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MICRO-ÉTUDES DANS HUGO

Les saisons des pauvres

[L'indigent et la nature, en été…]

 

A-t-il faim ? au fruit de la branche

Elle dit : — Tombe, ô fruit vermeil !

A-t-il soif ? — Que l'onde s'épanche !

A-t-il froid ? — Lève-toi, soleil !

                        II

Mais hélas ! juillet fait sa gerbe ;

L'été, lentement effacé,

Tombe feuille à feuille dans l'herbe

Et jour à jour dans le passé.

[…]

Les Voix intérieures : V : « Dieu est toujours là »


C'est d'abord un long développement : trente quatrains pour exalter l'été comme la saison heureuse des pauvres. À l'été, la nature offre d'elle-même à l'indigent tout ce dont il a besoin.

Puis le trente-et-unième, inaugurant la partie II du poème et la saison de l'hiver, pendant laquelle la charité des hommes devra se substituer à l'amour immédiat de Dieu.

Hiver bien tôt commencé (Hugo avait écrit d'abord, au vers 2, « L'été par octobre effacé »). Ici, l'été est une saison mentale et utopique : il cumule l'énergie vitale du printemps et l'abondance de l'automne, mais il s'achève dès juillet : il n'existe que comme le moment idéal dans l'année des pauvres. Vingt ans plus tard, bien moins paradoxal, l'automne de Baudelaire sera à sa place dans les saisons, et le bois tombant « sur le pavé des cours » résonnera dans la modernité de la ville et dans l'espace métaphysique de l'être, comme l'annonce de sa mort.

Pour l'un et pour l'autre, nos étés sont trop courts, mais de manière si différente. Deux organisations des sens, de la poétique et du temps, deux visions du monde.

Ce que Hugo sait voir : le vide étrange des champs à la fin des moissons, les chaumes ras coupés que ne griffent pas encore les premiers labours, les derniers gestes de travaux commencés l'an d'avant en octobre ; bref la mélancolie spéciale de juillet dans les campagnes épuisées. Mais surtout il voit, avec les yeux des pauvres, ces gerbiers qui ne suffisent pas à leur promettre le pain d'une année, et ce manque cruel du travail à remplir les exigences naturelles de tous les hommes. Seule la charité, pense-t-il encore vers 1837, peut faire que Dieu soit là pour chacun toute l'année.
Dans nos pays, ce monde n'existe plus. Mais nous ne savons pas encore comment Dieu serait toujours là.

Pierre Campion

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