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Pierre Campion

« Classe 17 ».

Mis en ligne le 14 novembre 2003, complété le 12 février 2005 et le 30 janvier 2016.
© : Pierre Campion.


« Classe 17 »

La guerre on la voit à l'envers

Et vienne le troisième hiver

Petit verre des condamnés

Est-ce que c'est pour cette année

Le ciel déjà prend goût de terre

Puisqu'on est des morts sursitaires

Tous les calculs que nous ferons

Auront une balle en plein front

Louis Aragon, Le Roman inachevé, « Classe 17 »

Autre Louis : même classe, autre destin.

Le sous-lieutenant Louis Maître-Allain, né le 4 janvier 1897, est porté sur les états militaires comme mort pour la France le 7 octobre 1918, à Bussy-le-Château (Marne), ambulance 10/13, « genre de mort : suite de blessures de guerre ».

Le petit-fils du docker de Saint-Malo, le fils aîné du directeur des Postes de la Somme, évidemment vit arriver la guerre sur lui personnellement, dans cette ville d'Amiens pleine de troupes et d'où l'on entendait le canon. En août 14, il avait reçu ses prix à Louis-le-Grand, où tels de ses condisciples s'appelaient Kessel et Dumézil. (En 1914, son père était en poste à Paris. Par la suite, on avait donc nommé sur la ligne de front ce petit homme énergique qui avait commencé sa carrière à construire des lignes télégraphiques au Tonkin vers 1890.)

Ce que fit Louis Maître-Allain entre son bac et sa mobilisation, ce qu'il pensait pendant cette attente, s'il aimait quelqu'un, je ne le sais pas. Restent des lettres écrites du front, souvent tristes mais résolues : à ses parents, à sa sœur, à ses cousins, à son jeune frère.

Celui-ci, l'aspirant Robert Maître-Allain, classe 19, engagé volontaire en 1916 et que Louis avait essayé de dissuader de signer, fut « tué à l'ennemi » à Hooglède (Belgique), le 16 octobre 1918. Ainsi leurs parents reçurent-ils en l'espace de dix jours et à moins d'un mois de l'armistice, les nouvelles de la mort de leurs deux fils, vingt et un et dix-neuf ans. Et leur sœur, Marie, moins d'un an après, apprit que son fiancé, leur cousin, le capitaine Jean Ollivier, vingt-cinq ans, venait d'être tué en Syrie où il se trouvait au titre du mandat français. Et une petite fille de onze ans, ma mère, portait le deuil de ces grands cousins avec lesquels elle s'était promenée dans le bourg, quand ils étaient venus en uniforme voir leur tante.

 

Pendant ce temps-là, le soldat Jean Poidevin, classe 12, que les Ollivier et Maître-Allain ne pouvaient pas connaître, se faisait tuer de son côté à Roclincourt (Pas-de-Calais) le 16 juin 1915, tout près du Vimy chanté par Aragon. (Même jour, même lieu, même sort pour son cousin Joseph Cholet, vingt ans. « Ô revenants bleus de VimyÉ ») Chez ma grand-mère paternelle, dans la chambre de sa sœur Louise, était suspendu l'agrandissement de sa photo. Et, trente ans plus tard, à la fin des battages, Louis Poidevin, le frère de Jean et leur frère, qui en était revenu — Louis, le conseil et le recours de ces femmes seules — chantait volontiers La Madelon. Pris dans l'attention des deux tablées qui mêlaient ses sœurs, ses nièces et les travailleurs de ces journées de poussière et de sueur, même un enfant de huit ou neuf ans saisissait que l'oncle n'aurait pas chanté comme ça si la tante avait été présente.

Pierre Campion


Source : Fiches des morts pour la France, Mémoire des hommes, Ministère de la Défense.

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