Fleurs couleur bleue
												bouches endormies
												sommeil des profondeurs
										Vous pervenches
												en foule
												parlant d'absence au passant
									
										
									
								
										
								
								Philippe Jaccottet, Poésie, p. 146.
							 
								
							Contre la symbolique des fleurs qui voudrait que la pervenche signifie amitié sûre, doux souvenir, noter ces pervenches-ci, réelles et particulières, poussant au hasard d'un sentier, en foule indifférente et oublieuse.
									Contre la séduction trop familière des myosotis en nos parterres et contre la plainte que ce nom-là nous adresse en plusieurs langues  Ne m'oubliez pas ! , distinguer la mutité signifiante des pervenches, leur parole négative. Manifestement, elles ne demandent rien, elles assument l'oubli : le leur à l'égard de tout et d'elles-mêmes, et celui qu'elles suscitent.
Contre la prégnance de la fleur bleue de Novalis et contre l'expression de la langue, écrire au pluriel l'observation prosaïque « fleurs de couleur bleue ».
Contre le bleu pervenche d'yeux trop attentionnés, elles seront des « bouches endormies ».
								
								
								
								Contre les chansons fleur bleue du genre de Parlez-moi d'amour
, du fond de leur immanence et s'abstenant de toute tendresse elles parleront d'absence, à n'importe qui.
							
Avancer selon la grammaire des constatations minimales et par un vocatif, qui serve juste à les séparer de tout ce qui n'est pas elles et à rapporter le mouvement discret d'un passant heureux de rencontrer des fleurs qui ne veulent rien dire que ce qui est,  mais cela est encore une manière de provocation
 Cependant ces pervenches sont innocentes de toute intention : même cela, c'est le poète, n'est-ce pas, qui s'aventure à le suggérer. Elles, elles n'en savent rien.
								
								
								
								Avancer a contrario, par des décisions : au rebours des fleurs de la rhétorique et des raisons de la doxa lyrique, et tenant au plus court sa propre émotion.
							Telle est souvent, dans Jaccottet, une sorte de poésie critique, formée en présence des choses et dans une parole intime.
							
								Pierre Campion
										30 juillet 2003