[ ] J'ai fait à pied de longues routes, Marchant la nuit, craignant les voix, Plus rempli d'ombres et de doutes Que la bête fauve des bois.
O vaincus des luttes civiles, Malheur à vous ! rien ne vous sert. J'ai le soir traversé des villes Comme on traverse le désert. [ ] Toute la lyre, V, 21. Poème daté du 14 octobre 1853. Celui qui a perdu la guerre civile se sent partout comme l'ennemi des hommes. Que pense la bête dans les bois ? On se déplace partout en milieu hostile : il n'est plus de lieu au monde où l'on trouve impunément des ressources, où l'on puisse se reposer, où l'on n'aurait plus peur. Étrange sentiment de culpabilité, peu fréquent chez Hugo. N'était la poésie, que l'on peut chanter dans le noir sans éveiller l'attention des humains, et qui réconcilie l'ours avec lui-même et avec les choses. Marcher, manger, dormir sous la protection de ses abeilles : [ ] Autour de moi, troupes ailées, Les strophes dont l'essaim me suit Tourbillonnaient échevelées Dans les souffles noirs de la nuit.
J'étais sûr, à travers mes peines, Que j'étais un juste aux abois, Et que les rochers et les chênes Ne pouvaient point haïr ma voix.
Je parlais aux astres de flamme ; Se taire ne sied qu'au maudit ; Et je faisais chanter mon âme Pour que la nature entendît.
Je ne sais pas quelles réponses Les vents faisaient à mes chansons. J'ai mangé les mûres des ronces Et j'ai dormi dans les buissons. Pierre Campion |