RETOUR : Études

 

Anne Coudreuse : Flaubert lecteur du XVIIIe siècle. Pathos, ironie et apathie dans la Correspondance
Mis en ligne le 13 décembre 2012.

© : Anne Coudreuse

Maître de conférences à l'université Paris13-Sorbonne-Paris-Cité et membre honoraire de l'Institut universitaire de France, Anne Coudreuse enseigne la littérature française du XVIIIe siècle. Elle a publié notamment Le Goût des larmes au XVIIIe siècle, PUF, 1999.
D'autre part, elle est écrivain. Sur ce site, elle tient une chronique de littérature.

La présente étude est parue d'abord dans la revue La Licorne, nº 43, décembre 1997, p. 129-142.


Flaubert lecteur du XVIIIe siècle
Pathos, ironie et apathie dans la Correspondance

« Versons de l'eau-de-vie sur ce siècle d'eau sucrée. »

Flaubert, à Ernest Feydeau, 19 juin 1861

La Correspondance de Gustave Flaubert fournit un terrain d'étude particulièrement riche pour qui s'intéresse à la postérité littéraire de Voltaire et de Rousseau et à ce que le XIXe siècle, pour autant que Flaubert en soit un écrivain représentatif, retient de l'héritage du XVIIIe siècle. La ligne esquissée au XVIIIe siècle entre des écrivains qui pratiquent l'écriture du pathos et ceux qui le refusent pour des raisons à la fois éthiques et esthétiques, devient au XIXe siècle une frontière de plus en plus nette qui oblige les écrivains à se situer clairement dans telle ou telle lignée. Si l'on considère le Romantisme comme l'aboutissement de la littérature sensible et vertueuse du XVIIIe siècle, et de ce que les historiens de la littérature appelaient autrefois « le Préromantisme » — définition très insuffisante du Romantisme, qui ne prend pas en compte ses enjeux historiques et idéologiques —, on peut dire que Flaubert écrit en réaction contre le Romantisme qu'il exècre, parce qu'il l'accuse d'être « convenu » et « faux ».

C'est ainsi qu'il exécute la Graziella de Lamartine, dont il trouve la fin particulièrement ratée. Il en propose donc une réécriture plus à son goût, en prenant Voltaire comme modèle. C'est à cette occasion qu'il fait part de son admiration pour la fin de Candide, « bête comme la vie ». Voltaire auquel Flaubert fait référence rapidement et entre parenthèses, semble représenter pour lui le meilleur antidote au romantisme échevelé des sentiments poétiques. Pour Flaubert, la fin de Graziella, que Lamartine a rédigée « tout d'une seule traite et en pleurant », eût été bien meilleure, si au lieu de mourir de son abandon, la fille du pêcheur se fût consolée, « ce qui est plus ordinaire et plus amer » que le « joli procédé poétique » qu'a choisi Lamartine. C'est à ce moment de sa réflexion que, entre parenthèses, Flaubert propose Voltaire comme un contre-modèle à toutes les émotions mensongères qui portent à faux dans les livres romantiques : « (La fin de Candide est ainsi pour moi la preuve criante d'un génie de premier ordre. La griffe du lion est marquée dans cette conclusion tranquille, bête comme la vie.) Cela [la fin que Flaubert suggère] eût exigé une indépendance de personnalité que Lamartine n'a pas, ce coup d'œil médical de la vie, cette vue du vrai enfin, qui est le seul moyen d'arriver à de grands effets d'émotion[1]. »

Quand Flaubert parle de Voltaire — c'est un des noms qui revient le plus fréquemment sous sa plume, en dehors de ceux de ses contemporains — on sait qu'il le fait en connaissance de cause. Il lit Voltaire depuis l'âge de quatorze ans, et il a analysé son théâtre, scène par scène, sur plus de quatre cents pages, quand il voulait apprendre à construire une intrigue. Il reconnaît qu'il a trouvé cette lecture ennuyeuse, et la cite en exemple de sa grande résistance aux lectures laborieuses : « J'avais à cette époque beaucoup étudié le théâtre de Voltaire que j'ai analysé, scène par scène, d'un bout à l'autre. — nous faisions des scénarios[2]. »

Contre Marmontel : « On n'écrit pas avec son cœur mais avec sa tête. »

Dans cette même période, il a lu les tragédies de Marmontel, qu'il classe parmi les « mauvais » auteurs, à cause de son emphase et de sa grandiloquence. Sur ce point, il ne distingue pas Voltaire de Marmontel qu'il a lu « pour [se] faire rire ». Il ne résiste pas au plaisir de citer quelques vers de Marmontel pour mettre en évidence les périphrases ampoulées utilisées par le dramaturge :

« Que dis-tu de ceci pour dire d'un bonnet grec :

Pour sa tête si chère


Le commode ornement dont la Grèce est la mère »

Voilà précisément ce qu'il exècre sous le nom de « poésie, et dans les règles encore ! » Sa stratégie démystificatrice consiste à traduire dans une langue banale, voire triviale, ce que Marmontel écrit poétiquement :

D'une vierge par lui (le fléau), j'ai vu le doux visage,

Horrible désormais, nous présenter l'image


De ce meuble vulgaire, en mille endroits percés,

Dont se sert la matrone en son zèle empressé,

Lorsqu'au bord onctueux de l'argile écumante

Frémit le suc des chairs en [sa] mousse bouillante !

Ce qui devient dans la langue prosaïque de Flaubert : « une femme gravée de la petite vérole ressemble à un écumoir[3] » ! Contre l'image poétique et la périphrase développée sur plusieurs alexandrins, Flaubert utilise le raccourci médical qui fait mouche en une seule phrase et dégonfle cette baudruche pseudo-poétique. Emporté par son élan dévastateur et son goût pour la blague de potache, il continue :

« J'éprouve le besoin de faire encore deux citations.
 Une demoiselle parle à sa confidente de ses chagrins d'amour :

Et d'un secours furtif aidant la volupté

Je goûte avec moi-même un bonheur emprunté !

La confidente répond qu'elle connaît cela et ajoute :

et les hommes aussi


Par un moyen semblable apaisent leur souci[4]. »

L'ironie flaubertienne consiste ici à souligner le double-sens poétiquement dissimulé dans les vers et à rabattre le pompeux signifiant sur son prosaïque signifié, ce qui a pour effet de l'aplatir lamentablement. Il change en blague un dialogue sérieux qu'il détache de son contexte. Le passage du style direct au style indirect (« la confidente répond qu'elle connaît cela ») qui résume le contenu du dialogue dans un pronom familier, participe également de cette redoutable ironie. Flaubert n'a pas de termes assez durs pour qualifier la poésie ou le théâtre de Voltaire, comme on le voit par exemple dans le parallèle qu'il propose entre deux auteurs qui ont selon lui gâché leur talent :

Chateaubriand est comme Voltaire. Ils ont fait (artistiquement) tout ce qu'ils ont pu pour gâter les plus admirables facultés que le bon Dieu leur avait données. — Sans Racine, Voltaire eût été un grand poète, et sans Fénelon, qu'eût fait l'homme qui a écrit Velléda et René[5]  !

Pour Flaubert, Voltaire a été « pitoyable au théâtre » et « dans la poésie pure », car il n'a jamais été capable que « d'exposer son opinion personnelle », comme dans sa correspondance devant laquelle tout le monde s'extasie[6]. Or pour Flaubert qui « éprouve une répulsion invincible à mettre sur le papier quelque chose de [son] cœur[7] », l'impersonnalité représente un idéal artistique incompatible avec la poésie, cette « écume du cœur » : il ne veut pas « considérer l'art comme un déversoir à passion, comme un pot de chambre un peu plus propre qu'une simple causerie, qu'une confidence[8] ».

Cet idéal d'impersonnalité correspond au projet plus global d'évincer le sentiment de la littérature, et de l'art en général, car « on n'écrit pas avec son cœur, mais avec sa tête[9] ». C'est pourquoi Flaubert s'en prend à tous ces « farceurs » et autres « saltimbanques » qui déversent leurs sentiments dans ce qu'il appelle parfois, par dérision, la « pohésie » ou les « phrases po-ë-tiques[10] ». L'introduction d'un [h] aspiré et la désarticulation du mot par des tirets sont caractéristiques de sa volonté d'en découdre avec l'emphase poétique. Cette maladie du bon sentiment qui infeste la littérature et tout le siècle, leur a, selon lui, été transmise par Jean-Jacques Rousseau, via la génération romantique :

Ne sens-tu pas que tout se dissout, maintenant, par le relâchement, par l'élément humide, par les larmes, par le bavardage, par le laitage. La littérature contemporaine est noyée par les règles de femme. Il nous faut à tous prendre du fer pour nous faire passer les chloroses gothiques que Rousseau, Chateaubriand et Lamartine nous ont transmises. […] La Passion nous perd tous[11].

L'art du bref : de l'esprit de Voltaire à l'ironie de Flaubert

Puisque « l'enfer et les mauvais livres sont pavés de belles intentions[12] », il faut verser « de l'eau-de-vie sur ce siècle d'eau sucrée[13] ». Pour ce faire, la lecture des contes de Voltaire fournit à Flaubert une source vive. Il les a lus plusieurs fois, et il en conseille la lecture à Louise Colet :

C'est une chose, toi, dont il faut que tu prennes l'habitude, que de lire tous les jours (comme un bréviaire) quelque chose de bon. Cela s'infiltre à la longue. Moi je me suis bourré à outrance de La Bruyère, de Voltaire (les contes) et de Montaigne[14].

Parmi tous les contes de Voltaire, il distingue surtout Candide qu'il considère comme « le résumé de toutes ses œuvres » et dont il tient « la visite chez le seigneur Pococurante » pour « le meilleur chapitre » : c'est « une des merveilles de la prose », « la condensation de soixante volumes écrits et dĠun demi-siècle dĠefforts[15] ».

La brièveté constitue une garantie de qualité, ce qui en fait une arme absolue contre le pathos qui a toujours besoin d'espace pour s'étaler. Là où Voltaire n'a besoin que d'un trait de plume pour viser juste, d'autres auteurs videraient leur encrier sans résultat. Le pathos n'est alors qu'une dilution du sentiment qui n'aboutit qu'à noyer le poisson de l'émotion. Voltaire est le plus grand représentant de l'esprit que Flaubert juge « incompatible avec la vraie poésie » : « Qui a eu plus d'esprit que Voltaire et a été le moins poète[16] ? » Voltaire constitue pour lui une référence à la fois littéraire, stylistique et politique. En effet, quand Flaubert affirme que « l'ironie n'enlève rien au pathétique », mais qu'au contraire « elle l'outre », il s'inscrit ouvertement dans la lignée de Voltaire qu'il revendique comme un de ses modèles, en faisant du même coup de Rousseau un anti-modèle[17]. « Or j'aime le grand Voltaire autant que je déteste le grand Rousseau », déclare-t-il dans un de ces fracassants parallèles dont il a le secret[18]. Pour Flaubert, Voltaire ne riait pas, il « grinçait » car il avait fait de l'intelligence « une machine de guerre ». Il reproche au contraire à Rousseau d'avoir engendré une religion sentimentale et datée, alors que « le comble de la civilisation sera de n'avoir besoin d'aucun bon sentiment[19] ». La langue de Rousseau est une langue historiquement dépassée qui a légué au XIXe siècle un héritage lui-même en voie de péremption, comme l'affirme Flaubert dans une intuition quasi-prophétique :

Je parie que dans cinquante ans seulement, les mots : « Problème social, moralisation des masses, progrès et démocratie » seront passés à l'état de « rengaine » et apparaîtront aussi grotesques que ceux de : « Sensibilité, nature, préjugés et doux liens du cœur » si fort à la mode vers la fin du XVIIIe siècle[ 20].

Le jugement que Flaubert porte sur Rousseau semble cependant plus complexe ; il ne s'agit pas en effet d'une condamnation sans appel. Ce jugement est marqué au coin de la contradiction, comme tout ce qui touche chez Flaubert à l'émotion et à son expression. Sur ces questions sa position est très ambiguë : Flaubert entretient avec l'émotion un rapport trouble et fasciné dans lequel entre autant d'attraction que de répulsion. Sa haine pour Rousseau tient peut-être à la grande proximité qu'il perçoit entre ce chantre de la sensibilité et lui-même. Comme Rousseau, son semblable, son frère, Flaubert est un adepte de « la religion du Désespoir », mais il s'en défend[21]. C'est ainsi qu'il écrit à Amélie Bosquet : « Chacun de nous a dans le cœur une chambre royale. » S'il prétend l'avoir « murée », il précise immédiatement qu'« elle n'est pas détruite[22] ». Flaubert ne professe pas un optimisme béat, qui refuserait de prendre la souffrance en compte. Bien au contraire, il établit un rapport entre la capacité à souffrir et l'intelligence :

Chose étrange, à mesure qu'on s'élève dans l'échelle des êtres, la faculté nerveuse augmente, c'est-à- dire la faculté de souffrir. Souffrir et penser seraient-ils donc la même chose ? Le génie, après tout n'est peut-être qu'un raffinement de la douleur, c'est-à-dire une plus complète et intense pénétration de l'objectif à travers notre âme[23].

Flaubert dénie en revanche toute qualité littéraire à l'expression de la souffrance et considère l'idée même de consolation comme une injure[24]. Dès lors, le rire et l'ironie sont les seuls recours aussi bien d'un point de vue moral que sous l'angle littéraire. « Voir les choses en farce » est selon lui « le seul moyen de ne pas les voir en noir », ce qu'il résume dans une formule aussi tonique que désespérante, à l'intention de Louise Colet : « Rions pour ne pas pleurer[25]. » L'ironie n'est que l'autre nom du malheur, non pas un antidote au pathétique, mais un moyen de le renforcer pour le rendre indépassable. Flaubert est d'autant plus ironique qu'il penche naturellement vers le pathos. Cette ironie érigée en principe et en vision du monde est une manière pour lui d'écrire contre lui-même et de suivre sa pente, mais en remontant. C'est ainsi qu'il écrit à Louis Bouilhet à qui il annonce qu'il a rédigé quatre pages de Madame Bovary : « C'est je crois un fier pathos, mais je vais de l'avant, quitte à l'enlever après[26]. » Cette remarque semble tout à fait caractéristique de la conception flaubertienne de l'écriture et du style : le pathos n'est qu'un déchet de la création littéraire. Il constitue pour Flaubert une sorte de passage obligé, un défaut inévitable auquel il doit accepter de se laisser aller pour mieux le corriger ensuite. Dès lors le pathos n'est acceptable que dans le galop de la plume, au moment du premier jet. S'il subsiste dans le texte définitif, il ne sera plus que le témoignage honteux d'une absence de travail et d'une faiblesse du style : une faute de langue autant qu'une faute de goût. En refusant le pathos, Flaubert écrit contre lui-même pour donner à ses phrases un caractère d'évidence absolue, ce qui n'est pas sans rappeler la méthode de Sartre qui affirme avoir toujours pensé contre lui-même[27]. Dès lors, l'ironie n'est pas le contraire du pathos, mais son envers : « N'as-tu pas vu que toute l'ironie dont j'assaille le sentiment dans mes œuvres n'était qu'un cri de vaincu, à moins que ce ne soit qu'un chant de victoire ? » demande-t-il à Louise Colet qui ne semble pas saisir les enjeux de son esthétique romanesque[28]. Plus décharnée, plus minimale et plus légère que le pathos, l'ironie flaubertienne est aussi plus désespérée car elle n'offre aucune issue  : dans le pathos, on peut toujours en rajouter; de l'ironie on ne peut rien retrancher, sous peine d'exténuer la phrase et de se condamner au silence. L'ironie possède des vertus anti-lacrymales indéniables  : en cela elle s'apparente aussi à un supplice puisqu'elle empêche cette expulsion naturelle de la souffrance, mais elle permet d'accéder à une autre qualité de larmes, de nature bien supérieure. « Tu me dis que rien bientôt ne pourra plus t'arracher de larmes. Tant mieux, car rien n'en mérite, si ce n'est des larmes de rire, “pour ce que le rire est le propre de l'homme” » écrit Flaubert à Louise Colet le 2 janvier 1854, ce qui constitue une manière assez peu commune de présenter ses vœux pour la nouvelle année[29].

Flaubert et Jean-Jacques : entre fascination et répulsion

S'il a peiné en lisant le théâtre de Voltaire, la lecture de Rousseau lui a également demandé quelques efforts, comme en témoigne cet aveu à Louis Bouilhet : « Je ne vois absolument rien à te narrer. Si ce n'est que je lis et que j'ai bientôt fini (Dieu merci !) La Nouvelle Héloïse. C'est une rude lecture[30] ! » Ce qui ne l'empêche pas de stigmatiser l'École Normale parce qu'on y a puni un élève d'avoir lu ce roman considéré comme un « mauvais livre ». Flaubert emploie l'italique pour bien souligner qu'il rapporte ce jugement sans le reprendre à son compte ; on peut donc supposer qu'il tient La Nouvelle Héloïse pour un bon roman. Ce que confirme la suite de la lettre : « Je suis fâché de ne pas savoir ce qui se passera dans deux cents ans. Mais je ne voudrais pas naître maintenant et être élevé dans une si fétide époque[31]. »

Il lui semble pourtant que la génération romantique a fait un grave contre-sens historique, politique et esthétique en choisissant de « prendre par Jean-Jacques » au lieu de « continue[r] par la grande route de M. de Voltaire », et en imposant du même coup « le néo-catholicisme, le gothique et la fraternité » comme des valeurs dominantes[32] :

Je crois même que, si nous sommes tellement bas moralement et politiquement, cĠest quĠau lieu de suivre la grande route de M. de Voltaire, cĠest-à-dire celle de la Justice et du Droit, on a pris les sentiers de Rousseau, qui, par le Sentiment, nous ont ramené au Catholicisme. Si on avait eu souci de lĠEquité et non de la Fraternité, nous serions Haut. […] On donne trop d'importance à ce que messieurs les médecins nomment dans leur langage élégant « les organes uro-génitaux »[33].

C'est dans une lettre à Jules Michelet qu'il met le mieux en évidence le rapport ambigu qu'il entretient avec la figure et la pensée de Rousseau. S'il reconnaît qu'il fait partie du « troupeau de ses petits-fils », il n'en critique pas moins son « influence funeste », car il voit en lui « le générateur de la démocratie envieuse et tyrannique », et le corrupteur du droit pour les cerveaux français qu'il n'a fait qu'obscurcir avec « les brumes de sa mélancolie[34] ». Pour Flaubert qui reprend à son compte la formule de Napoléon selon laquelle « le succès appartient aux apathiques[35] », Rousseau a déversé dans ses œuvres des californies de sentimentalité, et s'est rendu responsable de cette monomanie du sentiment dans les romans, qui sera tournée en dérision dans Bouvard et Pécuchet :

À haute voix et l'un après l'autre, ils parcoururent La Nouvelle Héloïse, Delphine, Adolphe et Ourika. Mais les baillements de celui qui écoutait gagnaient son compagnon, dont les mains bientôt laissaient tomber le livre par terre. Ils reprochaient à tous ceux-là de ne rien dire sur le milieu, l'époque, le costume des personnages. Le cœur seul est traité ; toujours du sentiment ! Comme si le monde ne contenait pas autre chose !

Cette sentimentalité donne toujours à Flaubert l'occasion de blaguer sur le néant hystérique du quotidien familial. « D'ici à quelques jours, je vais avoir dans ma maison des tableaux à la Greuze (scènes d'intérieur) » raconte-t-il à Louise Colet pour résumer le conflit qui oppose sa mère à « une femme de chambre qu'elle croyait lui être fort dévouée, etc.[36] ». Flaubert ne termine pas sa phrase, car il compte sur sa correspondante pour compléter mentalement le vide sémantique laissé dans la locution « etc ». Le pathos est toujours un cliché lacrymal en voie de solidification et Flaubert suppose que Louise Colet a suffisamment lu pour retrouver le stéréotype auquel il fait implicitement référence. Le pathos se présente comme un musée de fossiles que tout le monde a déjà plus ou moins visité ; c'est pourquoi il est inutile de répéter le commentaire du guide. Le pathos a déjà fini la phrase que Flaubert laisse en suspens. Il fonctionne ici comme un effet de la mémoire. C'est un air tellement connu qu'il suffit d'en fredonner les premières notes pour que toute la salle reprenne en chœur. Le pathos est une forme massive de la littérature qui le voue à devenir un art de masse. Voilà aussi pourquoi Flaubert ne peut l'admettre qu'à titre expérimental et provisoire, comme une étape à dépasser dans les années de formation d'un jeune écrivain, ou comme le brouillon d'une œuvre littéraire aboutie.

Pour Flaubert, l'émotion en littérature est « d'un ordre inférieur » ; c'est pourquoi, malgré son admiration pour Manon Lescaut, il ne tient ce roman que pour un « livre secondaire ». Il en vante certes « le souffle sentimental » et « la naïveté de la passion qui rend les deux héros si vrais, si sympathiques, si honorables ». Mais pour être « un grand cri du cœur », ce roman n'en est pas pour autant un grand livre. Flaubert exige des « choses plus épicées, plus en relief », comme on en trouve « à outrance », dans « tous les livres de premier ordre ». La valeur esthétique et éthique que Flaubert place très nettement au-dessus de l'émotion, c'est la vérité :

[Les livres de premier ordre] sont criants de vérité, archidéveloppés et plus abondants de détails intrinsèques au sujet. […] La première qualité de l'Art et son but est l'illusion. L'émotion, laquelle s'obtient souvent par certains sacrifices de détails poétiques, est tout autre chose et d'un ordre inférieur. J'ai pleuré à des mélodrames qui ne valaient pas quatre sous et Goethe ne m'a jamais mouillé l'œil, si ce n'est d'admiration[37].

Flaubert considère finalement l'émotion pathétique comme un dévoiement de l'art et de la littérature, car il est beaucoup plus difficile de faire vrai que de faire pleurer dans un livre. Contrairement à certaines théories esthétiques développées au XVIIIe siècle, les larmes versées par le lecteur ne sont plus une garantie de la valeur d'une œuvre, ni la preuve irréfutable du succès ou de l'aboutissement d'un projet littéraire. Les larmes déréalisent et aseptisent la littérature. La mort de Madame Bovary fera sans doute moins pleurer que celle de Virginie, « mais l'on pleurera plus sur le mari de l'une que sur l'amant de l'autre, et ce dont je ne doute pas, c'est du cadavre. Il faudra qu'il vous poursuive[38] ». L'émotion littéraire est trompeuse et secondaire car elle pourrait faire croire à un possible rachat par l'esthétique. Or Flaubert refuse cette conception lénifiante de la littérature. Dissoudre le cadavre dans la pompe pathétique et dans le flux lacrymal, c'est nier la mort et en dissiper la réalité. Or l'esthétique romanesque doit toujours tendre vers une recherche de la vérité : « La vérité n'est pas faite pour consoler comme une tartine de confitures qu'on donne aux enfants qui pleurent. Il faut la rechercher, voilà tout, et écarter de soi ce qui n'est pas elle[39]. »

Le pathos vise à sublimer la souffrance par la littérature pour la rendre supportable, en subsumant une réalité douloureuse sous la jouissance esthétique. Pour Flaubert, cette tentative est vaine autant d'un point de vue éthique que d'un point de vue littéraire. Ce que le pathos fait perdre en qualité à la littérature ne se traduit par aucun amoindrissement de la souffrance ; l'œuvre est donc perdante sur les deux tableaux : elle n'est ni belle ni consolante. La chimie des larmes inverse dans le pathos les règles élémentaires de toutes les équations : tout se perd, rien ne se transforme. Le pathos constitue un écran opaque entre le sujet et sa souffrance ; or pour Flaubert, la meilleure manière de lui échapper est encore de savoir la regarder en face :

D'où vient que, quand je pleurais, j'ai été souvent me regarder dans ma glace pour me voir ? — Cette disposition à planer sur soi-même est peut-être la source de toute vertu. Elle vous enlève à la personnalité, loin de vous y retenir[40].

Le pathos est contraire à la clairvoyance que Flaubert érige au rang de règle d'hygiène élémentaire et de principe d'écriture. Avant de parler ou d'écrire, il faut voir. Or le pathos empêche la nécessaire digestion du malheur que Flaubert considère comme une propédeutique indispensable à tout projet littéraire : « On n'y voit pas toujours clair en soi et, surtout lorsqu'on parle, le mot surcharge la pensée, l'exagère, l'empêche même[41]. »

Cette rapide traversée de la correspondance de Flaubert prouve assez qu'il a été un lecteur attentif et critique de la littérature du XVIIIe siècle, ce qui lui a souvent permis de développer ses propres conceptions littéraires et de les mettre à l'épreuve des grandes œuvres du siècle précédent. Ce qui s'élabore dans le décousu inévitable de la correspondance, c'est une sorte d'histoire de la littérature en action. Flaubert en propose une catégorisation à partir de certains critères parmi lesquels le pathos occupe une place déterminante. Selon le traitement de l'émotion qu'il analyse au fil de ses lectures, Flaubert trace une ligne de partage entre une littérature personnelle, centrée sur l'expressivité des affects, et une littérature tendant idéalement vers l'impersonnalité et cherchant à atteindre la vérité par un rigoureux travail sur la langue. Cette frontière passe évidemment par lui puisque son œuvre devient à son tour un point de repère essentiel dans l'histoire de la littérature envisagée sous l'angle du traitement du pathos[42]. L'œuvre de Flaubert considérée dans son intégralité est également traversée par cette ligne de démarcation ; en ce sens, la correspondance est l'envers des romans, le déversoir personnel qui permet de maintenir l'idéal d'impersonnalité dans l'écriture romanesque. Elle fonctionne autant comme le laboratoire d'une œuvre en cours de réalisation que comme l'arrière-cuisine où Flaubert enferme tous les déchets et tous les bas morceaux de la création littéraire.

À l'école de Sade : le triomphe de l'apathie

Mais toutes les lectures ne sont pas toujours avouables. Si Flaubert nomme et cite Prévost, Marmontel, Voltaire et Rousseau, il laisse deviner, sans le nommer, qu'il a été,ainsi qu'un grand nombre d'écrivains au XIXe siècle, un grand lecteur de Sade, comme en témoignent certaines formules d'adresse de ses lettres, où il affuble ses amis d'un surnom emprunté à l'onomastique sadienne. « Vieux Bandole », écrit-il à Jules Duplan le 20 septembre 1857. La référence à Sade se confirme dans le contenu de la lettre,puisque Flaubert se compare à Gernande[43]. Quelques jours plus tard il compare George Sand à Dorothée : il s'agit du prénom de Madame d'Esterval dans La Nouvelle Justine[44]. Cette lettre se clôt sur une allusion à Jérôme qui est un des moines libertins du couvent de Sainte-Marie-des-Bois. Dans sa lettre à Jules Duplan du 20 octobre 1857, Flaubert accumule les références aux romans sadiens qu'il résume en un paragraphe dans lequel il fait de son destinataire un nouveau personnage de Sade :

Alemani l'a fait claquer comme un volcan, il s'est perdu dans le lac de Bandole, ou bien asphyxié dans les lieux de Gernande ? Il a été assassiné par Bras-de-fer ? On l'a enlevé pour le mettre au couvent dans la classe des fouteurs de vint-cinq ans ? Il est entré comme maître d'études dans la pension de Rodin (boarding school for young pédérastes) ? Bressac et Jasmin l'ont lié au pied d'un chêne ? Roland lui fait faire de la fausse monnaie ?[45]

Outre son caractère de blague potache au goût assez douteux, cette lettre montre que Flaubert a une connaissance précise des romans de Sade, et de La Nouvelle Justine en particulier, puisqu'il peut en reprendre les épisodes les plus célèbres, même s'il en modifie l'ordre dans cette accumulation parodique qu'il mène au pas de course et qui n'a de sens que par la connivence qu'elle suppose avec son destinataire.

On peut en déduire que Flaubert s'appuie dans cette lettre sur une lecture très récente de Sade. Contrairement aux autres auteurs du XVIIIe siècle auxquels Flaubert fait référence dans sa correspondance, Sade n'est jamais nommé. Il est convoqué implicitement par les noms des personnages de ses romans. Flaubert n'utilise que les noms des libertins, et ne mentionne jamais le nom des victimes. Cet effacement de Justine, l'héroïne éponyme, ne répond pas à une stratégie de dissimulation, inutile dans cette correspondance, d'autant plus que les autres références sont transparentes. C'est plutôt que Flaubert ne s'intéresse pas au point de vue de la victime : elle tient un discours sentimental et pathétique assez proche finalement de celui qu'il dénigre chez Rousseau, Marmontel ou Prévost.

S'il privilégie la référence aux libertins au point de s'identifier parfois à l'un d'eux, par jeu et provocation, c'est sans doute qu'il détecte dans leurs discours et leurs pratiques, un élément résolument nouveau, et qui rompt avec le traitement rousseauiste ou néo-rousseauiste de la souffrance vertueuse. De son admiration pour Voltaire à sa lecture de Sade, on ne peut pas établir de solution de continuité, puisque la première version de La Nouvelle Justine, intitulée Les Infortunes de la vertu, se présente, dans sa structure, comme un conte philosophique. Sade met à l'épreuve du récit et de la succession des épisodes l'axiome moral selon lequel la vertu est toujours récompensée, de même que Voltaire mettait l'optimisme à l'épreuve des multiples pérégrinations narratives de Candide.

Flaubert tient sur Voltaire et Rousseau des propos analytiques assimilables à une forme de critique littéraire ; il s'en garde bien pour ce qui concerne Sade, avec lequel il semble entretenir un rapport à la fois plus immédiat et plus mimétique : il ne le commente pas mais le parodie ou cite le plus souvent le nom de ses personnages. On aurait sans doute tort de réduire cette lecture de Sade par Flaubert à une perversion de l'ermite de Croisset. Même s'il semble n'avoir retenu, dans les romans de Sade, que les scènes libertines en passant rapidement sur les dissertations, il a sans doute perçu dans ces textes l'émergence d'une vision du monde radicalement neuve qui rend périmées et caduques toutes les valeurs triomphantes des romans sensibles du XVIIIe siècle[46]. Quand Flaubert prophétise la faillite du « culte de la mère » en prenant pour modèle la ruine de l'idée de nature et de la sensibilité en vogue au XVIIIe siècle, quand il s'en prend à des valeurs comme le progrès ou la démocratie, il est beaucoup plus le petit-fils de Sade que celui de Rousseau, quoi qu'il en dise.

Il trouve dans sa lecture de Sade un antidote au sirop des bons sentiments et aux lourdeurs vertueuses du pathos, car Sade est bien celui qui a versé «de l'eau-de-vie sur [son] siècle d'eau sucrée », comme Flaubert cherche à le faire sur son époque[47]. Sade fait en effet de l'apathie le maître mot de l'idéologie libertine, ce qui ne peut qu'emporter l'adhésion de Flaubert qui lutte contre l'hégémonie du sentiment dans le champ de la morale et de l'esthétique.

Corollairement, Sade utilise l'ironie comme principe éthique et stylistique, ce qui en fait pour Flaubert un maître moins avouable certes que Voltaire, mais tout aussi efficace dans l'élaboration d'une vision du monde et d'une écriture. « L'ironie pourtant me semble dominer la vie », écrit-il à Louise Colet[48]. Mais l'ironie flaubertienne ne se réduit pas pour autant à une imitation servile des procédés de Sade. Flaubert lui reprend cependant l'idée que le romancier peut adopter un autre point de vue que celui de la victime, et jouer de ce décalage.

C'est ainsi qu'il écrit à propos de Madame Bovary : « Ce sera, je crois, la première fois que l'on verra un livre qui se moque de sa jeune première et de son jeune premier[49]. » Ce principe est à la base du roman sadien : le romancier fait rire son lecteur des malheurs de Justine, et l'oblige du même coup à adopter le point de vue des libertins. Toute compassion étant ainsi interdite, le pathos est entièrement éliminé car il est atteint dans son principe même.

Pour les auteurs qui, au XVIIIe siècle s'élèvent contre la vague pathétique, comme pour Flaubert, le refus du pathos est fondé sur des raisons à la fois éthiques et esthétiques. Le pathétique semblait capable d'établir une transparence entre les consciences, et une adéquation du langage et de l'homme. Mais le pathos, s'il peut être feint et manipulateur, réintroduit un obstacle insurmontable dans cet idéal, et jette le discrédit sur le langage qui devient moins un outil d'expression qu'un instrument de pouvoir. Le pathos, en tant qu'il peut être compris comme une perversion du langage et comme un puissant moyen de pression sur le destinataire, fausse l'échange des idées et les rapports humains.

Anne Coudreuse



[1] Flaubert, Correspondance, édition de J. Bruneau, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1980, t. II, p. 78, à Louise Colet (24 avril 1852).

[2] Ibid., p. 86, à Louise Colet (8 mai 1852). Voir t. I, p. 247, à Alfred le Poittevin (juillet 1845) : « J'analyse toujours le théâtre de Voltaire. C'est ennuyeux mais ça pourra m'être utile plus tard. On y rencontre néanmoins des vers étonnamment bêtes. » Voir t. II, p. 370, à Louise Colet (2 juillet 1853) : « Il y a un poème du marquis du Belloy que je n'ai pu achever, et pourtant je suis un intrépide lecteur. Quand on a avalé du saint Augustin autant que moi, et analysé scène par scène tout le théâtre de Voltaire, et qu'on n'en est pas crevé, on a la constitution robuste à l'endroit des lectures embêtantes. »

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Ibid. Flaubert écrit Velléda pour Les Martyrs, le roman dans lequel apparaît le personnage de Velléda (hypothèse de La Pléiade) ou bien pour Atala, que l'on associe souvent à René.

[6] Ibid., p. 417, à Louise Colet (26 août 1853).


[7] Ibid., t. III, p. 575, à George Sand (5 décembre 1866).

[8] Ibid., t. III, p. 557, à Louise Colet (22 avril 1854). Voir p. 127, à Louise Colet (6 juillet 1852) : « La passion ne fait pas les vers. — et plus vous serez personnel, plus vous serez faible. […] Moins on sent une chose, plus on est apte à l'exprimer comme elle est. »

[9] Ibid., t. II, p. 163, à Louise Colet (25 septembre 1852).

[10] Ibid., t. II, p. 128, à Louise Colet (6 juillet 1852) : « Je déteste la poésie parlée, la poésie en phrases. […] Les exhalaisons d'âme, le lyrisme, les descriptions, je veux de tout cela en style. Ailleurs c'est une prostitution, de l'art, et du sentiment même. […] Sont de même farine tous ceux qui vous parlent de leurs amours envolés, de la tombe de leur mère, de leur père, de leurs souvenirs bénis, qui baisent des médaillons, pleurent à la lune, délirent de tendresse en voyant des enfants, se pâment au théâtre, prennent un air pensif devant l'Océan. Farceurs ! farceurs ! et triples saltimbanques ! qui font le saut du tremplin sur leur propre cœur pour atteindre à quelque chose. J'ai eu aussi, moi, mon époque nerveuse, mon époque sentimentale, et j'en porte encore, comme un galérien, la marque au cou. Avec ma main brûlée j'ai le droit maintenant d'écrire des phrases sur la nature du feu. »

[11] Ibid., p. 508-509, à Louise Colet (15 janvier 1854).

[12] Ibid., p. 641, à Jules Duplan (11 octobre 1856).


[13] Ibid., t. III, p. 157, à Ernest Feydeau (19 juin 1861).

[14] Ibid., t. II, p. 348, à Louise Colet (6 juin 1853). Voir t. I, p. 210, à Louis de Cormenin (7 juin 1844)  : « J'avoue que j'adore la prose de Voltaire et que ses contes sont pour moi dĠun ragoût exquis. JĠai lu Candide vingt fois ; je lĠai traduit en anglais et je lĠai encore relu de temps à autre. »

[15] Ibid., t. II, p. 417, à Louise Colet (26 août 1853). Cependant Flaubert émet immédiatement la réserve suivante : « Mais jĠaurais bien défié Voltaire de faire la description seulement dĠun de ces tableaux de Raphaël dont il se moque. Ce qui me semble, à moi, le plus haut dans lĠArt (et le plus difficile), ce nĠest ni de faire rire, ni de faire pleurer, ni de vous mettre en rut ou en fureur, mais dĠagir à la façon de la nature, cĠest-à-dire de faire rêver. »

[16] Ibid., t. II, p. 385, à Louise Colet (15 juillet 1853).

[17] Ibid., t. II, p. 172, à Louise Colet (9 octobre 1852).

[18] Ibid., t. III, p. 72, à Edma Roger des Genettes (début de janvier 1860).

[19] Ibid., t. II, p. 336, à Louise Colet (26 mai 1853).

[20] Ibid., t. II, p. 718, à Mademoiselle Leroyer de Chantepie (18 mai 1857). Voir aussi dans le t. III, p. 5, à Ernest Feydeau (le 11 janvier 1859) : « Le culte de la mère sera une des choses qui fera pouffer de rire les générations futures. Ainsi que notre respect pour l'amour. Cela ira dans le même sac aux ordures que la sensibilité et la nature d'il y a cent ans. »

[21] Ibid., t. III, p. 53, à Ernest Feydeau (26 octobre 1859).

[22] Ibid., t. III, p. 61, novembre 1869.


[23] Ibid., t. II, p. 444, à Louise Colet (30 septembre 1853).

[24] Voir t. III, p. 52-53, à Ernest Feydeau (26 octobre 1859)  : « Je sais bien que la douleur est un plaisir et qu'on jouit de pleurer. Mais l'âme s'y dissout, l'esprit se fond dans les larmes, la souffrance devient une habitude et une manière de voir la vie qui la rend intolérable. […] Les gens comme nous doivent avoir la religion du Désespoir. Il faut qu'il soit à la hauteur du Destin, c'est-à-dire impassible comme lui. À force de se dire : “Cela est, cela est, cela est”, et de contempler le trou noir, on se calme. […] je ne te donne aucune consolation. Je regarde ce genre de choses comme une injure. »

[25] Ibid., t. II, p. 138, à Louise Colet (22 juillet 1852).

[26] Ibid., t. II, p. 569-570, à Louis Bouilhet (16 octobre 1854).

[27] « Je raconterai plus tard quels acides ont rongé les transparences déformantes qui m'enveloppaient, quand et comment j'ai fait l'apprentissage de la violence, découvert ma laideur — qui fut pendant longtemps mon principe négatif, la chaux vive où l'enfant merveilleux s'est dissous — par quelle raison je fus amené à penser systématiquement contre moi-même au point de mesurer l'évidence d'une idée au déplaisir qu'elle me causait » (Les Mots, 1964, Gallimard, Folio, p. 204).

[28] Ibid., t. II, p. 526, à Louise Colet (25 février 1854).

[29] Ibid., t. II, p. 498, à Louise Colet (2 janvier 1854). Voir aussi p. 529, à Louise Colet (2 mars 1854)  : « Et c'est quelque chose, le rire : c'est le dédain et la compréhension mêlés, et en somme la plus haute manière de voir la vie, “le propre de l'homme” comme dit Rabelays. Car les chiens, les loups, les chats et généralement toutes les bêtes à poil, pleurent. »

[30] Ibid., t. II, p. 603, à Louis Bouilhet (1er octobre 1855).

[31] Ibid., t. II, p. 170, à Louise Colet (7 octobre 1852).


[32] Ibid., t. III, p. 708, à Jules Duplan (15 décembre 1867).

[33] Ibid., t. III, p. 720, à Amélie Bosquet (2 janvier 1868).

[34] Ibid., t. III, p. 701, à Jules Michelet (12 novembre 1867).

[35] Ibid., t. II, p. 587, à Louis Bouilhet (15 août 1855).


[36] Ibid., t. II, p. 278, à Louise Colet (25 mars 1853).

[37] Ibid., t. II, p. 432-433, à Louise Colet (16 septembre 1853).

[38] Ibid.


[39] Ibid., t. III, p. 131, à Edma Roger des Genettes (1860).

[40] Ibid., t. II, p. 84-85, à Louise Colet (8 mai 1852).

[41] Ibid., t. II, p. 158, à Louise Colet (19 septembre 1852).

[42] Voir l'article de Nathalie Sarraute intitulé « Flaubert le précurseur » dans ses Œuvres complètes, Gallimard, « La Pléiade », 1996 (p. 1623-1640) : dans Madame Bovary, « pour poursuivre aussi loin que possible sa recherche, pour percer à jour l'apparence, pour découvrir une substance romanesque nouvelle et pour lui donner vie, Flaubert a choisi la place juste. À la fois à distance et pourtant entièrement engagée. De là lui vient cette extraordinaire clairvoyance que donnent la répulsion et la haine, et aussi cette tendresse qui s'y mêle, pour ce qu'on a soi-même éprouvé. […] Dans Madame Bovary, à tout moment, l'apparence, percée à jour, nous met en présence d'une substance romanesque si admirablement recréée qu'elle conserve toute la complexité et la richesse d'une substance vivante. Aussi voit-on, dans ce roman, des sentiments authentiques prendre leur départ des clichés les plus niais. […] Inversement le sentiment sincère parfois débouche sur le cliché » (texte paru initialement dans Preuves, nº 168, février 1965, puis repris en recueil chez Gallimard en 1986).

[43] Ibid., t. II, p. 764. On sait que M. de Bandole et le comte de Gernande sont des libertins de La Nouvelle Justine.

[44] Ibid., t. II, p. 766, à Jules Duplan (4 octobre 1857).

[45] Ibid., t. II, p. 770, à Jules Duplan (20 octobre 1857).

[46] Voir Roland Barthes, Sade, Fourier, Loyola, Seuil, 1971, « La dissertation, la scène » : « Celui qui feuillette les livres de Sade sait bien que deux grandes formes typographiques y alternent : des pages serrées, suivies : c'est la grande dissertation philosophique ; des pages coupées de blancs, d'alinéas, de point de suspension, d'exclamation, langage tendu, troué, vacillé : c'est l'orgie, la scène libidineuse ou criminelle. Quoi qu'en fasse la pratique de lecture (plus ou moins paresseuse), ces deux blocs sont à égalité : la dissertation est un objet érotique » (Œuvres complètes, Le Seuil, 1994, t. 2, p. 1144).

[47] Voir supra, note 13.


[48] Ibid., t. II, p. 84, à Louise Colet (8 mai 1852).

[49] Ibid., t. II, p. 172, à Louise Colet (9 octobre 1852).

RETOUR : Études