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Pierre Campion : Michelet et la Révolution française. Sous le signe de la tempête

Mis en ligne le 4 avril 2024.
© : Pierre Campion.

 Paule Petitier dir., Déchiffrer la tempête. Michelet et la Révolution française, Presses universitaires de Rennes, coll. Interférences, 2024.


Michelet et la Révolution française
Sous le signe de la tempête

Présenté et conduit par Paule Petitier avec de nombreuses collaborations, le projet de ce livre a une histoire et développe une ambition. Il fait suite à une édition de L'Histoire de la Révolution française publiée en 2019 dans la collection de la Pléiade par Paule Petitier[1]. Le titre de ce livre et l'image de sa couverture se proposent d'examiner sous la métaphore de la tempête l'œuvre de Michelet et la vision qu'il offre de la Révolution française.

Et, de fait, au moment que, retiré à Nantes, il va aborder l'année 1794 de la Révolution et le récit de la grande Terreur, Michelet lui-même évoque les tempêtes de l'Atlantique qui ont inspiré son récit :

Je plonge avec mon sujet dans la nuit et dans l'hiver. Les vents acharnés de tempêtes qui battent mes vitres depuis deux mois sur ces collines de Nantes, accompagnent de leurs voix, tantôt graves, tantôt déchirantes, mon dies irae de 93. Légitimes harmonies ! je dois les remercier. Bien des choses qui me restaient incomprises, m'ont apparu claires ici dans la révélation de ces voix de l'Océan (janvier 1853).

Ce qu'elles me disaient surtout, dans leurs fureurs apparentes, dans leurs aigres sifflements qui perçaient mon toit, dans le cliquetis sinistrement gai dont frémissaient mes fenêtres, c'était la chose forte et bonne, consolante : Que ces menaces de l'hiver, toutes ces semblances de mort n'étaient nullement la mort, mais la vie tout au contraire, le profond renouvellement. Aux puissances destructives, aux violentes métamorphoses où vous la croiriez abîmée, échappe, élastique et riante, l'éternelle ironie de la nature.

Telle la nature, telle ma France. […] (II, p. 817-818)

Telle la Révolution, telle ma Révolution française ? Dans la nature, les tempêtes sont les mouvements bienfaisants qui la renouvellent en elle-même ; de même la Révolution française à l'égard de la France ; et mon livre, tardive et heureuse découverte, à l'égard de la Révolution française.

Nous sommes en 1853, l'œuvre est en voie d'achèvement, elle va aborder la dernière période de la Révolution : la mort des Enragés, puis celle de Danton, puis celle de Robespierre. Rétrospectivement, Michelet commence à voir le dessein d'ensemble de son livre, et la tempête venue de l'Atlantique lui en offre le sens : celui de deux tempêtes, celle de la Révolution française et celle de son livre, qui lui a longtemps échappé. Si l'on entend ainsi l'un de ces nombreux passages où Michelet suspend son récit pour s'interroger sur son œuvre, la métaphore est des plus éclairante.

Mais, au vrai, que dit ce passage ? Les tempêtes de l'Atlantique ne délivrent aucun message codé de signes. Elles n'en ont cure. C'est un écrivain qui les entend, un écrivain qui en a presque terminé avec son récit et qui, dans le dernier développement de ce récit, comprend enfin ce que son travail signifie : que la Révolution française est une grâce de la Nature. Jusqu'à cet instant, un empêchement l'arrêtait, l'idée reçue de tous les historiens jusqu'à lui, Michelet, selon laquelle la Révolution française est un malheur. À ce moment de l'œuvre, la survenue des tempêtes d'hiver suggère à cet écrivain de retourner la Révolution française de malheur en bonheur et, en même temps, le sens de son livre : comme en toute grande œuvre, cette révolution se passe dans le processus de son invention. C'est une expérience d'écrivain, sur laquelle Michelet s'explique beaucoup moins que Proust sur la sienne.

Dans le titre de Déchiffrer la tempête. Michelet et la Révolution française, il y a le mot et l'idée d'un déchiffrement — d'un Michelet comme le puissant enregistreur de la tempête révolutionnaire, à l'image, on pourrait le supposer, des grands ordinateurs de notre Météorologie nationale. Avec cette deuxième image, on passerait à l'idée d'une réalité historique problématique (ou d'un mystère dans l'Histoire) dont Michelet aurait la clé : à la Révolution française comme un ensemble de signes dont l'Histoire de la Révolution française proposerait la sémiologie à plusieurs disciplines universitaires.

C'est ce qui apparaît dans le projet tel qu'énoncé par Paule Petitier dans l'Introduction générale et la conclusion, et tel que développé dans la composition des collaborations. Dans le présent livre, il y a une perspective historienne dominante qui énumère les circonstances de l'œuvre et l'avenir de la Révolution selon Michelet, cette perspective inspirant également un grand nombre des collaborations, dans lesquelles se manifeste aussi une histoire des idées. Il y a donc la philosophie. Il y a enfin une géographie de la Révolution qui désigne Paris. Et il y a surtout l'idée, soulignée par toute la deuxième partie du livre, que cette œuvre-là appartient à l'ordre de la littérature et à la spécialité des littéraires. Sous le titre de « Poétique de la Révolution », cette partie des études diverses proposées ici par des littéraires, intéressante chacune mais qui paraissent assez peu en rapport avec la problématique centrale de la tempête.

La logique d'une métaphore

Dans quelle dépression s'engouffre cette tempête-là ? Tournons-nous maintenant vers les tout débuts de l'œuvre, quand elle raconte les circonstances et déterminants de sa conception.

Cela commence par une longue méditation de professeur en vacance, que guette une certaine dépression saisonnière, celle que connaissent tous les  professeurs : « Chaque année, lorsque je descends de ma chaire, que je vois la foule écoulée, encore une génération que je ne reverrai plus, ma pensée retourne en moi » :

Je rentre en moi. J'interroge sur mon enseignement, sur mon histoire, sur son tout-puissant interprète, l'esprit de la Révolution. 

Lui, il sait. Et les autres n'ont pas su. Il contient leur secret, à tous les temps antérieurs. En lui seulement la France eut conscience d'elle-même. Dans tout moment de défaillance où nous semblons nous oublier, c'est là que nous devons nous rechercher, nous ressaisir. Là se garde toujours pour nous le profond mystère de vie, l'inextinguible étincelle. (Préface, I, p. 5) 

Cet état de désolation et cette décision ne conduisent pas aux considérations historiques sur l'orientation politique du cours et les incidents le concernant ou qui vont le concerner. Dans le ton prophétique qui va être celui de cette Histoire (« Il est venu et ils ne L'ont pas reconnu »), Michelet dit d'où son œuvre procède (de son cours au Collège de France, le problème étant de transformer un discours fugace en livre solide et définitif, en monument), le caractère de dévoilement qu'elle revêtira, d'où ou de qui elle tirera son inspiration (du génie impérissable de la Révolution), et le mode d'existence de ce génie : en lui-même, l'écrivain, sous la personne mythologique de la Révolution intériorisée. Work in progress s'il en est, l'œuvre raconte sa propre histoire et en fait le commentaire.

Car, dit le texte, la Révolution française n'a pas laissé de monuments : le Champ de Mars est abandonné à la poussière brûlante des vents, le Jeu de Paume à la ruine du temps :

Nous aussi nous l'avons revu, en 1846, ce témoin de la liberté, ce lieu dont l'écho répéta sa première parole, qui reçut, qui garde encore son mémorable serment. […] Quand nous posâmes le pied sur ses dalles vénérables, la honte nous vint au cœur de ce que nous sommes, du peu que nous avons été. Nous nous sentîmes indigne, et sortîmes de ce lieu sacré. (I, p. 100)

Il y a même un autre vide dépressionnaire propice à la tempête, que l'étude d'Aude Déruelle désigne ici impeccablement, celui de l'historiographie naissante de la Révolution française, que notamment n'a pas rempli l'Histoire des Girondins de Lamartine[2] :

L'affaire avait été fort embrouillée par Thiers. Mais cela n'était rien encore. Voici venir Lamartine, comme l'inondation de la Loire qui, par-dessus la bonne terre, met cent pieds de haut, en sable, en limon. Si nous avons encore bientôt un autre improvisateur qui nous hébète de talent et complète l'obscurité, la France sera à l'état […] d'un idiot qui a oublié son nom (1850, lettre à George Sand, citée par A. Déruelle, p. 37).

Retenons cette date tardive, d'une intention polémique qui n'était pas dans l'origine de l'œuvre et cette image de l'idiot qui a oublié son nom. Les choses se précisent à mesure que l'œuvre avance et qu'un écrivain consacré se présente en concurrent sur le chantier : le litige n'est pas exactement entre l'historien et le poète mais entre le poète et un genre d'histoire à faire advenir dans un vide de la littérature. Un sujet fragile et malheureux (Jules Michelet), empoigné par son objet (la Révolution française), devient un écrivain (Michelet) qui suspend son projet d'Histoire de France pour écrire l'Histoire d'une absente de tous lieux et de tous temps, peut-être bien pour toujours.

Cette tâche sacrée aura ses développements, scandés par l'auteur lui-même. On a vu le moment de 1853 et celui de la première préface. Voici, sur le terrain sensible de la religion, celui d'une péripétie en forme de repentir, d'avoir été un homme de peu de foi :

Aujourd'hui, rentré en moi-même, le cœur plus brûlant que jamais, je te fais amende honorable, belle Justice de Dieu…

C'est toi qui es vraiment l'Amour, tu es identique à la Grâce…

Et comme tu es la Justice, tu me soutiendras dans ce livre, où mon cœur me frayait la route, jamais mon intérêt propre, ni aucune pensée d'ici-bas. Tu seras juste envers moi, et je le serai envers tous… Pour qui donc ai-je écrit ceci, si ce n'est pour toi, Justice éternelle ? 

31 janvier 1847. (Introduction, fin, I, p. 68)

L'écrivain, dans la figure nouvelle du Justicier de droit divin. Début 1847, à mi-chemin de la tâche entreprise en 1843 et terminée en 1853, il met son livre au passé de ce qui a déjà été écrit, en garantie de son accomplissement.

Bien plus tard en effet, en 1868, quinze ans après que le chantier aura été mené à bien de son Histoire de la Révolution française :

Cette œuvre laborieuse, qui a rempli huit années de ma vie, n'a eu la bonne fortune des improvisations venues en temps paisible. Elle a été écrite en plein événement. […] Toute voix littéraire s'était tue ; toute vie semblait interrompue. Ne voyant que ma tâche, au fond de nos archives, travaillant seul encore sur les ruines d'un monde, je pus croire un moment que je restais le dernier homme. (Préface d'octobre 1868, II, p. 1107)

Vision rétrospective de la dépression collective subie sous la monarchie de Juillet, dont un poète comme Nerval fut, par ailleurs et tout autrement, l'un des témoins. Et toujours les marques d'une solitude absolue et le sentiment d'avoir écrit une apocalypse devant la tâche démesurée d'avoir eu à raconter un événement singulier dans l'histoire de l'humanité.

Quand commence et quand finit la Révolution française ?

Voilà une question qui paraît relever d'une étude dramaturgique classique. Or il n'en est rien. Parmi toutes les périodisations possibles et nombreuses, choisir comme début la convocation du peuple en vue des États généraux et comme fin la mort de Robespierre, c'est décrire une tempête venue du fond des paroisses et une fin catastrophique, c'est encore comprendre la Révolution comme désormais absente, comme un météore passager, qui n'a laissé que quelques souvenirs.

Lisons la fin du livre, ou plutôt la fin de l'œuvre, lisons l'œuvre, du début à la fin. Elle disait : « La Révolution est en nous, dans nos âmes ; au dehors, elle n'a point de monument. Vivant esprit de la France, où te saisirai-je, si ce n'est en moi ? » (I, p. 5).

Là était le premier coup de force de Michelet, qui se déroulait dans l'imaginaire de l'écrivain. L'autre, aux dernières lignes du livre, inattendu et apparemment disproportionné, ce sera de produire un témoin encore vivant de Thermidor, un enfant d'alors, surpris dans la rue par une expression d'ancien régime, inconnue de lui et revenue dans la langue des Français[3] :

Peu de jours après Thermidor, un homme qui vit encore et qui avait alors dix ans, fut mené par ses parents au théâtre, et à la sortie admira la longue file de voitures brillantes qui, pour la première fois, frappaient ses yeux. Des gens en veste, chapeau bas, disaient aux spectateurs sortants : « Faut-il une voiture, mon maître ? » L'enfant ne comprit pas trop ces termes nouveaux. Il se les fit expliquer, et on lui dit seulement qu'il y avait eu un grand changement par la mort de Robespierre. (II, p. 1096)

Le lyrisme de Michelet se fonde ainsi dans l'intime d'un moi d'écrivain qui réunit en un « je » (un métier d'historien et une sensibilité à l'Histoire), un nous (universel), et le génie un et indivis de la France. Écrivant son livre, il prend de très haut, dans le sol de la France, tout ce qui a amené la Révolution, la Révolution elle-même et l'abîme dans lequel elle s'est anéantie, à peine commencée.

La tempête est un météore, elle survient, elle s'en va, laissant dans « les anciens » et dans quelques cœurs son souvenir.

Le style de la Révolution française à travers son Histoire

Comme l'écrit très justement Paule Petitier dès le début de son Introduction, « l'Histoire de la Révolution française de Michelet se veut l'analogue de la Révolution, le livre qui en restitue l'élan, l'énergie, l'espoir, bien plus qu'un livre sur la Révolution ». Mais, loin de toute sémiologie qui arrêterait le mouvement de l'apocalypse, il faut chercher les grands traits de ce mouvement.

Il y a des scènes, à rendre à jamais inoubliables : le coup du couteau de Charlotte Corday tombant de haut en plein cœur de Marat, en toute ignorance de la jeune fille mais avec une précision anatomique, puis la procession de la meurtrière vers l'échafaud, dans la robe rouge des parricides, et dans la gloire d'un après-midi d'été ; la mort d'un roi qui était devenu un homme et les victoires de la République ; la mort de Robespierre réduite à son cri de douleur et celle de Danton : sa tête exposée à sa demande aux quatre coins de l'échafaud. Des images en effet impérissables, transmises par les manuels de la Troisième République[4].

Il y a des portraits, dynamiques. Ce sont par principe des descriptions en action, qui, pour les personnages principaux, surviennent différente chacune, à l'occasion de leurs actes quand ils se concrétisent, et, pour les plus grands plusieurs fois, autant qu'ils créent d'actions, ou qu'ils les manquent :

Que d'hommes en un homme ! Qu'il serait injuste pour cette créature mobile, de stéréotyper une image définitive ! Rembrandt a fait trente portraits de lui, je crois, tous ressemblants, tous différents. […] Si l'on prend la peine de suivre dans ces deux volumes chacun des grands acteurs historiques, on verra que chacun d'eux a toute une galerie d'esquisses, touchées chacune à sa date, selon les modifications physiques et morales que subissait l'individu. (« De la méthode et de l'esprit de ce livre », I, p. 594)

À tel instant de vérité, quand Billaud-Varenne, au Comité de salut public, prononce la phrase « Il faut faire mourir Danton », huit portraits pour un en moins d'une page, dans une écriture au scalpel : « Billaud était la Terreur pure ; il ignorait solidement et volontairement le passé, et il n'avait au cœur aucun sens de l'avenir. La mécanique était son idée fixe, et il voulait à tout prix, simplifier la machine. » « Couthon était Robespierre même, et Saint-Just plus que Robespierre. Il mordit à la chose par son génie de tyran, par son orgueil de probité, croyant volontiers tout ce qu'on disait de la corruption de Danton, tenté aussi par le péril et l'audace d'un tel coup. » « Collot d'Herbois, fort branlant, trop heureux d'être à temps séparé d'Hébert, seul hébertiste dans le Comité, n'osa tout à coup se faire dantoniste, et démasquer l'alliance. Carnot, Barère avaient sujet d'être encore plus inquiets. Lindet, plongé dans ses bureaux, s'y renfonça plus que jamais et seulement fit sous main avertir Danton » (II, p. 896). Et Robespierre, au mot de Billaud :

Quand ce mot horrible, que personne n'eût osé dire, fut lâché, Robespierre sauta… Il s'écria comme l'homme qui a un cruel apostume dont il souffre infiniment ; si pourtant on y met l'acier, la piqûre libératrice lui arrache un cri. Il fut, je n'en fais nul doute, effrayé, navré, ravi.

Espaces judicieusement distribués et articulés, moins en nombre de pages que par une justice impartiale rendue à chacun, non pas exactement selon ses mérites mais suivant sa part d'actions ou d'inaction dans la Révolution.

Cette impartialité ne tient pas seulement à la déontologie de l'historien ni même aux arbitrages que le poète de cette histoire rend entre ses héros. Elle exprime l'équanimité du Style qui participe à une instance deux fois supérieure, l'Esprit de la Révolution et la Justice de Dieu.

Quant à Robespierre, ici dépeint en trois adjectifs, tout le livre va à son exécution, à son dernier cri, à travers le récit de tous ses actes ou de ses absences et les moments de tous ses avatars.

Il y a des tableaux. Après l'exécution de Robespierre :

Respirons, détournons les yeux. « À chaque jour suffit sa peine. » Nous n'avons pas ici à raconter ce qui suivit, l'aveugle réaction qui emporta l'Assemblée et dont elle ne se releva qu'à peine en Vendémiaire. […] Paris redevint très gai. Il y eut famine, il est vrai, mais le Perron rayonnait, le Palais-Royal était plein, les spectacles combles. Puis, ouvrirent ces bals des victimes, où la luxure impudente roulait dans l'orgie de son faux deuil. (II, p. 1095-1096)

Tel est le classicisme de Michelet, renouvelé de la grande école des moralistes français et réapproprié ; telle est, en son temps et dans le nôtre, sa modernité. Dans ce livre il circule encore une énergie fabuleuse, à tous les sens du mot, recueillie, préservée, portée comme un feu appelé à reprendre. Michelet, ou lâcher les chevaux du style.

Michelet dans la littérature

C'est bien le projet ultime de Paule Petitier et de ce livre, projet auquel il manquerait les grands et moins grands partenaires, les équivalents qui se mobilisent jusqu'à nos jours devant et dans l'événement de la Révolution française, les égaux.

Chateaubriand, de son manqué Essai sur les Révolutions (1797) jusqu'au finale visionnaire des Mémoires d'outre tombe.

Victor Hugo, de Cromwell et sa Préface à Quatrevingt-treize, quand à chaque fois il s'affronte au mystère de la Révolution française, en tentant de renouveler un genre de la littérature, théâtre ou roman…

Faut-il nommer le jeune révolutionnaire allemand, Georg Büchner et sa Mort de Danton, pièce météorique dans le théâtre de son époque et dans le nôtre, non jouée en France avant Vilar[5] ?

Et puisque Pierre Michon est nommé tout à la fin du livre, comme l'un des contemporains qui font figures d'irréguliers dans l'ombre de Michelet, notons que Michelet précisément est l'un des personnages de ses Onze, chargé d'authentifier le tableau fictif d'« un grand peintre » fictif, celui qui est censé représenter les onze membres du Comité de salut public de 1794[6]. Michelet qui, dans sa jeunesse se serait raconté s'être évanoui de stupeur et de jalousie devant le tableau de François-Élie Corentin — quel nom, venu peut-être de Balzac ! Chef-d'œuvre de l'ironie chère à Michelet et d'un culot sans pareil, conçu dans l'idée que, devant la Terreur, peut-être la fable est-elle le genre le plus approprié dans la littérature — quand il n'est pas possible de regarder fixement la Révolution française.

Pierre Campion



[1] Michelet, Histoire de la Révolution française, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, tomes I et II, 2019, par Paule Petitier. Dans le présent livre, toutes les citations de l'œuvre renvoient à cette édition. Je ferai de même.

[2] Aude Déruelle : « L'historien et le poète. Michelet face à l'Histoire des Girondins », p. 35 à 45. Aude Déruelle, professeur de Lettres, est l'une des collaboratrices de l'édition Petitier dans la Pléiade.

[3] Qui pourrait bien être ce témoin masqué né vers 1784, et qui paraît in extremis ?

[4]  De son vivant et en tant que son propre éditeur, Michelet se refuse à introduire des illustrations dans son livre : l'écriture se suffit à elle-même. Voir la contribution de Margot Renard, « Images chorales et images confuses. Les illustrations de l'édition Hetzel de l'Histoire de la Révolution française (1883) ». Sur la scénographie dans Michelet, voir la contribution de Corinne Saminadayar-Perrin, « Scénariser l'histoire de la Révolution française ».

[5] Le texte de la pièce de Büchner est de 1835. L'auteur est si conscient de la rupture de sa pièce avec l'esthétique de l'idéalisme allemand qu'il en confie l'exposé du principe à l'un de ses deux héros, Camille Desmoulins. En 1948 à Avignon. Adamov, son traducteur, s'étonnait que Vilar fasse jouer cette pièce où la Révolution française n'est pas ménagée en plein début de la guerre froide…

[6] Pierre Michon, Les Onze, Verdier 2009.

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