RETOUR : Coups de cœur

 

Pierre Campion : Compte rendu du livre de Laurent Albarracin, Le Poirier.
Texte mis en ligne le 28 février 2012.

le poirier Laurent Albarracin, Le Poirier, dessins de Pierre Bessompierre, Collection de l'Umbo, St Clément-Annemasse, 2012.


Un arbre de plein vent

Le poirier d'Albarracin

« D'où vient qu'un poirier est mystérieux ? D'où vient que tout dans le poirier semble y concourir avec évidence et obscurité ? »

Loin des espaliers, sur un chemin qui ne mène qu'aux significations, il se dresse dans le vent de la langue française. Bûcheron d'occasion, qui voudrais le connaître jusque dans son cœur, abaisse ici ton bras qui brandissait déjà les rages courtes de la tronçonneuse ! Car l'ayant débité puis fendu, tu n'en tireras rien de plus qu'un peu de bois de chauffage, et une certaine déception : d'avoir, croyant la résoudre, liquidé une petite énigme qui, peut-être, avait des égards pour toi.

Ce poirier-là n'est un bois blanc que parce qu'il feuille en blanc, en une sorte de blanc brillant, en une sorte de brillance qui est le mode de son expression, selon les variantes infinies de la lumière et de l'air et le gré de ses métamorphoses.

Le poirier de Laurent Albarracin n'a pas de vie intérieure, il est tout pour la montre, il se borne, mais à toute force, à n'être qu'un poirier, à le dire et le redire sans avoir de cesse. Par ses poires, par ses fleurs et par ses feuilles, celles-ci presque à l'infini et à l'identique multipliées, il ne cesse de protester : de sa seule existence d'arbre, de son essence naïve de poirier, de son être pur et simple. Il en appelle à la prononciation attentive de son nom, à l'écrit mouvant du poète, à toute démarche de reconnaissance vraie, c'est-à-dire passionnée et néanmoins respectueuse.

Il ne dissimule aucun secret, mais pour autant il n'est pas tellement innocent. Il ne peut s'exonérer d'avoir offert à la caricature un roi des Français, à certaine méchanceté l'expression d'une bonne poire et pour qualifier les ingéniosités de la pensée celle de faire le poirier, de proposer aux tentations de l'ivresse la saveur transparente du poiré, et d'ajouter aux innombrables occasions de malentendu entre les hommes un nom possiblement de papillon — le poirier d'Albarracin —, ce à quoi jamais le chêne ou le frêne ou le saule ne se seraient exposés, n'est-ce pas.

Comme ce poirier en nos prairies, la langue en nous et entre nous demeure extérieure. Nous vivons dans leur présence, dont nous voudrions en vain pénétrer l'intimité. Nous reste le tourner autour, qui est la poétique de Laurent Albarracin depuis ses débuts dans la poésie.

Pierre Campion


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