutôt que de chercher la
concision, le ramassé de l'expression, ils expliquent, développent, clarifient
une sensation et une interrogation nées d'un contact avec le dehors. Le poème
liminaire et la coda du recueil sont consacrés à la nature, à la forêt plus
précisément. Ils viennent encadrer les autres poèmes, souvent plus citadins, en
posant la question du mystère du monde et surtout de son merveilleux, c'est-à-dire
la présence de l'autre monde dans ce monde-ci. Ce monde et l'autre monde en
effet se côtoient, se bordent l'un l'autre d'une frange aussi obscure que
lumineuse. À la fin on ne sait plus si le trivial est la gangue du poétique, ou
bien si c'est le contraire : la beauté n'étant alors que le liseré de la
plus banale évidence.
Plutôt
que s'étourdir aux vertiges de l'image et de l'analogie, la langue de
Jean-Pierre Chambon vise la clarté, la limpidité. Dès lors, ce qu'il y a de
poétique est comme enclos dans les situations observées, et non dans la langue
employée qui est toute transparence. Et c'est la contiguïté, la coprésence
d'éléments disparates, qui fait poème, qui est la source de l'émotion poétique,
un peu à la manière d'un Jean Follain. Ce sont souvent des notes de voyage (en
train, en autocar) ou de rue (et donc habitées par de l'humain) ou encore de
paysages. Ce sont en tout cas toujours des notes prises sur le vif (sur le vif prodigue, comme dit Pierre Dhainaut) et comme pour répondre à la sollicitation d'un
micro-événement. Si elles répondent à la sollicitation, ces notes ne donnent
pas un sens à cet événement, se gardent bien de répondre au mystère entrevu ;
elles se bornent à poser sobrement sur le blanc de la page tous les ingrédients
événementiels qui composent ce mystère. C'est qu'il n'y a rien à ajouter à la
perception du mystère du monde, juste il faut laisser venir la substance de ce
mystère au sein de celui-ci, par la simple mise en concordance des éléments
observés qui eux seuls, et à eux seuls, et parce que vus ensemble, font
événement et mystère :
Le voici qui fond en larmes
le grand soleil rieur
que la petite fille a dessiné du
doigt
dans la buée
accumulée au carreau
de la cuisine
par la soupape haletante
de la cocotte-minute
C'est
souvent trois fois rien, ce qui est noté, mais Chambon a l'élégance de laisser
le poème surgir de la réalité elle-même, comme si celle-ci coulissait avec
elle-même et que dans ce glissement de la réalité sur elle-même, s'énonçaient,
en dehors de toute prétention à la saisie de leur sens, le mystère et le
merveilleux ensemble conjugués :
La petite tortue
d'eau taquinée
derrière la vitre de l'aquarium
brusquement étire de sa coquille
un cou menaçant de serpent
Laurent Albarracin