RETOUR : Images de la poésie

 

Laurent Albarracin : Tout venant de Jean-Pierre Chambon.
© : Laurent Albarracin.

Mis en ligne le 19 octobre 2014.

Note au 2 dˇcembre 2016 : sur ce site, voir aussi un autre compte rendu de Laurent Albarracin, sur le livre de Jean-Pierre Chambon, Matières de coma, 2016.

Sur ce site, voir aussi un texte de Laurent Albarracin, De l'image.
Aller à la page où Laurent Albarracin présente ses «  petites activités éditoriales ».


Jean-Pierre Chambon
Tout venant
Éditions Héros-limite, 2014

Les poèmes de Tout venant ressemblent à des haïkus expansés. Ils appartiennent en tout cas au genre de la poésie d'observation, de la poésie des choses vues. Mais plutôt que de chercher la concision, le ramassé de l'expression, ils expliquent, développent, clarifient une sensation et une interrogation nées d'un contact avec le dehors. Le poème liminaire et la coda du recueil sont consacrés à la nature, à la forêt plus précisément. Ils viennent encadrer les autres poèmes, souvent plus citadins, en posant la question du mystère du monde et surtout de son merveilleux, c'est-à-dire la présence de l'autre monde dans ce monde-ci. Ce monde et l'autre monde en effet se côtoient, se bordent l'un l'autre d'une frange aussi obscure que lumineuse. À la fin on ne sait plus si le trivial est la gangue du poétique, ou bien si c'est le contraire : la beauté n'étant alors que le liseré de la plus banale évidence.

Plutôt que s'étourdir aux vertiges de l'image et de l'analogie, la langue de Jean-Pierre Chambon vise la clarté, la limpidité. Dès lors, ce qu'il y a de poétique est comme enclos dans les situations observées, et non dans la langue employée qui est toute transparence. Et c'est la contiguïté, la coprésence d'éléments disparates, qui fait poème, qui est la source de l'émotion poétique, un peu à la manière d'un Jean Follain. Ce sont souvent des notes de voyage (en train, en autocar) ou de rue (et donc habitées par de l'humain) ou encore de paysages. Ce sont en tout cas toujours des notes prises sur le vif (sur le vif prodigue, comme dit Pierre Dhainaut) et comme pour répondre à la sollicitation d'un micro-événement. Si elles répondent à la sollicitation, ces notes ne donnent pas un sens à cet événement, se gardent bien de répondre au mystère entrevu ; elles se bornent à poser sobrement sur le blanc de la page tous les ingrédients événementiels qui composent ce mystère. C'est qu'il n'y a rien à ajouter à la perception du mystère du monde, juste il faut laisser venir la substance de ce mystère au sein de celui-ci, par la simple mise en concordance des éléments observés qui eux seuls, et à eux seuls, et parce que vus ensemble, font événement et mystère :

 

Le voici qui fond en larmes

le grand soleil rieur

que la petite fille a dessiné du doigt

dans la buée

accumulée au carreau

de la cuisine

par la soupape haletante

de la cocotte-minute

 

C'est souvent trois fois rien, ce qui est noté, mais Chambon a l'élégance de laisser le poème surgir de la réalité elle-même, comme si celle-ci coulissait avec elle-même et que dans ce glissement de la réalité sur elle-même, s'énonçaient, en dehors de toute prétention à la saisie de leur sens, le mystère et le merveilleux ensemble conjugués :

 

La petite tortue d'eau taquinée

derrière la vitre de l'aquarium

brusquement étire de sa coquille

un cou menaçant de serpent

 

Laurent Albarracin

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