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Anne Douaire-Banny : « Sans rimes, toute une saison, loin des mares ». Enjeux d'un débat sur la poésie nationale.

Ancienne élève de l'ENS de Lyon, Anne Douaire-Banny est maître de conférences à l'université de Paris-Sorbonne. Pendant quelque temps, elle a été en délégation auprès de l'université Paris-Sorbonne Abou Dhabi. Elle travaille sur les auteurs de la Caraïbe (Aimé Césaire, Édouard Glissant, Patrick Chamoiseau, Simone Schwarz-Bart, Vincent Placoly, Daniel Boukman…).

Texte mis en ligne le 20 mai 2011.

© : Anne Douaire-Banny.


« Sans rimes, toute une saison, loin des mares »

Enjeux d'un débat sur la poésie nationale

« Fous-t-en Depestre fous-t-en laisse dire Aragon[1] »

« Quittez Aragon bouler[2] »

« La faiblesse de Depestre – dirais-je l'erreur ? – est d'avoir une vue a priori du problème[3] ».

« Mais où est Depestre ? Quel est cet éblouissement, quelle est cette contemplation extatique devant l'héritage prosodique français[4] ? »

Quelle volée de bois vert que celle que subit Depestre en 1955, à la fois violente et surannée ! Voilà le genre d'échange qui n'a – hélas – plus cours aujourd'hui ; nos débats sont redevenus feutrés, nos fleurets mouchetés. Au milieu des années 1950 en revanche, en ces temps de congrès internationaux[5] qui réunissaient des écrivains « hommes de culture » assumant une « responsabilité[6] » politique, en ces temps de décolonisation et de défis révolutionnaires pour la faire advenir dans les meilleures conditions, les armes rhétoriques étaient dégainées. Elles étaient cependant parfois – et pour les mêmes raisons – émoussées pour avoir été trop trempées dans un bain idéologique ; l'écrivain disparaissait alors derrière le militant.

Il serait fautif cependant d'en rester à cette lecture de la querelle opposant Depestre à Césaire autour de la « poésie nationale » prônée par Aragon dans les Lettres Françaises[7]. Car si la querelle est politique – l'engagement inconditionnel du jeune Depestre dans la droite ligne de l'internationale communiste s'opposant à la volonté de Césaire de « marronner », c'est-à-dire d'imposer la « spécificité nègre » dans les réflexions et les actions de son parti[8] – elle est aussi poétique, pleinement.

La poésie étant ce qui « installe [le poète] au cœur vivant de [lui-]même et du monde[9] » (Césaire), le débat sur la poésie nationale mêle inextricablement plusieurs dimensions : débat formel, enjeux idéologiques, questions de positionnement dans un champ littéraire alors encore paré du prestige de l'intellectuel… Conscient de la portée de ces enjeux multiples, le jeune Depestre se débat :

Qu'on veuille bien ne pas me trouver l'air de celui, qui, ayant reçu des fleurs, oublie d'en respirer le parfum, pour se mettre à compter les épines… De celles-ci qui abondent dans le bouquet de Césaire, j'aurais volontiers tiré un parti strictement personnel, si le vague « marronnons-les Depestre » et le précis « fous-t-en Depestre fous-t-en laisse dire Aragon » ne me paraissaient des nids de guêpes que la colère – fleuriste parfois aveugle – a oublié d'extraire de la gerbe[10].

Si cette étude est consacrée à cette querelle, c'est qu'il nous semble intéressant d'en étudier les rouages en tant qu'ils éclairent le fonctionnement du champ littéraire de l'époque. Il est souvent considéré que le débat Césaire-Depestre n'a concerné que les écrivains dits « francophones » et plus particulièrement les « négro-africains »[11]. Il nous semble au contraire important de resituer le contexte de son éclosion, et de rappeler que l'ébullition des « artistes et écrivains noirs » était suivie de près par l'intelligentsia tout entière. Les fréquentations parisiennes des uns et des autres (Breton, Camus, le CNE, bien sûr, mais aussi les éditorialistes, les partisans de la décolonisation, les écrivains communistes, les condisciples de Césaire, Senghor et des autres à l'ENS…), les relations tissées lors des résistances et des exils de la période vichyste, l'entrelacs des dédicaces, des préfaces et des recensions : tout cela ne doit pas être négligé. Que le débat n'ait pas suscité de réaction notable parmi les écrivains français ne signifie pas qu'il ne les intéressait pas ou ne les concernait pas. Le silence est aussi à interpréter, « Que pouvons-nous en entendre[12] ? ». Il importe tout particulièrement de ne pas accepter et reproduire sans les questionner les partitions toutes faites entre écrivains noirs et écrivains « non-noirs », entre Français et non-Français, sous peine de tautologie.

Leçon de poésie ou rappel à l'ordre de l'homme de culture responsable ?

La réaction blessée de Depestre s'explique aisément par la rudesse du coup porté par Césaire, et par la publicité qui lui a été donnée ; rappelons les faits et leur contexte.

En 1953 et 1954, Aragon publie dans les Lettres Françaises une série d'articles montrant la nécessité et la possibilité de la « liquidation de l'individualisme formel en poésie[13] » en cultivant le « lien charnel, vivant » entre l'écrivain et le peuple. Au sortir de l'occupation allemande, Aragon ressent la nostalgie du « grand tracteur français de l'alexandrin » en une métaphore très agricole et lance l'appel du retour au sonnet[14] comme forme nationale. L'analogie avec la Renaissance de la Pléiade est tout à fait assumée, comme l'est aussi l'idéologie révolutionnaire communiste. Le paradoxe d'un communiste – donc internationaliste – revendiquant une appartenance nationale ne frappe que si l'on oublie deux éléments importants : l'époque inclinait à se réchauffer au grand corps national qu'on avait craint de voir se perdre sous la botte allemande ; Aragon n'est pas que communiste, il est aussi un homme conscient des enjeux d'une carrière littéraire[15]. Communiste et national donc (le poète est cité par De Gaulle dans son discours d'Alger du 31 octobre 1943), il est aussi « grand écrivain[16] » : la combinaison de ces trois caractéristiques donne le ton du débat.

Le jeune René Depestre (il a tout de même vingt-neuf ans lorsqu'il écrit la lettre-détonateur mais son style est encore celui d'un jeune homme enthousiaste et fasciné par la hauteur de vue de son aîné - Aragon a alors cinquante-huit ans), entré en 1945 dans le monde littéraire par le recueil remarqué Étincelles puis en 1946 par le lancement de la revue La Ruche, se pose d'emblée en admirateur du surréalisme – d'André Breton d'abord, d'Aragon ensuite –, en militant nationaliste haïtien et en communiste convaincu. Cherchant sa voie dans l'écriture et dans l'engagement, on le sent tenté par une allégeance qui lui apporte de nombreuses réponses :

Je suis en train de résoudre, grâce à Aragon, le conflit où se débattait mon « individualisme formel »… Je me suis théoriquement rallié aux enseignements décisifs d'Aragon et d'ici peu l'accord se fera entre la nouvelle conscience que j'ai acquise du réalisme en poésie et les moyens émotionnels par lesquels ma sensibilité est appelée à illustrer ma compréhension des problèmes soulevés et résolus dans le « Journal d'une poésie nationale ». Je n'aurai pas fini de sitôt de réfléchir[17]

La lettre tout entière baigne dans une tonalité révérencieuse qui surprend lorsqu'on a en mémoire l'explosivité et l'agressivité d'Étincelles. À croire qu'un poète criant « Non » et écrivant

je crie non

[…]

j'accroche ce mot à mes gestes

je l'entoure de colère

pour qu'il éclate

toutes les fois que les lâches

s'apprêtent à dire oui[18],

à croire qu'un tel poète entrant dans la zone d'incandescence d'un autre poète adepte d'un « style à décorner les bœufs », d'un « langage cataclysmique[19] », se transforme en disciple admiratif et soumis : « Aragon éclaire de son génie, de son exemple, la direction qui doit être la nôtre, poètes haïtiens[20]. »

Présence Africaine saisit l'occasion d'organiser un débat sur la question et lance la discussion par une longue citation de la lettre de Depestre, suivie immédiatement par une mise en retrait des éditeurs de la revue derrière Césaire – qui apparaît donc comme chef de file incontestable :

Conscients de l'importance de la question, nous avons organisé le 9 juillet dernier, un débat au cours duquel Césaire expliqua sa position en matière de poésie, et où quelques poètes et romanciers d'Afrique et des Antilles prirent également la parole. On lira ci-dessous l'essentiel de l'intervention de Césaire[21]

L'anonymat dans lequel sont plongés les « quelques poètes et romanciers » indique assez par contraste la position dominante de Césaire qui tient parfaitement son rôle. C'est sans doute d'abord au ton de la lettre qu'il réagit, lui qui avait salué les premières publications de Depestre et avait préfacé son recueil Végétation de clartés en 1951, lui qui a montré qu'en Haïti résidaient les forces de surrections, d'insurrection et de créativité dont les Antilles aliénées avaient un besoin vital. Découvrir un Depestre tout en soumission et fascination a sans doute irrité le représentant d'une négritude combattante ; il en retrouve des accents professoraux et procède ligne à ligne, pied à pied, à une explication du texte de Depestre, de la même façon qu'il corrigerait la copie décevante d'un élève dont il attendait mieux.

Je crois que le problème est mal posé.

Tout d'abord, je relève dans la lettre de Depestre une singulière contradiction.

Dans un paragraphe, il affirme et avec raison que pour le poète antillais « ce serait une erreur, un démenti de la nationalité que d'ignorer le volet africain. »

[…] Mais chose curieuse, […] il en arrive à écrire cette phrase : « Aragon éclaire de son génie, de son exemple, la direction qui doit être la nôtre, poètes haïtiens, en nous laissant la responsabilité avec le coefficient propre de notre talent d'utiliser les données étrangères au domaine français. » Et il ajoute :

« Nous devons pénétrer l'essence de sa démarche pour discerner dans le patrimoine culturel qui nous vient d'Afrique ce qui peut s'intégrer avec harmonie à l'héritage prosodique français. »

Il me semble que cette dernière phrase détruit le paragraphe que je citais tout à l'heure et auquel je donnais mon accord. […] Et voici le paradoxe. Depestre dans le même temps qu'il s'efforce de s'engager dans les voies de la « poésie nationale », d'une poésie nationale antillaise, choisit de rendre son inspiration prisonnière des formes toutes faites qui relèvent très typiquement du cosmopolitisme de la rhétorique internationale.

[…] J'ai parlé de l'assimilationnisme de ce qui est […] l'actuelle position de Depestre.

Il serait tout aussi légitime de parler de son formalisme.

[…] On parle beaucoup depuis quelque temps de « poésie nationale ». Je pense que c'est là un faux problème. Que la poésie soit – et c'est tout. Elle sera nationale par surcroît[22].

Autorité de l'énonciation, mise en évidence des faiblesses argumentatives, dénonciation impitoyable dans sa sécheresse : Césaire utilise tout son arsenal et sature l'espace symbolique qui lui est alloué par la revue. Poussant l'avantage, il choisit de refuser, après cette intervention, de polémiquer plus avant. Il ne répondra pas à la réponse de Depestre, s'en tenant au péremptoire – et presque bretonnien – « Que la poésie soit – et c'est tout. D'autres s'en chargeront pour lui : Peter Gubarina, Senghor et Gilbert Gratiant d'abord, puis David Diop et Bernard Dadié[23], tous dans la veine de Césaire, tous du côté de la poésie surgissant de la nuit primordiale plutôt que du travail formel anesthésiant.

La revue a donc fonctionné comme un lieu d'enregistrement et de confirmation des positions respectives dans le champ. Pourquoi Depestre est-il à ce point marginalisé et Aragon aussi peu considéré alors qu'une parenté esthétique et politique est décelable, bien que fortement nuancée, entre Aragon et Césaire ?

Ne revenons pas sur la leçon de poésie, la définition de Césaire est bien connue[24] : ce que Césaire refuse, c'est la poésie appliquée, normée, structurée de l'extérieur. De ce point de vue, un Depestre tentant dans sa réponse de montrer que, loin de se soumettre à une écriture impersonnelle, il suit les préceptes de son « grand ami Aimé Césaire » et qu'il n'étudie les formes françaises que comme préalable à une écriture singulière, ne fait qu'aggraver son cas. Ce que Césaire lui reproche n'est pas de lire et d'admirer les poètes français – lui-même a toujours affirmé sa profonde dette à l'égard de Lautréamont, de Rimbaud, de Claudel même – mais de proclamer que son écriture est consciemment, volontairement, presque scolairement, un « effort », une « structuration ». « Traditions savantes et traditions populaires fournissent des points de départ à l'effort d'originalité et d'invention du poète[25] ». Si l'originalité est un effort, si l'invention se travaille et ne jaillit pas comme une « flambée de lucioles » (Césaire), alors le poète manque de souffle et manque sa cible.

Mais il semble que la condamnation de Césaire et du groupe qui l'entoure ne soit pas justifiée que par cette conception d'une poésie péléenne. Le mot d'ordre « Quittez Aragon bouler », autrement dit « Fous-t-en Depestre fous-t-en, laisse dire Aragon » ne doit pas faire oublier que Aragon et Césaire ont bien des points communs, au-delà même de leur compagnonnage d'un temps avec le surréalisme : l'Aragon du Traité du style, l'Aragon « théoricien de la subversion poétique sous l'oppression[26] », l'Aragon cherchant dans les profondeurs de la culture populaire le ferment d'une nouvelle révolte chemine sur les mêmes voies que le Césaire de « En guise de manifeste littéraire », le Césaire éditeur de la revue Tropiques malgré le régime de l'amiral Robert, le Césaire puisant dans le « terreau primordial nègre » les « armes miraculeuses » qui feront advenir « la fin du monde, parbleu ! ». Et Aragon a bien conscience lui aussi des dangers du formalisme : si la forme prédomine, alors « la machine à penser [qu'est le sonnet] tourne à vide[27] ».

Mais ces voies, en ces temps de préparation des décolonisations, doivent afficher leurs divergences. De là vient sans doute une autre motivation, inévitable, de Césaire et des siens dans un « champ culturel structuré par la dégradation du symbolique[28] » et marqué par le sommet de Bandoeng, puis à un autre niveau par les Congrès de Paris (1956) et de Rome (1959).

Les priorités sont clairement établies pour les organisateurs des deux congrès : il s'agit de préparer les décolonisations en luttant contre toutes les formes d'aliénation et d'assimilation. L'allégeance à Aragon, dans ce contexte, pose un problème lourd. Le poids que jette Césaire dans la bataille, la dureté de sa critique, le soutien que lui apportent ses proches dans le combat anti-colonialiste, s'expliquent sans aucun doute par la nécessité de rendre impossible tout rapprochement avec les élites françaises, même anti-colonialistes : c'est le temps faible de la dialectique, a dit Jean-Paul Sartre dans « Orphée noir[29] », le temps de la réaction, de l'agrégation de toutes les forces noires qui doivent d'abord s'unir pour ensuite surgir, « inattendument debout » (Césaire) et faire valoir leur droit à l'initiative – et non plus seulement le droit à la réaction, à la résistance. L'homme de culture a des responsabilités, martèle Césaire, qui prend les siennes, lors du Premier Congrès en 1956.

Sans rimes, toute une saison, loin des mares…

Depestre a beau jeu de rappeler que, étant haïtien, cela fait cent cinquante-deux ans qu'il a appris à « marronner » « à la mamelle » ; sa perspective n'est donc pas, stricto sensu, de décolonisation. S'il lutte, c'est pour l'avènement de la société sans classes et c'est l'« esthétique matérialiste qui [lui] sert de boussole[30] ». Pris dans son admiration pour Aragon et dans son enthousiasme communiste, Depestre prétend réconcilier les deux hommes éloignés depuis longtemps déjà[31] et prend une posture assez déconcertante dans sa réponse : tentant de contester à Césaire sa position dominante, il souligne que lui, Depestre, est le seul parmi les « poètes d'expression française » à avoir été admis dans les pages de la revue d'Aragon et il réclame que d'autres soient accueillis. On imagine à quel point, à cette époque, Césaire pouvait être éloigné du souhait d'être publié par Aragon et soutenu par le PCF ! Il laisse aussi entendre, assumant le rôle de l'écrivain haïtien admis dans les cénacles parisiens bruissants, qu'un « silence s'est établi autour de Césaire ». De là à se présenter comme un recours possible pour ceux que l'aventure éditoriale parisienne tente…

C'est à ce Depestre-là, fasciné par les salons et les mondanités, que Césaire conseille un nouveau voyage « sans rimes, toute une saison, loin des mares… ». Par ce vers riche de déséquilibres invitant à l'insoumission prosodique, Césaire tente de réveiller Depestre de sa fascination. L'appel à l'abandon de la rime est une référence directe à la question de la poésie nationale puisque c'est entre autres autour de la rime qu'Aragon travaillait, lui qui voyait dans l'alexandrin « ce terrible maître du tambour[32] ». Un tambour rendu docile, donc. L'image du tambour est d'ailleurs omniprésente pendant le débat abrité dans les pages de Présence Africaine et rend inopérante l'insinuation de Depestre suggérant que Césaire est environné de silence : à partir du « Crois-m'en comme jadis bats-nous le bon tam-tam » (Césaire), le débat s'empare de cette image – à la fois description d'une caractéristique culturelle[33] et évocation d'un instrument de ralliement[34]. C'est à l'appel du tambour que Depestre est invité à répondre.

Il est tentant d'interpréter « toute une saison » comme une raillerie supplémentaire à l'encontre d'un Depestre changeant, virevoltant au gré des modes et des mots d'ordre, séduit par les rentrées littéraires et les diktats de l'actualité parisienne. C'est ainsi qu'il se met lui-même en scène lorsqu'il évoque ses rencontres avec Sartre qui incarnait « sous nos yeux, le fantastique fait fraternel d'un Hercule de la connaissance et de la tendresse[35] ». Assumant sa posture d'admirateur, il raconte son étonnement et sa reconnaissance envers le grand homme qui lui accorde un moment, à lui si indigne : « Au naturel de son génie et de son ivresse de vivre, Sartre fraternisa avec le n'importe qui tombé de la négritude à l'haïtienne. Sans effraction aucune, j'étais admis au paradis du savoir et de l'humour sartriens[36]. » On retrouve ce ton mêlé de soumission admirative et de prétention à « en être » dans les entretiens qu'il accorde, dans les récits qu'il donne a posteriori. Césaire évoquant les saisons rappelle aussi à Depestre qu'il vient d'un lieu, d'une nature – « Est-il vrai que tu doutes de la forêt natale » –, qu'il lui appartient de s'y enraciner pour éviter le risque de la dilution dans l'universel – ou plutôt dans le parisianisme qui n'est plus de nulle part. « Toute une saison » déploie le temps long de la nature, le temps de la contemplation, de la racine, face au temps du scintillement des appareils et des consécrations fugaces.

Quant aux mares, elles sont une image de ces lieux où les grands fauves s'abreuvent, où les querelles se nouent, où les eaux stagnent : une « taie d'eau morte » dont il faut s'éloigner. « Ma négritude n'est pas une taie d'eau morte ruée contre la clameur du jour » lit-on dans le Cahier d'un retour au pays natal, comme une ligne de conduite, une méfiance vis-à-vis des embrigadements « rués » contre la clameur des peuples ; cette méfiance sera bientôt explicitée dans la Lettre à Maurice Thorez. L'entreprise de Césaire, son « initiative », est depuis 1939 de « briser la boue », sortir de la gangue, « forcer la membrane vitelline qui me sépare de moi-même » : toutes images qui luttent contre les eaux stagnantes, les taies et les obscurcissements. Par elles, Césaire tente de faire revenir Depestre à sa force propre : il avait préfacé en 1951 le recueil Végétation de clartés en saluant un « nouveau gouverneur de la rosée ». Le titre même de ce recueil entre en résonance avec le lexique et l'imaginaire césairien : à l'époque, Depestre associe poésie et clameur, luminosité, nature et transmission, loin de la quête d'une forme traditionnelle. De la rosée aux mares, Césaire tente de susciter le cheminement à rebours… que Depestre entreprendra plus tard lorsque, ayant trouvé dans le vaudou le noyau identitaire d'Haïti, il pourra creuser son propre sillon.

« L'éblouissant effet Césaire » (Depestre)

C'est ainsi que Depestre, dans Le Métier à métisser qualifie l'impact de Césaire sur lui et sa génération, reconnaissant a posteriori la victoire de Césaire à l'époque. C'était déjà chose faite en 1956 : interrogé par Présence Africaine après le Premier Congrès et cité dans la Conclusion du débat sur la poésie nationale, Depestre battait en retraite et se plaçait sous la tutelle de Césaire :

[…] sur le terrain du lyrisme, et de ses possibilités nègres, rien, mais absolument rien, quant au fond, ne saurait désormais me séparer de la position esthétique qu'a définie, l'an dernier, Aimé Césaire[37].

Le revirement est total, Césaire après le Premier Congrès apparaît encore davantage comme incontestable. Depestre demande en quelque sorte à reprendre sa place, ce qui lui est accordé : dans ce numéro de Présence Africaine figurent en même temps l'article de A. M. Wade, très critique pour Depestre, et la conclusion qui clôt la querelle en validant le retour de l'enfant prodigue : « Nous pensons que ces lignes apaiseront les inquiétudes qu'exprime à l'égard de Depestre, notre collaborateur Amadou Moustafa Wade […]. Il réagit, non sans violence, au sujet d'une position que René Depestre a déjà dépassée[38]. » Le groupe qui entoure Césaire réintègre Depestre, marginalisé lors du Congrès.

On peut également lire les récits que fait Depestre de sa propre carrière comme la tentative de se repositionner dans le champ : non plus comme adversaire de Césaire dans les mêmes milieux, mais comme un admirateur ayant tracé ensuite et grâce à lui sa propre route. Il adopte en effet une posture nouvelle et récrit cette partie de son itinéraire. « Le mouvement politique auquel j'ai longtemps appartenu, celui des “révolutions” du XXe siècle, a failli truquer à tout jamais mon intégrité d'artiste et de citoyen[39]. » Ce mea culpa étant fait, la période parisienne de sa vie prend une autre allure : il se présente proche de Breton et laisse entendre, par la succession des récits, qu'il l'a suivi contre Aragon après-guerre.

Je fus témoin, lors d'une conférence de Tristan Tzara à la Sorbonne [11 avril 1947], de l'événement littéraire qui consomma la rupture définitive entre, d'une part, André Breton, Péret, Mabille [à qui il consacre aussi une partie très élogieuse] ; et d'autre part, des hommes comme Aragon, Éluard, Tzara, Vailland, passionnément requis, à leurs risques et périls, à perdre leur âme sur la rive ou [sic] le communisme devait, à l'échelle mondiale, se conduire en criminel briseur de rêves au service du terrorisme d'État à la soviétique[40]

Aragon disparaît presque sous sa plume ; aucune mention, non plus, du si fameux débat avec Césaire. Au contraire, « le poème est apparenté au lyrisme naturel du cosmos » et non plus au « grand tracteur de l'alexandrin »… Depestre a choisi le vaudou comme « bon tam-tam » et développe une écriture poétique efficace[41] ; on peut lire dans les « Notes » qui ferment Arc-en-ciel pour l'occident chrétien cette définition du vaudou :

Vaudou : […] Le vaudou est […] un des éléments actifs qui entrent dans la formation de la culture nationale du peuple haïtien. Il comporte une mythologie très riche qui peut féconder à merveille les efforts créateurs des poètes et des écrivains d'Haïti[42].

Il porte désormais le statut de l'écrivain haïtien « nomade enraciné », « géo-libertin », du poète « homme-banyan » vaudouisant, métissé, solaire et souriant. Il est l'un des porte-parole du métissage, de la créolité, de l'identité multiple et ouverte – ce qui le conduit parfois, malgré sa grande déférence envers Césaire, à quelques déclarations discutables[43].

« Nous sommes prêts au chant nécessaire, à faire la leçon aux rois[44] » (Aragon)

La querelle Césaire-Depestre semble donc être moins motivée par une opposition entre Césaire et Aragon sur la question de la poésie nationale que par la colère de Césaire de voir Depestre perdre le sens de la « forêt natale » et du « chant nécessaire ». Cette dernière expression est d'ailleurs d'Aragon lui-même mais n'aurait pas été rejetée par Césaire qui parle du « chant profond du jamais refermé[45] ». À lire la préface qu'Aragon donne en 1961 à Mohammed Dib, on constate que le « poète national » a évolué lui aussi : lui qui en 1954 voyait en Gilbert Gratiant, martiniquais – qui lui avait envoyé un poème aux Lettres Françaises – un poète « parmi tant d'autres qui traduisent à leur façon la pensée nationale, le chant profond de notre pays[46] », comprend que le rapport à la langue française des écrivains francophones colonisés est trop complexe pour être soldé d'un lapidaire « à leur façon » :

Puis-je de mes yeux français saisir la naissance de la poésie algérienne ? […] Le singulier dans cette affaire, c'est qu'ici je ne me trouve pas devant une poésie traduite, les mots sont les nôtres, les miens […]. Et c'est bien là sans doute un aspect essentiel de ce drame algérien […] qu'à l'heure de l'expression la plus haute, ceux-là mêmes qui sont la fidélité à leur pays aient pour langage, pour exprimer l'indiscernable, ce français, ce clavecin bien tempéré, cet instrument des bords de Loire, ce parler qui est aussi celui des soldats dans la nuit, le vocabulaire du ratissage, le commentaire de la torture et de la faim[47].

Voilà une prise de conscience certes tardive et qui semble aujourd'hui bien peu originale ; elle est cependant remarquable en ce qu'elle manifeste la capacité d'Aragon à observer les solutions apportées par d'autres aux questions qu'il considérait comme les siennes. La langue devient problématique alors qu'elle était un recours sacré et immédiat ; le « clavecin bien tempéré » peut se faire complice de meurtres abjects. Les ondes du sonnet, cette « machine à penser », peuvent déboucher dans les « mares ».

Sent-on ici une tentation de méfiance vis-à-vis des idéologies ? Il est peut-être hasardeux de le penser à propos d'Aragon en 1961 bien qu'on veuille parfois lire dès 1956 une prise de distance avec Moscou ; l'éloignement explicite n'apparaît franchement qu'en 1968. Cependant cette préface indique qu'un doute existe dans l'esprit d'Aragon, que les solutions sereines – même dans leur violence assumée – n'ont plus cours. La nation n'est pas un donné ni un acquis : elle est un débat. Pour Césaire, la naissance d'une nation – ou sa renaissance, selon les cas – implique une liberté culturelle réelle[48] ; pour Fanon, au contraire, la culture ne pourra exister et être efficace pour libérer les esprits que si l'État existe. Sans le support jumeau de la nation et de l'État en effet, la culture s'étiole ou chuchote.

Si l'on peut acquiescer à la vision de Fanon, il faut également admettre que son discours a été rendu possible par le travail culturel de ses aînés et de ses professeurs. Que le débat sur la poésie nationale, suscité par Aragon, animé par Depestre, Césaire et les autres, par la revue Optique à Port-au-Prince, par Présence Africaine à Paris, a permis aux intellectuels de faire leurs armes et de prendre la mesure de leurs forces ; de forger pour leurs mythes une forme impressionnante. Sans ces mythes, l'idéologie tournerait à vide. Sans ce travail poétique, sans son travail dans le Journal d'une poésie nationale qui pose la rime comme un mythe national et le poème comme un acteur de l'édification ou de la reconstruction nationales, Aragon stagnerait dans la perplexité face à Dib : « ï Mohammed, entre toi et moi, pourquoi cette confiance ? Qu'avons-nous qui ne nous sépare ? Et il sourit pour la première fois, et il me répond par son plus court poème : “l'avenir…”[49]. » L'avenir est un poème, le poème est un avenir. On est bien là face à une conception mythifiante de la poésie : la poésie au sens d'ensemble des poèmes possibles est une fiction rassurante, un horizon d'attente et un système explicatif du monde tel qu'il est et du monde tel qu'on le rêve.

Cet « avenir » que Dib adresserait à Aragon rappelle « la force de regarder demain » de Césaire et les prises de position esthétiques nettes de Depestre dans les années 1960 : c'est une ouverture vers le mythologique comme contrepoids équilibrant – non comme antidote ou comme alternative – à l'idéologie. Contre « la pression historique » (Césaire), le mythe rend possible à la fois le surgissement et la fondation, la révolte et la basse continue. Depuis son « île veilleuse[50] », au début des années 1960, Césaire observe l'Afrique qui accède aux indépendances, l'Afrique qui abandonne le mythe pour l'idéologie[51] et il craint les risques que cela comporte. Il est possible de lire ce qu'il dit de la poésie à la lumière de ce besoin du mythe : la poésie telle qu'il la définit devient elle-même mythe opératoire. « La poésie est cette démarche qui, par le mot, l'image, le mythe, l'amour et l'humour, m'installe au cœur vivant de moi-même et du monde » dit-il, écrit-il, et ces mots deviennent autant de relais d'une foi nouvelle en la parole-force, en la profération. Il ne doute pas, il affirme avec la force gnomique que Breton aussi donnait à la poésie (« La beauté sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas[52] »), qu'Éluard posait comme une évidence (« Jamais une erreur les mots ne mentent pas[53] »). Cette certitude, cette caractérisation de la poésie en font un actant, héroïque et efficient : la poésie fait advenir et comme le héros elle « commande aux îles d'exister ».

C'est sans doute cette force prophétique du verbe poétique qui a convaincu Depestre de chercher ailleurs que dans la rime le vent de sa parole nationale ; c'est probablement « l'éblouissant effet Césaire » qui a révélé au poète haïtien son attachement au vaudou comme l'algue laminaire à son rocher antillais ; c'est Césaire dont les textes démontrent qu'il faut « habiter le pan d'un grand désastre » pour pouvoir éclairer d'un « arc-en-ciel […] l'occident chrétien », qu'il faut d'abord être « nous » par la force d'un mythe commun pour pouvoir dire comme Aragon « Nous sommes à nouveau prêts au chant nécessaire… à faire la leçon aux rois »…

Anne Douaire-Banny


Bibliographie

1. Le débat :

Louis Aragon, Journal d'une poésie nationale, Lyon, Les Ecrivains réunis-Henneuse, 1954.

René Depestre, « Lettre au poète Charles Dobzynski », Lettres Françaises, nº 573, 16-23 juin 1955.

Dans Présence Africaine (nouvelle série) :

« Un débat autour des conditions d'une poésie nationale chez les peuples noirs » :

nº IV, Oct-Nov. 1955, p. 36-62 :

Aimé Césaire, « Sur la poésie nationale », p. 39-41.

René Depestre, « Réponse à Aimé Césaire (Introduction à un art poétique haïtien) », p. 42-62.

« La suite du débat autour des conditions d'une poésie nationale chez les peuples noirs » :

nº V, Déc. 1955-Janv. 1956 :

Peter Gubarina, « Structure de la poésie noire d'expression française », p. 52-78.

Leopold Sedar Senghor, « Réponse », p. 79-83 

Gilbert Gratiant, « D'une poésie martiniquaise dite nationale », p. 84-89.

nº VI, Fév.-Mars 1956 :

David Diop, « Contribution au débat sur la poésie nationale », p. 113-115

Bernard Dadié, « Le fond importe plus », p. 116-118.

nº X, Décembre 1956-janvier 1957 :

A. Moustapha Wade, « Autour d'une poésie nationale », p. 84-87.

Georges Desportes, « Points de vue sur la poésie nationale », p. 88-99.

Conclusion au « Débat autour des conditions d'une poésie nationale chez les peuples noirs », p. 100-102.

2. Les protagonistes du débat

Aragon

Louis Aragon, Traité du style, Paris, Gallimard, 1928.

Louis Aragon, préface à Mohammed Dib, Ombre gardienne. Poèmes, Paris, Gallimard, coll. nrf, 1961, p. 7-11.

Gisèle Sapiro, « La politique littéraire nationale d'Aragon : de la contrebande poétique au CNE », dans Mireille Hilsum, Carine Trévisan, Maryse Vassevière (Dir.), Lire Aragon, Paris, Champion, 2000, p. 311-329.

Philippe Olivera, « La mise en scène du grand écrivain dans Les Lettres françaises (1956-1972) », Lire Aragon, op. cit., p. 351-362.

Michel Murat, « Aragon, la rime et la nation », Romanic review, Jan-Mar 2001, vol. 92, N. 1-2, p. 185-199.

 

Césaire

Aimé Césaire, « L'homme de culture et ses responsabilités », Deuxième congrès des artistes et écrivains noirs, Rome, Présence Africaine, numéro spécial XXIV-XXV, 1959.

Aimé Césaire, « Culture et colonisation », Premier congrès des artistes et écrivains noirs, Sorbonne, Septembre 1956, Présence africaine, nº VIII-IX-X, Juin-Nov 1956, p. 190-205.

Aimé Césaire, Lettre à Maurice Thorez, Paris, Présence Africaine, 1956 (l'original est conservé aux archives du parti, il est reproduit sur le site de l'émission Là-bas si j'y suis)

Bernadette Cailler, Proposition poétique. Une lecture de l'œuvre d'Aimé Césaire, Sheerbrooke, Naaman, 1976.

 

Depestre

René Depestre, Arc-en-ciel pour l'Occident chrétien. Poème-mystère vaudou, Paris, Présence Africaine, 1967.

René Depestre, Pour la révolution pour la poésie, Québec, Léméac, 1974.

René Depestre, Le Métier à métisser. Essai, Paris, Stock, 1998.

René Depestre, « Sartre dans sa fraternité », Diogène. Revue internationale des sciences humaines, nº 216, octobre-décembre 2006, p. 50-55.

Maryse Condé, « Fous-t'en Depestre, laisse dire Aragon », Romanic review, Jan-Mar 2001, Vol. 92, N. 1-2, p. 177-184.

3. Pour comprendre le cadre du débat :

Abiola Irele, « Négritude – Literature and Ideology », The Journal of Modern African Studies, 3, 4 (1965), p. 499-526.

Jeanne Wiltord, « Habiter "le pan d'un grand désastre" », La Célibataire. Revue de psychanalyse clinique, logique, politique, nº 12, printemps 2006.



[1] Aimé Césaire, « Réponse à Depestre, poète haïtien. Éléments d'un art poétique », Présence Africaine, nº I-II (nouvelle version), avril-juillet 1955. Ce vers, et deux autres, ont été supprimés puis réintégrés dans l'édition La Poésie, Paris, Seuil, 1994, dans le poème désormais intitulé « Le verbe marronner. À René Depestre, poète haïtien ».

[2] Félix Morrisseau-Leroy, écrivain haïtien cité dans Maryse Condé, « Fous-t'en Depestre, laisse dire Aragon », Romanic review, Jan-Mar 2001, vol. 92, nº 1-2, p. 177.

[3] Leopold Sedar Senghor, « Réponse », Présence Africaine, Nouvelle série, nº V, Déc. 1955-Janv. 1956, p. 79.

[4] Amadou Moustapha Wade, « Autour d'un poésie nationale », Présence Africaine, nº X, déc. 1956-Janv. 1957, p. 85.

[5] Premier congrès des artistes et écrivains noirs, en Sorbonne, Septembre 1956 ; Deuxième congrès des artistes et écrivains noirs, Rome, 26 mars-1er avril 1959.

[6] Aimé Césaire, « L'homme de culture et ses responsabilités », Premier Congrès des Artistes et écrivains noirs.

[7] Louis Aragon, Journal d'une poésie nationale, Lyon, Les Écrivains réunis-Henneuse, 1954. L'ouvrage reprend les articles sur le sujet parus depuis novembre 1953 dans Les Lettres Françaises qu'Aragon dirige (1953-1972) avec le soutien du Parti Communiste Français.

[8] Césaire démissionnera du Parti Communiste en 1956 et s'expliquera dans la fameuse Lettre à Maurice Thorez (Paris, Présence Africaine, 1956).

[9] Aimé Césaire, « Poésie et connaissance », Tropiques, nº 12, janvier 1945, p. 169.

[10] René Depestre, « Réponse à Aimé Césaire (Introduction à un art poétique haïtien) », Présence Africaine, nouvelle série, nº 4, Oct-Nov. 1955, p. 53.

[11] Voir le début de l'article cité de Maryse Condé. Son objectif en étudiant cette querelle était « d'illustrer les rapports entre la littérature française et la littérature francophone. Ce sont, au mieux, des rapports d'ignorance, d'indifférence » (p. 177). Une étude stimulante pourrait se consacrer aux enjeux de tels commentaires dans le champ littéraire auquel Maryse Condé appartient à son tour.

[12] Jeanne Wiltord, « Habiter "le pan d'un grand désastre" », La Célibataire. Revue de psychanalyse clinique, logique, politique, nº 12, printemps 2006, p. 47.

[13] Louis Aragon, Lettres Françaises, 19-26 novembre 1953, cité dans le Journal d'une poésie nationale, op. cit., p. 31.

[14] Louis Aragon, Lettres Françaises, 11 février 1954 et 3 mars 1954, op. cit.

[15] Voir l'excellent article de Gisèle Sapiro, « La politique littéraire nationale d'Aragon : de la “contrebande poétique” au CNE », dans Mireille Hilsum, Carine Trévisan, Maryse Vassevière (Dir.), Lire Aragon, Paris, Champion, 2000, p. 311-329.

[16] Philippe Olivera, « La mise en scène du grand écrivain dans Les Lettres françaises (1956-1972) », Lire Aragon, op. cit., p. 351-362.

[17] René Depestre, « Lettre au poète Charles Dobzynski », Lettres Françaises, nº 573, 16-23 juin 1955, reproduite partiellement dans Présence africaine, nouvelle série, nº IV, Oct-Nov. 1955, p. 36-38.

[18] René Depestre, « Quand je crie “Non” », Présence Africaine, « Haïti. Poètes noirs », nº 12, 4ème trimestre 1951, p. 151.

[19] Louis Aragon, Traité du style, Paris, Gallimard, 1928 : « Je donne un sens très élevé au mot style. Je lui remets sa belle robe. Je lui rends son regard très pur. J'appelle style l'accent que prend à l'occasion d'un homme donné le flot par lui répercuté de l'océan symbolique qui mine universellement la terre par métaphore. Et maintenant détache cette définition, valet d'écurie ! Qu'elle rue et te casse les dents ! Je peux maintenant parler du style de Lautréamont », p. 210.

[20] René Depestre, « Lettre au poète Charles Dobzynski », op. cit.

[21] Présence Africaine, nº IV, op. cit., p. 36-37.

[22] Aimé Césaire, « Sur la poésie nationale », ibid., p. 39-41.

[23] Les trois auteurs publient dans la livraison suivante « La suite du débat autour des conditions d'une poésie nationale chez les peuples noirs », (nº V, Déc. 1955-Janv. 1956 ) : Peter Gubarina, « Structure de la poésie noire d'expression française », p. 52-78 ; Léopold Sedar Senghor, « Réponse », p. 79-83 ; Gilbert Gratiant, « D'une poésie martiniquaise dite nationale », p. 84-89. Dans le numéro VI, Fév.-Mars 1956, on trouve David Diop, « Contribution au débat sur la poésie nationale », p. 113-115 et Bernard Dadié, « Le fond importe plus », p. 116-118.

[24] Voir entre autres « Poésie et connaissance », déjà cité ; la « Lettre à Lilyan Kesteloot » dans L. Kesteloot, Aimé Césaire, Paris, Seghers, coll. Poètes d'aujourd'hui, 1962, p. 188-190 ainsi que l'entretien accordé à Jacqueline Leiner en préface de la réédition de Tropiques chez J.-M. Place.

[25] René Depestre, « Réponse à Aimé Césaire [] », art. cit., p. 49. Les italiques sont de nous.

[26] Gisèle Sapiro, art. cit.

[27] Louis Aragon, Journal d'une poésie nationale, op. cit., p. 67.

[28] Voir l'article passionnant de Jeanne Wiltord, déjà cité, et les renvois qu'elle propose au travail de Lucien Wasselin dans le dossier de la revue Faites entrer l'Infini, nº 9, Juin 2005.

[29] Jean-Paul Sartre, préface à L. Sedar Senghor (Dir.), Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Paris, Seuil, 1948.

[30] René Depestre, « Réponse à Aimé Césaire […] », art. cit., p. 43.

[31] « Je tiens également comme un devoir, à me prononcer, avec loyauté, tant sur le fond que sur la forme de la vieille querelle qui enlaidit, aux yeux de tous, l'état de leurs relations », ibid., p. 43. Césaire n'a jamais été proche d'Aragon, mais il s'en est encore éloigné après la querelle qui opposa Aragon et Breton ; le divorce politique était aussi consommé entre les deux hommes.

[32] Louis Aragon, Journal d'une poésie nationale, op. cit., p. 34.

[33] Cherchant à définir « le style de vie noir », G. Desportes écrit par exemple que « le régulateur de l'âme noire […] est le tam-tam : c'est-à-dire l'obsession du courant rythmique à percussion alors de que l'Europe est plutôt axée sur la mélodie » (Georges Desportes, « Points de vue sur la poésie nationale », Présence Africaine, nº X, p. 98). Notons que presque tous les contributeurs de Présence Africaine sur la question reprennent l'expression de Césaire : « battre le bon tam-tam ». Non pas seulement « du tam-tam », ce qui confinerait le poète noir dans un stéréotype de plus, mais « le bon tam-tam », c'est-à-dire son rythme propre, le rythme qui transmettra les messages imposés par la responsabilité, le rythme insoumis, bien loin de l'alexandrin aragonien qui « emmaillotte le chant » (selon l'expression employée dans la Conclusion au débat, Présence Africaine, nº X, p. 100.)

[34] Cette image ÑÊqui deviendra ensuite un leitmotiv des études stylistiques au point parfois de rendre inaudible la mélodie des poèmes nègres Ñ sert à l'époque de point de ralliement pour les auteurs engagés dans la négritude.

[35] René Depestre, « Sartre dans sa fraternité », Diogène. Revue internationale des sciences humaines, nº 216, octobre-décembre 2006, p. 51.

[36] Ibid., p. 53.

[37] « Conclusion », Présence Africaine, nº X, p. 101.

[38] Ibid., p. 101.

[39] René Depestre, Le Métier à métisser. Essai, Paris, Stock, 1998, p. 153.

[40] Ibid., p. 147.

[41] Voir Bernadette Cailler, « L'efficacité poétique du Vaudou dans Arc-en-ciel pour l'Occident chrétien de René Depestre », The French Review, Vol. 53, nº 1, Oct. 1979, p. 47-59.

[42] René Depestre, Arc-en-ciel pour l'Occident chrétien. Poème-mystère vaudou, Paris, Présence Africaine, 1967, p. 139.

[43] « La négritude est une forme d'être de la créolité […]. La négritude, c'est quand la créolité a pris conscience d'elle-même et s'est révoltée contre le racisme. Un jour la créolité est entrée en campagne, dans une rébellion à la Césaire, pour assumer notre passé d'esclaves et danser notre situation historique. », Le Métier à métisser, op. cit., p. 188. L'entretien que Césaire lui accorde dans Pour la révolution pour la poésie (Québec, Léméac, coll. Francophonie vivante, 1974, p. 156-171) mérite d'être étudié dans cette perspective : sans que jamais l'un ni l'autre ne mentionne la « querelle », Césaire évoque chacun des éléments du débat et montre à qui veut lire entre les lignes que la « leçon » administrée dans Présence Africaine en 1955 se poursuit vingt ans après, sur un ton seulement moins professoral… Césaire raconte ses errements condamnables : « Je n'avais pas encore trouvé une forme qui m'était personnelle. Je subissais encore l'influence des poètes français » (les italiques sont de nous) (p. 157).

[44] Louis Aragon, Journal d'une poésie nationale, op. cit., p. 73.

[45] Aimé Césaire, « Ibis-anubis », Moi, laminaire…, dans La Poésie, Carpentier et Maximin (éd.), Paris, Le Seuil, 1994, p. 444.

[46] Louis Aragon, Journal d'une poésie nationale, op  cit., p. 90. Les italiques sont de moi.

[47] Louis Aragon, Préface à Mohammed Dib, Ombre gardienne, Gallimard, 1961, p. 8.

[48] Aimé Césaire, Premier Congrès des Artistes et Écrivains Noirs, op. cit. : « L'esclavage ne peut pas être une école de liberté []. La décolonisation vraie ne peut se faire que par rupture, cela accroît encore et définit plus complètement nos responsabilités d'hommes de culture. Car au sein même de l'époque coloniale, c'est l'homme de culture qui doit faire faire à son peuple l'économie de l'apprentissage de la liberté » (p. 40).

[49] Louis Aragon, Préface à Mohammed Dib, op. cit., p. 11.

[50] Aimé Césaire, « Pour saluer le Tiers-Monde », Ferrements, Seuil, 1960. L'Afrique y est vue comme « à portée du siècle, comme un cœur de réserve ».

[51] Voir Balandier, « Les mythes politiques de colonisation et de décolonisation en Afrique noire », Cahiers internationaux de sociologie, Paris, XXXIII, 1962, p. 93. Cité par Abiola Irele, « Négritude – Literature and Ideology », The Journal of Modern African Studies, 3, 4 (1965), p. 522.

[52] André Breton, L'Amour fou, Paris, Gallimard, 1937, fin du premier chapitre.

[53] Paul Éluard, « La terre est bleue comme une orange », L'Amour, la poésie, Paris, Gallimard, 1929.


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