Jean-François Mathé
La Vie atteinte
Éditions
Rougerie, 2014
« La Vie atteinte », le titre est
magnifique pour dire le recueil de la maturité d'un poète qui a touché à la
sérénité de l'âge. Car cette vie « atteinte », c'est bien sûr la vie
abîmée, fragilisée, diminuée peut-être, cette vie à laquelle le temps a malheureusement
attenté, mais c'est aussi la vie qu'on a attendue et qui est enfin venue telle
qu'on la voulait, que l'on a su rejoindre comme un rivage ou comme une
dimension nouvelle, par et dans la poésie. Parole de sagesse que cette poésie,
où le renoncement est une acceptation, l'impossibilité une mesure des choses,
la mélancolie une certaine joie :
Me voilà à nouveau aujourd'hui
déménageur de ma fatigue
cherchant l'escalier à monter ou à descendre
avec ce poids dont on ne se défait
ni en haut ni en bas.
Parfois, par miracle, il n'y a
ni escalier ni maison ni rues ni ville :
il n'y a autour de moi que du ciel.
Je m'y allonge,
j'étends mes bras hors de ma fatigue
jusqu'à ce qu'ils deviennent des ailes.
Je sais que je ne rêve pas.
Je sais que je ne vole pas.
Rares sont les poètes capables
d'atteindre à une telle simplicité sans tomber dans la platitude, ceux capables
d'arriver à une telle qualité d'émotion sans mièvrerie. C'est que la poésie ici
ne triche pas avec ses pouvoirs, ne se paie pas de mots ni ne se berce
d'illusions. C'est que l'image poétique ne cherche pas à faire advenir ce qui
ne se peut pas, mais tient ensemble l'absence et la présence, le désir et la
désillusion, la fuite des choses et l'adieu content à ce qui s'en va. Ainsi
l'ombre et la lumière, l'eau et la soif, le souvenir et l'oubli jouent-ils
ensemble dans ce recueil non pas comme des forces en opposition, mais comme les
thèmes d'une alliance et d'une même allégeance à ce qui emporte la vie au loin.
Toujours chez Mathé ce qui est passé, ou ce qui est perdu d'avance dans ce qui
est présent, ce qui est disparu ou voué à disparaitre, n'est pas à reconquérir
ni même à regretter, mais sert à la transparence du monde et de l'écriture :
Je t'ai vue souvent disparaître
puis revenir sans avoir ôté
la robe de ton absence.
Alors aujourd'hui ou demain,
je te regarderai de ce regard
qu'on a pour le ciel et
il n'y aura plus que lui.
La vie est atteinte quand elle
est blessée, offensée, et elle est atteinte également quand le poète touche juste
dans l'expression de celle-ci, dans la reconnaissance de sa fragilité, en
écartant ce qui l'abîme, d'un geste qui à la fois accepte et balaie, consent et
congédie, ouvre.
Laurent Albarracin