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Déborah Besnard-Javaudin : Roses des sables.

Nouvelle écrite dans la classe de Première L du lycée Chateaubriand de Rennes, sous la direction de Madame Évanno, professeur de Lettres. Cette nouvelle a reçu en 2005 le premier prix du concours Plumes et Partition des Semaines musicales de Quimper.

Texte mis en ligne le 12 juin 2007.

Note au 9 juillet 2012. Élève de l'ENS, Déborah Besnard-Javaudin vient d'être reçue brillamment ˆ l'agrégation d'Histoire. Ce printemps, elle avait publié un premier article dans la revue Atala (n¡ 15 2012, p. 185-198) : « Conflits et identité urbaine : Constance et Augsbourg pendant la Querelle des Investitures ».

© : Déborah Besnard-Javaudin.


Roses des sables

 

Nuit sur Tamanrasset. Bruit de réacteurs qui crachent, odeur de diesels fatigués. La vieille jeep tire dur mais elle a réussi à démarrer. Le pot d'échappement vomit une fumée noirâtre.

Assise sur le siège passager, Nasrin regarde sans les voir les lourds bâtiments gris de l'aéroport. Tamanrasset, dernière station avant le désert. La jeune fille est calme, très calme. Pas un cil ne remue au-dessus des grands yeux bruns de la jolie beur.

Mais pourtant, elle aurait presque envie de bouffer le monde, comme ça, juste par méchanceté.

 

Je hais les souvenirs. Surtout parce qu'ils ont tendance à surgir au mauvais moment, comme ça, juste pour vous faire éclater en sanglots… Ma mère, toute ronde flottant dans ses foulards. Mon frère Shafiq, adorable bouille aux grands yeux couleur de miel. Et par-dessus, la voix de mon père qui m'emmène à Roissy…

Tu verras, ça passera très vite. Je suis sûr que vous vous entendrez bien. Après tout, ce sont tes racines !

Sur le moment, j'ai vraiment détesté mon père. Et je l'ai haï encore plus dans l'avion qui m'arrachait à la France.

Elle m'attendait sur le parking de l'aéroport. Malgré la pénombre, j'ai tout de suite su que c'était elle. On ne peut pas la rater.

Ses cheveux blancs sont incroyablement longs, une véritable crinière qui tombe en lourdes boucles autour de son visage bruni. Elle était adossée à la jeep et me regardait avancer. Quand elle m'a prise dans ses bras, j'ai senti le parfum épicé qui imprégnait sa veste de lin blanc. Elle était grande, très grande et élancée. C'était la première fois que je la voyais.

Ma grand-mère. Kammal.

 

            Dans la jeep ronronnante qui l'emporte dans la nuit, Nasrin s'est enroulée dans une couverture. Les lumières de l'aéroport disparaissent au loin. Kammal conduit négligemment du bout de ses doigts jaunis au henné. Ses bracelets tintent doucement. Les deux femmes n'ont pas prononcé un mot depuis l'aéroport. Nasrin affecte de l'ignorer. Elle n'a aucune envie de faire un effort. Mais la fatigue prend peu à peu le pas sur la colère. La jeune femme sent sa tête qui dodeline. Pourtant, elle a la rage d'être ici, dans ce pays qu'elle ne connaît pas, à cause de son père et à cause de cette grand-mère qu'elle n'a jamais vue.

Mais il y a Christian. En France, Christian l'attend. Il l'aime, elle en est sûre. Et pendant que la jeep l'entraîne sur les pistes, Nasrin murmure des serments d'amour.

 

            Il fait déjà jour quand Nasrin ouvre enfin les yeux. Elle s'était roulée en boule sur son siège. Je l'ai regardée plusieurs fois cette nuit. Elle est mignonne quand elle dort, elle a l'air de lutter pour ne pas se réveiller.

Nasrin s'étire et me regarde :

— Bonjour.

Je la salue de la tête :

— Tu as raté le lever du soleil. C'est le meilleur moment.

Elle hausse les épaules. Ouvertement, bien sûr. Je me détourne pour me concentrer sur la piste qui plonge à présent au milieu des crêtes rosées des dunes. Rien n'est plus voluptueux que le désert qui se réveille. C'est un corps qui se réchauffe lentement, s'étirant par vagues sous la caresse brûlante des sables. L'air tout entier vibre sous un flot ardent de lumière qui inonde chaque forme et chaque repli des sables. Ousmane comparait le désert à une rose qui éclôt.

À l'horizon se découpent déjà les premières chaînes de montagnes.

— Où on va ?

La voix de Nasrin est presque agressive.

— Là-bas.

Du doigt, je lui désigne un point au loin, en bas des montagnes.

 

            Nasrin a manqué de s'étouffer en descendant de la voiture. Ce n'est pas une ville. Même pas un village. C'est juste trois ou quatre maisons à moitié creusées dans la roche au pied des falaises.

C'est… ici que tu vis ?!

Kammal est déjà sur le seuil de sa maison :

On a un générateur pour l'électricité et une oasis à vingt kilomètres pour les courses. Avec ça, on s'en sort très bien.

Renonçant à toute tentative de révolte, Nasrin la suit, encombrée par son sac.

L'intérieur a tout d'une caverne aux merveilles : coffres, tapis, selles de dromadaires... Nasrin a été prévenue : Ç Ta grand-mère a toujours été passionnée par les vieilleries. Elle adore se plonger dans le passé. Cela explique peut-être qu'elle n'a jamais su vivre dans notre présent… È Oui, la mère de Nasrin avait bien raison. Kammal avait l'air d'appartenir à un autre siècle.

D'un geste, elle écarte un rideau :

Là, c'est ta chambre. J'ai des affaires à régler, sers-toi dans la cuisine et ne m'attends pas ce midi.

 

C'est tout, pas un mot de plus. Elle est repartie comme elle est venue. Et me voilà, toute seule, à des milliers de kilomètres de chez moi, perdue en plein désert dans la maison de celle que ma famille appelle Ç la sorcière des sables È. Elle leur fait tous un peu peur, j'en suis sûre. Et puis, avoir une parente qui vit aussi bizarrement, c'est pas bon pour l'IN-Tƒ-GRA-TION. En fait, peu de gens savent qu'elle existe. Et ça, elle l'a bien cherché, Kammal. Et d'abord, c'est pas Kammal, c'est Carine ! Et un jour, elle a rencontré ce Marocain à moitié cinglé, et tout a basculé. Fini Carine, l'étudiante en archéologie. Il n'y avait plus que Kammal, la sauvage, la mystique. Elle a épousé le désert en même tant que cet homme, Ousmane.

Cette histoire, je la connais bien. Mes arrière-grands-parents parisiens ont pratiquement renié leur fille. Mais elle s'en moquait. Assez vite, ma mère est née. Et lorsqu'elle en a eu l'âge, elle est partie, vite partie en France avec un ami pour se marier, s'intégrer et s'éloigner de ses parents qu'elle ne comprenait pas. Le beau Marocain est mort, il y a longtemps. Et Kammal est restée toute seule dans sa montagne.

 

            Nasrin se laisse tomber sur le lit. Elle n'a pas faim. Envie de rien. Ses doigts se referment sur la bague de Christian. Elle sourit. Oui, elle l'aime, malgré tout ce que ses parents peuvent dire de lui. Pendant trop longtemps, Nasrin a été seule, sans vraiment d'amies. Christian, c'est enfin un sourire qui lui est destiné. Et elle ne veut pas le perdre. Bien sûr, il n'est pas toujours très gentil, mais c'est normal ; il a des problèmes chez lui. Rien à craindre, il l'aime…

 

            Fête chez Marco. Super ambiance, tout le monde danse. Blottie contre Christian, je suis bien. Je sens sa main sur la mienne. D'un coup, il m'entraîne à l'étage. On rit, on a bu. Je le suis : pas de problème, je l'aime. Il ferme la porte derrière nous.

 

            Une porte a claqué. Nasrin se réveille en sursaut. Quelle heure est-il ? Elle s'était rendormie. Quelle idiote ! Et quel rêve stupide ! On a bien dit que tout était pardonné, non ?! Nasrin sort très vite.

Kammal est revenue. Elle est assise sur le seuil de la maison et fume, les yeux dans le vague. En la voyant arriver, elle se retourne :

J'ai trouvé des chameaux. Si tu veux, demain, on pourra faire une petite excursion.

Nasrin acquiesce sans aucune conviction. Sur le chemin, un grand jeune homme brun au visage fin marche tranquillement. En les voyant, il les salue. Kammal lui fait signe de la main et écrase sa cigarette :

C'est Reduan, le fils de mes voisins. Nous ne sommes qu'une dizaine à vivre ici.

Seulement ?!

Kammal esquisse presque un sourire :

C'est bien assez.

Mais… qu'est-ce que vous fabriquez tous ici ?

Kammal s'adosse à la muraille. Elle a un regard un peu rêveur.

On a choisi d'être libres. Regarde, le désert est en perpétuel renouvellement. Rien n'y est immobile, mais tout y est éternel. Impossible de dominer, de brider quoi que ce soit. Je me sens ici chez moi.

Nasrin hausse les épaules :

Comment peux-tu parler comme ça ? Tu n'es même pas beur !

Kammal relève la tête. Très vite.

Et toi ? Tu es quoi ? Française ?

Non, elle n'est pas française. Elle est une fille de l'IM-MI-GRA-TION. Elle le sait depuis longtemps parce que les gens se sentent obligés de compatir.

Nasrin ne répond pas. Mais Kammal a vu la lueur dans ses yeux. Elle a compris.

Je voudrais te montrer quelque chose.

 

            Ne surtout pas marcher trop vite. C'est Ousmane qui me l'a appris : Trouve le bon pas, juste assez rapide pour rester vif mais assez mesuré pour ne rien perdre du paysage. Les pierres roulent sous mes pieds, la moitié du chemin s'est effondré. Derrière moi, j'entends le souffle de Nasrin. Elle tient le coup, trop fière pour se plaindre. Je me demande ce qu'ils ont pu lui raconter sur moi, en France. Sa mère n'a jamais été vraiment proche de moi. Peu de gens l'ont été.

Devant moi, le chemin monte à l'assaut de la montagne. Je l'ai parcouru presque toute ma vie, mais à chaque fois c'est encore plus beau que la précédente.

La montagne jaillit des sables d'or pour s'élancer dans un ciel immense de fin d'après-midi. Les volutes de la roche forment un arc-en-ciel de couleurs uniques au monde. Quartz, ocre, souffre, cornaline, jaspe… Un sourire plane encore au-dessus du paysage. Le sourire d'Ousmane.

 

            Nasrin et Kammal marchent côte à côte sans échanger un mot. Rouge et échevelée, les poings crispés, la jeune fille manque de glisser à chaque pas.

Soudain, une pierre se dérobe sous sa semelle. Elle n'a pas le temps de se retenir.

            Au cri de douleur qu'elle pousse, Kammal se retourne. Nasrin s'est étalée sur le chemin, les paumes en sang. La vieille femme s'accroupit :

C'est à cause de tes chaussures. Ce n'est pas comme les trottoirs de Paris ici.

Nasrin se relève d'un bond, furieuse :

Bien sûr que non ! Ici ça ne ressemble à rien ! Il n'y a que des cinglés comme toi pour se cacher dans des trous pareils !

Kammal blêmit, blessée :

Nasrin ! Je suis ta grand-mère tout de même !

La jeune fille recule, rageuse :

Ma grand-mère ? Alors je peux savoir pourquoi tu n'as jamais cherché à me voir quand je suis née ? Pourquoi tu n'as jamais répondu à nos lettres ? Et pourquoi tu me réclames tout à coup, gâchant mes vacances sans me demander mon avis ?!

            Incapable de se contrôler plus longtemps, Nasrin tourne brusquement les talons et se met à courir. Elle entend à peine les appels de Kammal. La jeune fille court droit devant elle. Les larmes creusent des ravines brûlantes sur ses joues.

 

            Le chemin s'arrête brusquement. La montagne forme un repli gigantesque et s'allonge en un large plateau devant moi. À travers mes larmes, je ne vois pas tout de suite de quoi il s'agit. Je distingue vaguement d'étranges sculptures jaillies de la montagne au milieu d'éboulis rocheux.

 Lorsque enfin, je réussis à essuyer mes larmes, je reste stupéfaite. Il y a… une ville.

            Une cité en ruine s'étend sur tout le plateau. De çà et là, des colonnes émergent de la montagne. Des pans de murs immenses, des frontons, des places dallées à moitié ensablées. Partout au sol gisent des roses de sable.

Lentement, je commence à descendre dans la  cité. C'est un paysage hallucinant, sorti tout droit d'un rêve. Je n'ai jamais rien vu de tel. Un vent tiède soulève des tourbillons de poussière blanche.

            Lentement, je me laisse tomber contre un mur. J'ai mal, horriblement mal. Comme le jour où…

 

            Chez Marco, la musique est de plus en plus forte. Christian vient de refermer la porte sur nous. Vite, trop vite. Il m'embrasse. Je sens ses mains sur mon ventre. Tout chavire dans ma tête. On tombe sur le lit.

Ses yeux croisent les miens. Je frissonne : ils sont comme fous. Soudain, je prends peur, je le repousse.

 

            Jamais Kammal n'a su trouver sa place dans la société. En venant ici, en épousant Ousmane, elle a réalisé son rêve de liberté. Elle l'a fait par amour, par défi face au monde. Mais elle l'a fait aussi par lâcheté. Pour se cacher. Mais en se cachant de ses parents, de ses amis qui la méprisaient, elle s'est aussi cachée de ceux qui l'aimaient. Délibérément. Elle n'a pas vu sa fille depuis dix-sept ans.

Alors, pendant qu'elle court dans la ville en ruine, Kammal sent son cœur battre à en exploser.

Et elle croit entendre de nouveau des coups de feu dans la montagne.

 

Le sang coule, épais, sur le sable. L'air sent la poudre et la peur. Kammal bondit entre les maisons en flammes.

 

            Adossée à son mur, Nasrin sent une boule dure se nouer dans sa gorge, l'étouffant. Sa respiration s'accélère.

 

Christian souffle comme une bête féroce. Exaspéré par ma résistance, il m'étourdit d'un coup de poing. Je sens du sang couler sur mon front.

 

Des hommes hurlant, crachant de haine jaillissent de partout. À quelques pas de Kammal, une femme éventrée tient encore dans ses bras un bébé au crâne fracassé.

 

            Je me mets à hurler. Christian rage, s'acharne sur mon pantalon qui refuse de s'ouvrir, m'insulte.

 

C'est là que Kammal le voit. Ousmane est allongé au pied d'une dune. Il porte la tunique qu'elle préfère, une blanche bordée de bleu. Son visage est presque tranquille, malgré l'étoile de sang rouge à son front. Kammal est tombée à genoux.

 

            J'entends la porte qui s'ouvre. Des filles entrent en courant. Elles envoient Christian au sol. Je me jette dans les bras de la plus proche, sans cesser de hurler.

 

Le reste est trouble. Trop de larmes, peut-être. Dans les souvenirs de Kammal, il y a juste ce corps au sol, devant elle, les assaillants qui repartent par petits groupes et leurs cris qui s'estompent peu à peu au loin.

Kammal se rappelle que le ciel lui a semblé taché de sang. Et que la terre s'est enfoncée dans un gouffre noir.

 

            Je n'ai pas revu Christian pendant deux semaines. J'étais incapable de parler à qui que ce soit. Cette fois, j'étais seule, complètement seule. Je l'avais perdu. Mes Ç amies È me regardaient de haut, ne comprenant pas pourquoi j'avais jeté le seul garçon qui s'intéressait à moi.

Jusqu'à ce qu'enfin, il revienne. Plein d'amour et de promesses, comme avant. J'ai écouté ses excuses, puis ses serments. Il m'aimait encore. Tout s'envola, mon dégoût de lui, et ma peur affreuse de la solitude. Il m'aimait encore. Encore. Je l'ai cru.

 

            Nasrin griffe le sol à pleines mains. Ses larmes roulent une à une, plus lentes, plus grosses. Elle l'a cru.

D'un geste, elle retire sa bague si vivement qu'elle se griffe. Une goutte de sang perle à son doigt. La bague tombe en tournoyant lentement et s'enfonce dans le sable.

Lorsque Nasrin relève la tête, Kammal est devant elle, immobile, et la regarde.

La jeune fille se lève lentement. D'une voix encore étranglée, elle murmure :

Kammal… Où est-ce qu'on est ?

Celle-ci a un regard étrange :

C'est Wardatt a' Rimaal, la ville des roses des sables.

Sa voix est lointaine.

Le jour où j'ai rencontré ton grand-père, je lui ai dit que je voulais mourir, qu'il n'y avait rien pour moi dans ce monde. Alors, il m'a amenée ici.

Nasrin essuie ses larmes :

Mon grand-père ? Ousmane ?

Kammal a un faible sourire :

C'est là que j'ai décidé de passer toute ma vie ici, à ses côtés. Il venait de m'offrir le plus beau des cadeaux : une cité unique, millénaire, à découvrir, à explorer, à protéger. Partager sa vie, vivre avec les habitants de la Vallée… Sa famille avait toujours vécu là, veillant sur le site depuis des générations. Personne ne devait savoir.

Nasrin secoue la tête :

Mais… et les archéologues ? Pourquoi ne pas étudier la ville avec eux ?

Kammal a un regard cynique :

Archéologues ? Il n'y en a pas ici. Il n'y a que l'argent qui compte et la cité représente une véritable fortune. Ce sont les hommes au pouvoir qui gâchent la beauté de ce pays. C'est à cause d'eux que nous en sommes là. Je ne livrerai pas ce que m'a confié Ousmane à des assassins.

La jeune fille s'approche :

Kammal… Comment est-il mort ?

Celle-ci détourne la tête. Ses yeux brillent un peu trop :

Un raid d'intégristes. Il y a longtemps. Le village était beaucoup plus grand, alors. Peu ont survécu.

Doucement, Nasrin lui prend la main. Surprise, Kammal relève la tête. Leurs yeux se croisent. Ils expriment la même détresse.

Kammal l'attire doucement à elle. La jeune fille jette ses bras autour de son cou, et prononce d'un ton étouffé :

Si tu savais, Kammal… Je n'en peux plus…

Celle-ci la presse longuement contre elle :

Viens avec moi.

 

            Main dans la main, Kammal et Nasrin montent le long d'un escalier taillé dans la roche. Il serpente jusqu'à une terrasse rocheuse qui surplombe la ville. Le soir tombant baigne les maisons d'ombres rouges.

Arrivée en haut, Kammal se tourne vers sa petite-fille :

Viens Nasrin, viens et regarde.

            Nasrin émergeant sur la terrasse est soudain accueillie par une bourrasque de vent tiède qui s'engouffre dans ses cheveux.

Ses yeux s'écarquillent. Elle sent ses jambes trembler sous elle.

Sous ses pieds, la falaise plonge à pic dans un océan de dunes. Le vent parcourt les sables, dessinant une marée brûlante sur son passage. Les derniers rayons de l'astre triomphant éclaboussent le ciel d'or et de feu. Une vibration formidable monte de la montagne. Et droit devant, un soleil gigantesque embrase l'horizon, à l'apogée de son déclin.

 

            Kammal et Nasrin se sont assises, envoûtées, prises dans un tourbillon vertigineux, toutes seules sur la crête de la falaise dont les replis ont été peints de signes mystérieux, trois mille ans plus tôt. Le temps s'est arrêté.

Alors, Kammal se met à parler, à raconter à quel point elle aime ce désert. Les dunes différentes chaque matin, le bruit d'un caillou qui éclate sous le soleil, le silence des montagnes qui cristallise tous les sons, le chuchotement du vent à l'heure la plus chaude et le martèlement du sable avant le tempête.

Tout en parlant, elle a plongé la main dans sa veste :

Tiens Nasrin, c'est pour toi.

Elle lui tend une pierre de cornaline montée en pendentif au bout d'une cordelette. La jeune fille le prend. En son centre s'est formé une minuscule rose des sables.

Les hommes qui ont construit cette cité admiraient profondément la magie de la nature. J'ai trouvé ce médaillon dans une des maisons. C'est mon cadeau.

La gorge nouée par l'émotion, Nasrin passe le pendentif à son cou.

Kammal… Pourquoi as-tu voulu que je vienne ?

La vieille femme se tourne vers elle :

Tu sais, à ton âge, j'étais très seule. Je trouvais la vie si vide, et si laide. Quelqu'un a été là pour me montrer que j'avais tort. C'est pour ça que j'ai voulu te connaître. Et t'aider. Parce que j'étais sûre qu'on se ressemblerait.

 

Dans le ciel qui s'obscurcit, les premières étoiles apparaissent. La nuit douce et feutrée recouvre la cité des roses de sables. Au loin, un faucon plane.

Déborah Besnard-Javaudin