Mis en ligne le 12 novembre 2014.
Gaspard Hons
Le Bel automne suivi de La Merveille du rien
Éditions
Rougerie, 2014
Les
poèmes de Gaspard Hons n'ont l'air de rien ou de pas
grand-chose. Je veux dire qu'ils ne brillent pas particulièrement par leur
forme. Poèmes en prose usant d'une
prosodie retenue voire pauvre, courts mais sans le poli ni le rugueux d'une
langue qui chercherait à tout prix la concision ou le mystère, aussi éloignés
de l'aphorisme définitif que du poème parfait dans sa clôture formelle, ils
sont pourtant d'une grande force et relèvent d'un art consommé. C'est sans
doute qu'ils sont habités d'une recherche profonde, d'ordre métaphysique, et
lorsqu'on connaît un peu le parcours du poète, lecteur de Celan, de Jabès, de
Heidegger, curieux aussi bien du judaïsme que du taoïsme, entre de multiples
autres centres d'intérêt dont la peinture, on se dira que cet apparent retrait
du poète dans ses poèmes, leur simplicité et leur modestie, leur pudeur, sont
la marque d'un accomplissement.
Ils
cherchent à dire pourtant quelque chose de l'être. Tentent de saisir, moins peut-être
une présence qu'une fluence. Capter l'éphémère, puisque par définition la
tentative est vouée à l'échec, consiste ici plutôt à laisser filer les choses,
à les laisser filer à leur propre opacité, et pour le poème à accepter le
prosaïsme du réel, à assumer sa propre maladresse en faisant se côtoyer le
commun et l'extraordinaire, le vulgaire et la beauté, sans chercher à les
fondre dans une sensation, encore moins dans un propos :
un dernier carré de choux, il balaye
les feuilles mortes, sur les boiseries une couche de vernis ; les
hirondelles survolent le pays de Loire
Les poèmes ne brillent ni par leur forme ni par l'éclat
du réel qu'ils enregistrent. Ou lorsque ce réel est éclatant, le poète prend
soin de désamorcer, par l'humour, ce qu'il pourrait y avoir là de brillant, de
virtuose et de révélant :
une branche d'un forsythia déposée
dans un carré de lumière, c'est tout, n'y voyez ni allusion ni rien
Il n'est pas si facile de réussir une nature morte, en poésie.
Quelques-uns s'y sont essayés avec succès (je songe aux Cose naturali de Paul Louis Rossi)
et c'est également le cas ici de Gaspard Hons.
L'erreur serait de disposer les mots comme des choses sur la table vierge de la
page sans les lier entre eux par une phrase. Isolés, les mots feraient écran.
Alors que le mouvement d'une phrase, même simple, surtout simple, permet
d'emporter la vision de la nature morte :
vase en verre rempli d'eau, cinq
tiges portent cinq fleurs jaunes, sur le mur blanc cinq ombres
Simplicité et, encore une fois, humour. La répétition du
chiffre cinq mentionné trois fois comble une attente : le monde est à
chaque fois tel qu'on le voit, il perdure en étant, il est conforme à ce qu'on
attend de lui, si bien que le chiffre ici marque moins une quantité qu'une
qualité : « cinq » équivaut à « trois » ou à
« un », c'est une totalité. À quelque niveau qu'on le contemple
(tiges, fleurs ou ombres), le monde est même et autre, il est pareil et contrasté,
attendu et retrouvé à chacune de ses manifestations. Il est ouvert et offert
(cinq comme les cinq doigts de la main ?). Il y règne pourtant une
mélancolie certaine : la projection de l'ombre sur le mur semble faire
écho à la perception de ces fleurs : celle-ci se réalise dans le dérisoire,
dans le constat d'une soumission à soi-même somme toute risible. Le monde
succède à soi avec bonheur mais cette réussite est aussi déception puisque si les
fleurs tiennent la promesse des tiges, elles n'en terminent pas moins ombres et
se répètent jusqu'à la farce. Le monde, parce qu'il est permanence, est aussi
mouvement. Parce qu'il est passage, il est son essence. « Je ne peins pas
l'être, je peins le passage » disait Montaigne. Mais le poète, peignant le
passage, peint précisément l'être.
La
modestie des poèmes de Gaspard Hons n'entame en rien
son ambition : retrouver, avec l'automne, saison du vent et du
recueillement, une possible réconciliation de la tristesse et de la joie,
quelque chose comme une sérénité.
Laurent Albarracin