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Pierre Campion, La notion de pays selon Jean-Pierre Montier.
Mis en ligne le 2 novembre 2023.

© :Pierre Campion.

Montier Jean-Pierre Montier et autres, Fictographies de la Bretagne. Qu'est-ce qu'un pays ?, collectif, PUR, 2023.


La notion de pays selon Jean-Pierre Montier
Note de lecture

Voici un projet déterminé et réfléchi, nourri d'analyses diverses et de passion maîtrisée, dans lequel se rencontrent des disciplines aussi différentes que l'histoire et la géographie, la psychologie des mentalités et la sociologie de la politique, sous l'inspiration conjointe et la conduite de la photographie et la littérature…

Qu'est-ce qu'une « fictographie » ?

Chacune des études présentées dans ce volume l'explicitera à sa manière et de son point de vue[1], mais Jean-Pierre Montier, qui les a réunies, répond lui-même à la question dès son avant-propos : qu'est-ce qu'une fictographie ? Il le fait de manière rigoureuse et en renversant l'ordre posé entre le titre et le sous-titre du livre : en commençant par travailler la notion de pays.

Entre celles de nation et de peuple, de communauté et d'universalité, d'institutions et de spontanéité inventive, celle de pays, ancienne et revenue désormais dans l'actualité, presse de ses exigences les responsables politiques, les acteurs de la culture et la pensée sous toutes ses formes. Et il n'est pas indifférent non plus que le pays ici considéré soit celui — ou ceux — de la Bretagne.

La fictographie est donc la réunion des fictions diverses — des notions pratiques et des disciplines — nécessaires pour penser ensemble le fait complexe des pays. Dans son nom même, elle inscrit la photographie au sens large telle qu'elle tracerait le portrait d'un pays ; elle décrit donc une vaste prosopographie, dans laquelle se conjugueraient les images physiques et mentales suffisamment puissantes pour rendre compte des réalités d'un pays et guider les actions nécessaires pour y faire face.

Cette ambition en rappelle bien d'autres, peut-être en les fédérant ou en les précisant ou en les élargissant, parmi lesquelles, à des échelles et à des intentions toutes différentes, les plus connues sont celles de Christophe Guilly ou de Jérôme Fourquet.

La fictographie sera écrite et composée d'images de toutes provenances, plutôt que rédigée en langues spécialisées et abondante en statistiques, c'est-à-dire qu'elle empruntera à la fable quelque chose de sa puissance à montrer ce qui est plutôt qu'à démontrer telle interprétation par discours et raisonnements. Il y a là une forme spécifique d'analyse. Compréhensive, prospective et prédictive, la fictographie le serait, mais comme l'est la scène théâtrale : par la vertu spéciale de ce qu'il apparaît d'une réalité complexe sous une forme d'évidence visuelle, philosophique et morale.

Cette espèce d'analyse est, en présence de cette réalité fuyante et à défaut d'un discours impossible — exhaustif et définitif —, ce qu'on peut écrire d'un certain pays, ici la Bretagne. Et c'est en ce sens qu'elle répond à la demande de comprendre une certaine réalité, par une sorte de spectre, construit mais non fermé, de ses représentations. La fictographie n'est pas une encyclopédie — le tour d'une question —, c'est un recueil d'apologues, en quelque sorte.

La Bretagne est-elle vraiment un « pays » ?

La conclusion du livre « Quant au pays de Bretagne ? De l'utilité des modèles pictographiques de l'île et de l'archipel », signée par Jean-Pierre Montier, s'attache à expliciter le spectre ainsi produit de la Bretagne ainsi que la nature de ce spectre, sa puissance et ses limites en compréhension.

Au rebours de bien des livres de contributions, ce bilan existe profils et pertes, ferme et clair, et provisoire :

 

Jean-Pierre Montier remercie les auteurs « qui ont tous montré l'ouverture d'esprit indispensable à la recherche pour se plier à la problématique qui leur avait été initialement proposée » et reconnaît les aménagements et nuances nécessaires qu'ils ont apportés à cette problématique.

Il revient sur les modèles théoriques proposés dans l'avant-propos, pour les spécifier à l'égard du cas de la Bretagne, tant sur la notion de pays que sur les modes fictographiques en vue de penser ce cas.

Il évoque, au besoin, des noms et des œuvres comme ceux de Guillevic, Mona Ozouf ou Le Clézio et produit une discussion de fond avec certains de ces auteurs, par exemple avec Jean-Christophe Bailly.

Il énonce in fine les acquis procurés par le travail de ces contributions et l'évocation de ces auteurs, notamment sur les notions centrales de fictographie et de pays :

« Une fiction, c'est la modélisation d'une expérience, proposée comme une autre expérience, au second degré, à valider, à amender, à partager, reconduire ou critiquer. Si nous avons choisi de les appliquer, cette expérience et ce modèle, à cette notion de « pays », c'est parce que nous avions la conviction qu'elle aussi avait évolué, et qu'il fallait peut-être à présent circonscrire une poétique du sujet de la fiction en lien avec une poétique du lieu où s'éprouve ce sujet, du lien qui fait de ce lieu celui d'où émane une « présence », pour reprendre un terme d'Yves Bonnefoy.«» (p. 182)

Ainsi se dessine la promesse d'un autre travail, à venir.

Pierre Campion



[1] Par exemple, les textes de Sophie Gondolle « Poèmes bretons, portraits d'un pays maritime et insulaire », d'Isabelle Le Corff « Portraits cinématographiques de l'île d'Ouessant », ou de Denis Biget « Réflexions sur  un portrait de pays : le portrait  de pêcheurs bretons ».