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Pierre Campion : De Ricœur à Macron : essai d'interprétation

Mis en ligne : 3 juillet 2017.


De Ricœur à Macron : essai d'interprétation

Dans l'entourage et dans le travail de Ricœur, Emmanuel Macron survient en 1998 ou 1999. Pour mettre la dernière main au livre qui doit paraître en 2000, La Mémoire, l'histoire, l'oubli, le philosophe a besoin d'un aide : mettre en forme les références, assurer la cohérence des notes de bas de page, éviter les redites, relire au besoin, c'est la tâche plutôt ingrate que connaît tout auteur in fine et qui est trop lourde à soulever pour cet homme âgé. Son biographe, François Dosse, lui présente l'un de ses étudiants de Sciences Po. Celui-ci fera l'affaire et, dans l'avertissement du livre, l'auteur le remerciera en ces termes, qui l'associent à deux autres de ses aides et familiers : « Je mets à part les noms de ceux qui, outre leur amitié, m'ont fait partager leur compétence : François Dosse qui m'a conseillé dans l'exploration du chantier de l'historien, Thérèse Duflot qui, à la faveur de sa force de frappe, est devenue ma première lectrice, vigilante et parfois impitoyable, enfin Emmanuel Macron à qui je dois une critique pertinente de l'écriture et la mise en forme de l'appareil critique de cet ouvrage[1]. » S'agissant d'un garçon inconnu et qui n'a pas encore vingt-trois ans, ce n'est pas rien que de lui attribuer un rôle de lecteur critique dans un ouvrage de fond qui pourrait être le dernier, et qui le sera en effet.

Seize ans plus tard, quand Emmanuel Macron publie Révolution, le livre programme de sa campagne présidentielle, il évoque la « relation unique » qu'il a entretenue avec Ricœur, comme un moment essentiel dans son récit de vie :

[…] je travaillais, commentais ses textes, accompagnais ses lectures. […] Il m'a appris comment penser par les textes au contact de la vie. Dans un va-et-vient constant entre la théorie et le réel. Paul Ricœur vivait dans les textes, mais avec cette volonté d'éclairer le cours du monde, de construire un sens pour le quotidien. […] Ne jamais s'enfermer dans une théorie qui ne se confronte pas avec les choses de la vie. C'est dans ce déséquilibre permanent, mais fécond, que la pensée peut se construire et que la transformation politique peut se faire. […] On est ce que l'on apprend à être aux côtés de ses maîtres. Ce compagnonnage intellectuel m'a transformé. C'était cela Ricœur. Une exigence critique, une obsession du réel et une confiance en lÔautre. J'ai eu cette chance et je la sais[2].

Au delà de ce récit d'éducation peut-être intéressé à invoquer un patronage prestigieux et de ce que les familiers de l'œuvre de Ricœur ont pu en révéler ici ou là jusqu'ici, et sans attendre les recherches dans les archives de Ricœur qui pourront apporter plus d'informations, il convient de s'interroger sur l'esprit que ce récit indique : la « complicité » dès le premier soir entre l'élève et le maître, la profondeur d'une entente en philosophie, le débouché sur une perspective et une action politiques.

Entre cet « éducateur politique[3] » que voulait être Ricœur depuis longtemps et Emmanuel Macron, et par delà certains thèmes ponctuels, qu'est-ce qui aurait pu passer pendant les quelques années de leur rencontre ? Quelles leçons de vie et de pensée ? Un esprit peut-être, une inspiration ?

Pour essayer de répondre, je me propose d'emprunter la méthode du « long détour » chère à Ricœur.

Le mouvement propre de Ricœur : une percée dans le champ de la philosophie

Remontons au début des années 1960, que Macron pouvait connaître par sa culture, à travers la lecture de la biographie de Ricœur par François Dosse et par les confidences du philosophe. La prégnance de la pensée marxiste demeurait alors presque intacte dans l'intelligentsia française et, par ailleurs, la montée du structuralisme et des sciences humaines paraissait irrésistible : de ces deux influences, témoignent, entre autres, l'inquiétude de Sartre lui-même et le terrain qu'il fut obligé de leur concéder. D'autre part, la tentative de Merleau-Ponty pour renouveler la pensée phénoménologique échouait sur sa mort prématurée[4].

De tout cela Ricœur est conscient. Il vient du monde chrétien et de la philosophie morale (la volonté, la culpabilité, la symbolique du mal…), c'est-à-dire de pensées dont la fécondité paraît alors épuisée et, même, la légitimité contestée. Dans ce champ-là de la philosophie — dirait plus tard Bourdieu —, la position de Ricœur est devenue très difficile et peut-être impossible[5].

C'est le moment où le philosophe s'ouvre à force un chemin. Dans un article publié dans une revue allemande en 1965, « Existence et herméneutique », il énonce l'intention suivante[6] : « Mon propos est ici d'explorer les voies ouvertes à la philosophie contemporaine par ce qu'on pourrait appeler la greffe du problème herméneutique sur la méthode phénoménologique. » Et il annonce, pour le même article, une « investigation », « laquelle devrait, à son terme au moins, donner un sens acceptable à la notion d'existence, — un sens où s'exprimerait précisément le renouvellement de la phénoménologie par l'herméneutique ». Geste d'arboriculteur. En prétendant renouveler la philosophie encore récente de la phénoménologie par la reprise de la discipline très ancienne de l'herméneutique — à travers ce beau paradoxe qui faisait coup de force philosophique —, Ricœur entendait prolonger en les réunissant deux des préoccupations qu'il avait eues jusque là, et même trois : celle de l'herméneutique des symboles (dans sa Philosophie de la volonté), celle du texte (à travers le problème de l'exégèse des Écritures), et celle de la phénoménologie de l'existence (dans ses travaux sur Jaspers et Husserl). Ainsi, bien plus que la simple jonction de deux disciplines, il s'ouvrait une perspective qui allait mêler une pratique de l'interprétation, une réflexion sur l'action et la politique, une philosophie de l'existence.

Au même moment, il s'implique dans le mouvement qui a surgi en 1968 et qu'il pressentait depuis plusieurs années. Venu de la Sorbonne, il participe à la fondation de l'université de Nanterre. Il en devient le doyen, une expérience qui, comme on sait, tournera mal dès 1970. Mais cet échec même le conduira à enseigner à Chicago, à fréquenter in situ la philosophie anglo-saxonne et à en retirer de nouveaux développements pour son œuvre.

« Le conflit des interprétations »

La notion mise en évidence par le titre même du recueil de1969, Ricœur l'avait déjà formalisée au début d'un livre majeur, en 1965 : De l'interprétation. Essai sur Freud[7]. Le sous-titre et le titre le disent : à travers la volonté de comprendre Freud comme penseur (et non pas la psychanalyse comme pratique), Ricœur vise aussi Marx et Nietzsche. Il les travaille dans leur posture de soupçon et dans leur méthode, qui est — qui ne peut être — que celle de l'interprétation. Car, pour eux, il n'est pas question de traiter le problème de la conscience selon des critères de vérité et d'erreur mais de la considérer comme le lieu d'illusions : non pas raisonner avec elle (car elle s'est mise à l'abri de tous les arguments) mais arracher les masques de ses manigances en les démontant par la mise en évidence de ses mobiles cachés. Interpréter, c'est soupçonner le sens latent sous le sens manifesté, en l'occurrence le désir de sens, à tout prix, sous le sens proclamé.

Pratiquant déjà ce qui sera désormais sa méthode, Ricœur accorde d'abord toute leur force aux trois grandes pensées du soupçon. Il les conforte entre elles par son travail sur Freud, parce que celui-ci, venant après les deux autres, a porté le soupçon et la déconstruction au sein de la psyché, de son histoire et de sa constitution intime. Il montre ainsi l'efficacité sans pareille de l'interprétation des significations. Mais c'est pour mieux la combattre. D'abord en faisant ainsi valoir l'éparpillement des points de vue et des méthodes de ces interprétations, puis en leur opposant à son tour une interprétation, qu'il appelle restauratrice. Au soupçon il oppose la confiance — « la foi » même —, celle qui vient après le soupçon, celle qui a traversé le feu de l'interprétation réductrice. Car, à son tour, il interroge le soupçon lui-même et l'intention de ses réductions, cela encore sur le mode de l'interprétation. Ayant crédité Freud, Marx et Nietzsche de sa compréhension, il entend désormais décréditer leur posture par la mise en évidence de leurs propres mobiles, et du sens de ces mobiles — trop humains, quelque chose comme l'esprit masqué d'une épreuve de force et de puissance. Ils ont situé les illusions de la conscience dans le désir de sens mais ont-ils pour autant vidé de tout sens positif le désir de sens ? Ce désir, il demeure ; et elle, la conscience, elle demeure, en tant qu'elle est principe d'organisation, engagement dans les choses et devoir d'existence. Une conscience à dévoiler, problématique certes, mais impliquée réellement dans la connaissance, dans la vie morale et dans l'esthétique.

Ainsi le conflit des interprétations réside-t-il d'abord dans la pluralité des interprétations réductrices et puis dans la mise en œuvre d'une autre interprétation déployant, avec elles et contre elles, une herméneutique décidément positive et complète qui ira hardiment « du texte à l'action[8] ». Car, chez Ricœur, la méthode herméneutique n'est pas celle d'une science mais une démarche de compréhension à l'égard de sujets humains qui y forment, chacun selon sont point de vue, leurs décisions de vie, à leurs risques et périls : après avoir jeté sur elles le soupçon nécessaire et salutaire, il faut reconnaître ces décisions comme des initiatives de connaissance, d'action et d'existence. Sinon ne faudrait-il pas, en quelque sorte, abandonner la notion et le fait même du sujet humain[9] ?

En somme, dans les années 1998-2000, le philosophe pouvait transmettre à un jeune homme assuré, impatient, ambitieux et qui osait lui critiquer ici ou là son écriture, une certaine leçon apprise de longtemps, qui valait encore quarante ans après : quand la pensée et l'action se jugent empêchées dans une situation sans avenir, il leur appartient — il est en elles — d'inventer leur issue.

Ricœur, une pensée stratégique

On vient de le laisser entendre : la pensée de Ricœur est stratégique. Quand on examine la logique et le style de ses livres, on peut d'abord s'en étonner et même s'en choquer. Je donnerai deux exemples, pris dans l'une de ses autres œuvres majeures, Temps et récit[10].

Faire marcher l'un avec l'autre saint Augustin et Aristote, ou l'un contre l'autre ? Ë rebours de la chronologie, au premier il demande le sens de l'expérience du temps (mais aussi le caractère aporétique de cette expérience) ; au deuxième, un mode de rationalité propre à penser cette expérience du temps (mais en retenant son insuffisance à la penser seul). Ricœur fait poser la question du temps à Augustin, puis il la tourne vers Aristote, pour, lui, avancer dans le problème, à travers sa problématique. C'est qu'Aristote détient une solution à la question déclarée insoluble par Augustin : un mode d'intelligence appliqué par le philosophe au problème de l'action humaine, le mode de la mimèsis poétique. Reprendre Aristote à la lumière d'Augustin, pour avancer dans les problèmes actuels de l'historiographie et du récit de fiction…

Dans le volume II de Temps et récit, l'étude de la Recherche du temps perdu vient après une longue approche, qui emprunte un parcours entre les disciplines disponibles (l'histoire littéraire, la linguistique, la sémiologie, la narratologie et, en dernier, la poétique selon Genette, c'est-à-dire la poétique d'Aristote, revue à la lumière des disciplines contemporaines et à travers Proust). Ce parcours (ce « long détour ») consiste à cumuler les perspectives sur le récit, à les disposer entre elles en les récusant l'une par l'autre, à les dialectiser, et il est destiné à conduire à sa lecture à lui, Ricœur, de Proust. Puis, dans l'étude même de Proust, se dessine une nouvelle marche d'approche : par l'opposition entre une lecture de La Recherche comme autobiographie de Proust et une lecture comme d'une fiction ; par un travail sur la perspective de Deleuze pour conserver l'idée de signes et substituer une problématique de l'action à une problématique de la vérité ; par un travail sur la perspective d'Anne Henry, destiné à évoquer le rapport de Proust à la philosophie et à écarter une simple transposition de la culture philosophique de l'écrivain dans son œuvre.

La démarche philosophique de Ricœur consiste à développer, dans le mouvement et dans l'intérêt de sa propre recherche, une chaîne non pas de raisons mais d'interprétations toutes retenues mais abolies l'une par l'autre, c'est-à-dire à mesure dialectisées : reconnues et dépassées[11]. Avec cela, aucun dogmatisme mais, non plus, aucun scepticisme, aucun relativisme : une recherche, à certains égards polémique, de la vérité.

Retour à Emmanuel Macron

On voit, par ce détour, où je veux en venir. Notre nouveau président entend reprendre, en actes et en pensée, pas moins que l'histoire complète de la République française, c'est-à-dire abolir, conceptuellement et politiquement, les deux interprétations, ensemble, dont le litige régit notre vie politique depuis 1792[12]. Chez « les Français, peuple politique[13] » et sous le regard de l'Europe et du monde, leur côté gauche et leur côté droit n'ont, depuis les origines de la République, cessé de produire chacun son interprétation antagoniste de la réalité, c'est-à-dire de la nation elle-même, de l'Histoire universelle, de la vie humaine en société, des valeurs. Ë tort ou à raison, Macron soutient que désormais ce conflit a épuisé sa fécondité, qu'il a perdu sa raison d'être, qu'il bloque le mouvement nécessaire du pays et même qu'il menace son unité. Comme chez Ricœur, il faut désormais dépasser ce conflit pour produire une nouvelle interprétation de la réalité qui soit effective et positive, salutaire même, moralement et politiquement. Pour exister nous-mêmes comme sujets collectifs de pensée et d'action, la réalité nous presse de la reconsidérer, de la comprendre, de la transformer : d'interpréter les signes qu'elle nous adresse ici et maintenant. Cela en nous posant comme « et de gauche et de droite ».

Sa prise ouverte à partie a connu immédiatement le succès de sa propre élection et l'élection de sa majorité à l'Assemblée nationale. Non pas sans coup férir mais, au contraire, en portant ses coups : en maniant les symboles, en usant de sa communication et de son savoir-faire, en déployant résolument son sens stratégique et tactique, c'est-à-dire en s'efforçant de neutraliser les deux côtés de l'offre politique invétérée, au risque — ou dans la volonté — de désorienter, au sens propre, ses concitoyens.

Comme il pense haut et loin, Emmanuel Macron interprète la longue période de la République française comme ayant elle-même mis fin — sauf pendant les deux interrègnes napoléonien et gaullien — à la forme de transcendance que procurait le roi à la nation :

Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le Roi n'est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d'y placer d'autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l'espace. On le voit bien avec l'interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu'on attend du président de la République, c'est qu'il occupe cette fonction. Tout s'est construit sur ce malentendu[14].

Le malentendu, sous la Cinquième République, est le fait des successeurs de De Gaulle et du pays lui-même. Il porte sur la nature transcendantale de la figure présidentielle, et il survient à peine cette figure établie dans la Constitution et dans les faits. Près de cinquante années d'oubli de soi-même, à remonter dans notre histoire immédiate et sans changer de République, ni revenir à la royauté. Simplement, faire reconnaître et exercer les pouvoirs régaliens — on ne saurait mieux dire — du Président :

Je ne pense évidemment pas qu'il faille restaurer le roi. En revanche, nous devons absolument inventer une nouvelle forme d'autorité démocratique fondée sur un discours du sens, sur un univers de symboles, sur une volonté permanente de projection dans l'avenir, le tout ancré dans l'Histoire du pays. […] Qu'est-ce que l'autorité démocratique aujourd'hui ? Une capacité à éclairer, une capacité à savoir, une capacité à énoncer un sens et une direction ancrés dans l'Histoire du peuple français. C'est une autorité qui est reconnue parce qu'elle n'a pas besoin d'être démontrée, et qui s'exerce autant en creux qu'en plein[15].

Ce texte dense énonce : une perspective sur l'histoire de la France, la nécessité d'une nouvelle Révolution, la tâche d'« inventer une nouvelle forme d'autorité démocratique », et le moyen politique d'un « discours du sens » qui développe des capacités à travers « un univers de symboles ».

Ce discours du sens prend souvent dans la pensée et dans l'action de Macron la forme d'un roman national qui n'est pas sans rappeler l'identité narrative de Ricœur et le genre de sens et d'autorité que déploie, sans concept et sans démonstration sinon sans polémiques, ce récit d'identité[16]. De fait, dans le livre de Révolution, deux identités narratives se forment qui entrelacent audacieusement deux histoires, l'une longue, celle de la France (de Clovis à nos jours, et de la Révolution à Révolution)[17] ; l'autre, brève, celle du candidat : de sa courte généalogie, de ses paysages et d'un certain exploit, la conquête de son épouse. Celui qui compose entre elles ces deux identités, par entretiens, par écrits et par gestes, c'est Emmanuel Macron…

L'intuition qui porte ce récit, c'est celle du mouvement : « En marche ! » Cette idée de mouvement, souvent thématisée par l'idée de progrès (progressistes contre conservateurs), se suffirait presque à elle-même puisqu'il s'agit de remettre dans le mouvement du Monde un pays censément englué dans la lutte emmêlée des partis qu'est devenu le conflit deux fois séculaire de la gauche et de la droite. Pour mettre en œuvre ce mouvement, il y a le seul ressort de la confiance, celle qui anime le candidat en son destin et celle qu'il propose à la France de retrouver dans son histoire, dans celle de l'Europe et du Monde[18]. « Nous en sommes là, à l'arrêt, curieusement immobiles et souffrant aussi de cette immobilité qui ne nous satisfait pas[19]. » En effet, contre les forces de l'inertie et même de l'entropie et contre « la paresse de l'intelligence et de la volonté »,

nous sommes capables de relever ensemble le défi que ce temps nous lance en renouant le fil d'une Histoire millénaire qui nous a vus séparer l'Église et l'État, inventer les Lumières, découvrir les continents, prétendre à l'universel, créer une culture inédite et construire une économie forte. Il y faut de l'énergie. Cette énergie existe. Elle est profonde et elle vient de loin. C'est le devoir de la politique de lui permettre enfin de s'exprimer. (Révolution, p. 69)

Contre les passions tristes du soupçon, de la détestation de soi et de l'oubli, qui amoindrissent ou annihilent nos capacités personnelles et collectives, nous devons réveiller en nous la confiance perdue mais non anéantie. Évidemment, il y a là un ton et des mots assumés qui renouvellent les adjurations des prophètes anciens, cette fois en faveur d'un dessein oublié ou obscurci, celui de la France.

« Devenir capable, être reconnu », Ricœur, discours de 2004

Dans « le fil de notre Histoire millénaire », il y a notamment « ce projet fou d'émancipation des personnes et de la société. Ce dessein est le dessein français : tout faire pour rendre l'homme capable[20] ». Or le thème de « l'homme capable », récurrent dans Macron, est prégnant chez Ricœur. Implicite dès le thème de « l'homme faillible » et pour le contrebalancer, tardivement encore il est repris et développé dans le texte « Une phénoménologie de l'homme capable[21] ». Il est encore présent dans l'un de ses derniers textes, celui du discours écrit pour la réception du prix Kluge[22] : « Les capacités peuvent être observées du dehors, mais elles sont fondamentalement ressenties, vécues, sur le mode de la certitude. Celle-ci n'est pas une croyance, tenue pour un degré inférieur du savoir. C'est une assurance confiante, parente du témoignage. Je parle ici d'attestation : celle-ci est en effet au soi ce qu'est le témoignage porté sur un événement, une rencontre, un accident[23]. »

Cette attestation, que Ricœur porte sur le plan philosophique à l'égard de l'identité personnelle et collective, Macron la porte sur le plan politique, à l'égard des citoyens et à l'égard de la nation qu'ils forment : « nous sommes capables… ».

« En même temps », Macron retient, sous le nom de la bienveillance, l'idée de la reconnaissance pacifique entre citoyens développée par Ricœur dans les textes tardifs, et notamment dans le discours du prix Kluge : « La question se pose de savoir si le lien social ne se constitue que dans la lutte pour la reconnaissance, ou s'il n'y a pas aussi à l'origine une sorte de bienveillance liée à la similitude d'homme à homme dans la grande famille humaine. […] La formation du lien politique qui nous fait citoyens d'une communauté historique ne procède peut-être pas seulement du souci de sécurité et de défense des intérêts particuliers de cette communauté, mais de quelque chose comme une Òamitié politiqueÓ essentiellement pacifique. » Certes, cette bienveillance n'est ni inconditionnelle ni universelle, car elle s'articule avec l'exercice des capacités. Néanmoins, chez Macron, cette idée rejoint la volonté de substituer à l'antagonisme français du côté gauche et du côté droit, et notamment sous la forme qu'il a prise historiquement de la lutte des classes, une perspective de reconnaissance bienveillante, appelée même parfois amour. « J'en appelle aujourd'hui à toutes les femmes et les hommes de bonne volonté[24]. » Ce mot de la « bonne volonté » est plus qu'un topos de la politique ou un lieu commun moralisateur. Il signifie une condition de l'appartenance au mouvement, quitte à rejeter dans les ténèbres extérieures les volontés mauvaises, et avec elles le Mal, toujours présent à la pensée de Macron comme, dès le début, à celle de Ricœur.

Passer à la politique

Apprenant de Ricœur, dit-il, les regrets que celui-ci gardait, Emmanuel Macron a décidé de dire et d'agir, d'agir en disant, et, contre toutes les intimidations, « affirmer les choses ». Il a franchi, lui, le pas de l'action politique :

J'ai appris de Ricœur en creux, à propos des événements de Mai 68, qu'il avait vécus comme professeur à la faculté de Nanterre. Il était très malheureux de tout ce qu'il n'avait pas dit et des décisions qu'il n'avait pas prises durant cette période. La leçon que j'en ai tirée est qu'il y a un besoin de dire, d'affirmer les choses, et qu'il faut céder à ce besoin. L'erreur de beaucoup a été de se laisser intimider par la brutalité du moment, d'accepter de ne pas dire et de ne pas agir. C'est Ricœur qui m'a poussé à faire de la politique, parce que lui-même n'en avait pas fait[25].

Qu'est-ce donc que Ricœur n'avait pas dit en 1968-1970, et qu'est-ce qu'il n'avait pas fait ? Il fut le doyen de son université et, comme tel, il connut l'humiliation et il démissionna. Dans la situation d'exception où se trouvait le pays et où il se trouvait personnellement, devait-il, en penseur profond et préparé effectivement à l'événement, ne pas céder à « la brutalité du moment », proclamer sa position, fédérer les bonnes volontés qui existaient : saisir l'occasion aux cheveux ? On n'en saura pas plus et il n'importe pas vraiment de le savoir. Il suffit, pour nous, que Macron comprenne — ou qu'il ait voulu comprendre — que Ricœur n'avait pas osé passer au dire et au faire de la politique, et qu'il en souffrait encore peu de temps avant sa mort[26]. Apprendre en creux, dans Ricœur, ce que c'est que manquer à une vocation politique, pour réaliser, en plein, la sienne propre. La leçon de l'élève au maître est rude.

Dire et faire : lire et transformer le social

Avec Macron, on change de monde. L'interprétation demeure, mais elle prend une autre dimension : dire encore le sens, mais celui des choses elles-mêmes, tel qu'il a été oublié et recouvert, et pour les changer. Il s'agit toujours de déchiffrer les signes obscurs du monde, mais en considérant une nature double de l'obscurité : certes, en eux-mêmes, les événements de l'Histoire passée et présente demandent à être interprétés comme un palimpseste ; mais cela pour en énoncer et faire advenir leurs possibles inconnus. Ici l'interprétation appartient à l'action politique, et non plus à la philosophie de l'agir. Autrement dit, l'herméneutique, qu'il a apprise de Ricœur[27], Macron en fait une sorte de parole divinatoire et stratégique : elle tente le sens à venir ou plutôt à produire, elle l'engage en puissance et l'inaugure — ce sens que l'on ne connaît pas encore en tous ses actes. En quelque sorte, supposons son discours, je ne connais pas l'avenir, mais non pas comme tout un chacun ne sait pas en effet ce qui se passera demain. Je ne le connais pas, mais en tant que ce qui arrivera par ma propre action : l'inconnu en tant que sortant de mes mains, ou plutôt de ma parole agissante… Tels pourraient être, ainsi décalés, le travail de l'herméneutique, et le sens de l'attestation que décrivait Ricœur.

Les images, le ton et le phrasé de l'attestation, l'offre de soi-même au pays, n'est-ce pas le style d'Emmanuel Macron, candidat puis Président, — ce style comme propriété de sa personne, telle qu'elle exprime ses capacités et celles de la France, non seulement dans ses écrits et discours mais dans toutes ses interventions et apparitions ? Un style fait d'aisance et de naturel, d'une sorte de culot même et de fausse innocence, et presque d'inconscience.

C'est cette espèce de « naïveté assumée » dont Macron se réclamait ironiquement en 2011, à l'approche de l'élection présidentielle de 2012, quand il préconisait de « redonner à l'idéologie sa forme contemporaine », à travers « de grandes histoires » :

[…] ce qu'on attend du politique, lors d'échéances comparables à celles d'une élection présidentielle, c'est une vision d'ensemble, un corpus théorique de lecture et de transformation du social. Contrairement à ce qu'affirme une critique postmoderne facile des « grands récits », nous attendons du politique qu'il énonce de « grandes histoires ». C'est-à-dire l'articulation d'un débat sur la rupture avec le quotidien, avec les contraintes, qui pose la question double du sens de l'action et des choix collectifs en même temps que la question des préférences collectives. Il est temps en effet pour redonner à l'idéologie sa forme contemporaine. Le discours politique ne peut être seulement un discours technique qui égrène des mesures. Il est une vision de la société et de sa transformation.[28]

Macron entend la notion d'idéologie dans un sens positif, comme le travail intellectuel de formalisation nécessaire à l'action politique. La définissant, il fait référence explicitement à l'herméneutique selon Ricœur : le travail philosophique — et politique — de l'interprétation consiste à établir la vérité par une confrontation critique et ordonnée des positions entre elles et à la réalité, selon une technique apparentée à la lecture ricœurienne des textes et de l'action. Ni relativisme, ni cynisme — les plaies de l'époque selon lui —, ni absolutisation de la vérité. Dans Ricœur, peut-être a-t-il trouvé une philosophie de l'action adaptée et puissante, une méthode de lecture des choses :

[Ricœur] a constamment revisité les choses en marge des structuralistes et des soixante-huitards, en se situant uniquement par rapport aux textes et dans une forme de recherche de la vérité en politique. En acceptant qu'il puisse y avoir une polyphonie ou une pluralité des interprétations. […] Je crois à l'idéologie politique. L'idéologie, c'est une construction intellectuelle qui éclaire le réel en lui donnant un sens, et qui donne ainsi une direction à votre action. C'est un travail de formalisation du réel. L'animal politique a besoin de donner du sens à son action. Cette idéologie doit être prise dans une technique délibérative, se confronter sans cesse au réel, s'adapter, revisiter en permanence ses principes. Je pense que l'action politique ne peut pas se construire dans une vérité unique ni dans une espèce de relativisme absolu, qui est une tendance de l'époque. Or ce n'est pas vrai. Il y a des vérités, des contrevérités, il y a des choses que l'on peut remettre en cause. Toutes les idées ne se valent pas ![29]

Conclusion

Scène 1 : la rencontre improbable, le lieu, le moment et l'esprit, racontée par Emmanuel Macron dans le roman de sa vie, au début de son livre programme, avec la feinte et provocante naïveté qui est bien dans son style :

Je n'oublierai jamais nos premières heures passées ensemble aux Murs Blancs à Châtenay-Malabry. Je l'écoutais. Je n'étais pas intimidé. C'était, je dois l'avouer, à cause de ma complète ignorance : Ricœur nr m'impressionnait pas, puisque je ne l'avais pas lu. La nuit tombait, nous n'allumions pas la lumière. Nous restions à parler dans une complicité qui avait commencé à s'installer. (Révolution, p. 20)

Ce n'est pas la visite au grand homme : ce n'est pas la visite à Lévi-Strauss, par exemple, tout à fait possible en 1998… Il ne connaissait pas Ricœur, on l'engageait pour aider à un travail, ferait-il l'affaire ? C'était la question, pour l'un et l'autre. Que se trouvèrent-ils donc, l'un à l'autre ? Quel intérêt, quelle espèce d'affection, entre le philosophe auteur d'une œuvre immense mais reconnue dans une sphère assez restreinte et un garçon attentif mais nullement intimidé ? L'attention et l'espèce de culot de l'un, la bienveillance amusée de l'autre ?

Ce qui est encore plus paradoxal, c'est la manière dont le projet politique de Macron s'est formé et développé, au moins en partie, dans et d'après l'œuvre de Ricœur. Peut-être l'entente s'est-elle faite autour d'une exigence et d'une constatation. La demande de Macron est déjà et sera celle d'une distance de réflexion à l'égard du réel — ce qu'il appela plus tard une idéologie —, d'une philosophie en fait, mais attentive au réel et informée par lui : car le monde existe et il nous presse.

Ils parlèrent de Mai 68, de l'irruption du réel dans une société qui l'avait oublié : de l'étrangeté de l'événement, de ses incohérences et incongruités, de sa brutalité, de son caractère d'irréductibilité à toute raison préparée, du trouble qu'il jeta dans la pensée. Les uns vont se perdre dans les utopies (les soixante-huitards et Sartre) ; les autres traversent l'événement sans le voir ou en le vomissant (les structuralistes et Lévi-Strauss : « Une fois passé le premier moment de curiosité, une fois lassé de quelques drôleries, mai 68 m'a répugné[30]. »).

Apparemment, Emmanuel Macron a trouvé l'idée de sa propre philosophie chez le philosophe qui a éprouvé personnellement la brutalité de l'Histoire, qui n'a pas renoncé pour autant à la comprendre, qui a réfléchi aux trois manières humaines de la traiter (l'histoire, la mémoire, l'oubli), qui n'a pas trouvé en lui-même le désir, la force et la résolution de la dompter. Le sens naît d'une conviction : qu'il existe et qu'il faut le comprendre et le travailler — le travailler par le comprendre et réciproquement. Tel qu'il est, pour ainsi dire sauvage, le réel ne saurait ni se penser ni être travaillé du haut d'une formalisation abstraite et universalisante : il demande l'engagement de la conscience et de la volonté dans le risque d'une herméneutique sans cesse et provisoirement vérifiée. Le propre de l'interprétation, c'est de se laisser solliciter par les signes obscurs qui surgissent du réel, de ne pas les résoudre en propositions déduites à loisir et objectives ou en dialectique au cordeau, autrement dit de les respecter, de ne pas les mépriser ni défigurer ni liquider — de les penser comme des écritures, par symboles, par paroles, par raisons partageables et réglées, avec la résolution de les humaniser.

La phénoménologie de Ricœur va aux choses mêmes et les comprend par interprétations. Ce mouvement convient à Macron, il s'en empare pour son action politique, à ses risques et périls.

Pierre Campion

2 juillet 2017



[1] Paul Ricœur, La Mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p. III-IV. Trois amis, trois compétences : François Dosse est salué ici pour l'intelligence de son métier, Thérèse Duflot pour la connaissance intime que donne le contrôle du texte exercé par la personne qui le frappe, Emmanuel Macron pour voir rempli la charge pour laquelle il a été engagé et pour être allé bien au delà.

[2] Emmanuel Macron, Révolution, Paris, XO Éditions, 2016, p. 20-21.

[3] Paul Ricœur, « Tâches de l'éducateur politique », article publié dans Esprit en 1965 et repris dans Lectures 1. Autour du politique, Paris, Seuil, 1991. Dans sa préface à Paul Ricœur, Philosophie, éthique et politique, Seuil, 2017, Micha‘l Fœssel développe cette notion.

[4] Ricœur dans Esprit (juin 1961), commentant en témoin l'inhumation de Merleau-Ponty dans le silence : « Cette mort, plus improbable qu'aucune, avait, au sens littéral, coupé la parole. »

[5] Dans Réflexion faite. Autobiographie intellectuelle, Paris, éditions Esprit, 1995, p. 32-42, Ricœur évoque cette « période de polémiques extérieures et de guerres intestines ». Sur les relations tendues avec Lacan, voir François Dosse, Paul Ricœur. L'essence d'une vie (1913-2005), édition revue et augmentée, Paris, La Découverte, 2008, p. 292-296.

[6] C'est Ricœur qui souligne. Cette intervention paraît en tête du recueil de textes Le Conflit des interprétations. Essais d'herméneutique, Paris, Seuil, 1969, p. 7.

[7] Paul Ricœur, De l'interprétation. Essai sur Freud, Paris, Seuil, 1965.

[8] Paul Ricœur, Du texte à l'action. Essais d'herméneutique II, Paris, Seuil, coll. Points, 1986. Extrait de la préface : « N'éprouvant plus guère le besoin de justifier le droit à l'existence de la discipline que je pratique, je m'y livre sans scrupule ni souci apologétique. » Dans ce recueil d'études, celle-ci notamment : « Le modèle du texte : l'action sensée considérée comme un texte », p. 205-236 (article publié d'abord en anglais, en 1971).

[9] Dans sa biographie, François Dosse raconte et analyse les rapports tumultueux entre Ricœur et Lacan et ses débats avec Lévi-Srauss et Greimas : Paul Ricœur, ouvrage cité, p. 300-330.

[10] Paul Ricœur, Temps et récit, trois volumes, Paris, Seuil, 1983-1985. Sur ce site, on trouvera une analyse détaillée de Temps et récit. Cette intervention, réalisée en 2000, visait à mettre en évidence le caractère stratégique de la pensée de Ricœur. J'en reprends ici certaines conclusions.

[11] François Dosse, ouvrage cité, p. 15 : « Loin de pratiquer la polémique et l'hyperbole, sa pensée est pourtant, au contraire des apparences, une pensée de l'extrême, une pensée du conflit. Les notions de riposte, de réplique, de stratégie face aux obstacles rencontrés sont autant de caractéristiques de son geste philosophique. Sa démarche pousse aux points limites les positions en situation conflictuelle jusqu'à ce qu'elles se heurtent à un horizon aporétique. »

[12] Sur le clivage entre droite et gauche, et dans le contexte créé par l'élection présidentielle de 2017, on peut lire l'entretien entre Pierre Rosanvallon et Gérard Courtois dans Le Monde du 17 juin 2017 : « Droite-gauche. Histoire d'un clivage ».

[13] Emmanuel Macron, entretien publié par l'hebdomadaire Challenges sur le Web, le 16 octobre 2016, Dans ce texte, Macron oppose la France à l'Allemagne : « La France, contrairement à l'Allemagne par exemple, n'est pas un pays qui puise sa fierté nationale dans l'application des procédures et leur respect. Le patriotisme constitutionnel n'existe pas en tant que tel. »

[14] Entretien dans Le Un, n¡ 64, 8 juillet 2015 : « J'ai rencontré Paul Ricœur qui m'a rééduqué sur le plan philosophique ». Repris dans Macron par Macron, Le I/Éditions de l'Aube, 2017.

[15] Emmanuel Macron, entretien cité avec Challenges. C'est dans cet entretien qu'il introduit, par le biais d'une citation entre guillemets peut-être attribuée à François Hollande, la notion de président jupitérien : « François Hollande ne croit pas au “président jupitérien”. […] Pour ma part, je ne crois pas au président “normal”. »

[16] L'identité narrative comme interprétation en acte d'une entité historique ou d'une personne apparaît d'abord dans Temps et récit III (1985) puis elle est à nouveau problématisée dans Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, coll. Points, 1990, « L'identité personnelle et l'identité narrative ». Dès le livre des années 1980, les deux types de l'identité narrative, celle d'une personne et celle d'une communauté historique, ont été conjointes : dans le lien qu'entretiennent entre eux le récit d'histoire et le récit de fiction.

[17] Dans l'entretien cité avec Challenges, Macron nomme « les héros de l'Histoire de France, qu'ils aient pour nom Jeanne d'Arc, Napoléon ou De Gaulle, ou encore Danton, Gambetta, Jean Zay ou Mendès-France... » Dans Révolution, p. 176, c'est « Clovis, Henri IV, Napoléon, Danton, Gambetta, De Gaulle, Jeanne d'Arc, les soldats de l'An II, les Tirailleurs sénégalais, les Résistants, tous ceux qui ont marqué l'Histoire de notre pays… »

[18] Tardivement et presque au dernier moment, Macron introduit le thème rebattu de « sauver la planète ». Pourquoi pas, puisque sa stratégie s'accommode facilement de tout ajout tactique ?

[19] Révolution, p. 66.

[20] Révolution, p. 264-265 et discours de Bobigny, 16 novembre 2016,

[21] Paul Ricœur, dans le volume Parcours de la reconnaissance. Trois études, Stock, 2004, p. 137-163. Les quatre temps de ce passage, qui lie capacité et possibilité de raconter : « Pouvoir dire », « Je peux faire », « Pouvoir raconter et se raconter », « L'imputabilité ».

[22] Paul Ricœur, « Devenir capable, être reconnu », texte français de la communication enregistrée en anglais pour la réception, en son absence, du prix Kluge, à la Library of Congress, le 20 décembre 2004, publication posthume dans Esprit, juillet 2005.

[23] Emmanuel Macron, à propos de l'ontologie de Ricœur, et le citant : « Avant même toute relation de connaissance au monde, existe “l'attestation d'un lien ontologique plus primitif”. L'attestation est bien le terme essentiel de cette présence au monde et à l'autre dans le monde, le point nodal de l'ontologie de Paul Ricœur en tant qu'elle fonde toute entreprise de connaissance » (« Autour de la phénoménologie [de Ricœur] », dans le dossier consacré à Ricœur par le Magazine littéraire, n¡ 390, septembre 2000, p. 42). Le membre de phrase cité par Macron est repris d'un passage de Paul Ricœur dans Du texte à l'action, ouvr. cité, p. 32. Observons que ce dossier, contemporain de la publication de La Mémoire, l'histoire, l'oubli, ne compte pas moins de trois interventions d'un Emmanuel Macron alors totalement inconnu et d'ailleurs non présenté dans le dossier : il n'a pas de références.

[24] Discours de Bobigny, déjà cité, fin.

[25] Entretien dans Le Un, déjà cité.

[26] Début 1970, quand Ricœur démissionne à Nanterre, De Gaulle a déjà été désavoué par le référendum de 1969 et il est parti. Ricœur aurait-il pu s'opposer à Pompidou et empêcher le pays d'oublier la vraie nature du Président dans la Cinquième République ? Si c'est ce que Macron suggère, cela est hautement improbable…

[27] Avant de rencontrer Ricœur, Emmanuel Macron avait lu beaucoup de la philosophie classique. « J'ai ensuite rencontré Paul Ricœur, qui m'a rééduqué sur le plan philosophique. — Rééduqué ? — Oui ! Parce que je suis reparti de zéro… », entretien dans Le Un, déjà cité.

[28] Emmanuel Macron, « Les labyrinthes du politique. Que peut-on attendre pour 2012 et après ? », Esprit, n¡ de mars-avril 2011, p. 115 et 114. Les interventions dans Esprit et l'appartenance au comité de rédaction de la revue sont une autre manière de se référer à Ricœur.

[29] Entretien dans Le Un, déjà cité.

[30] Claude Lévi-Strauss et Didier Éribon, De près et de loin, Paris, Odile Jacob, 1988, p. 116.

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