Cours de Jacqueline Morne sur La Vie heureuse de Sénèque. Annexe 2 : La métaphore des tonneaux Regarde bien si ce que tu veux dire, quand tu parles de ces deux genres de vie, une vie d'ordre et une vie de dérèglement, ne ressemble pas à la situation suivante. Suppose qu'il y ait deux hommes qui possèdent, chacun, un grand nombre de tonneaux. Les tonneaux de l'un sont sains, remplis de vin, de miel, de lait, et cet homme a encore bien d'autres tonneaux, remplis de toutes sortes de choses. Chaque tonneau est donc plein de ces denrées liquides qui sont rares, difficiles à recueillir et qu'on n'obtient qu'au terme de maints travaux pénibles. Mais, au moins, une fois que cet homme a rempli ses tonneaux, il n'a plus à y reverser quoi que ce soit ni à s'occuper d'eux ; au contraire, quand il pense à ses tonneaux, il est tranquille. L'autre homme, quant à lui, serait aussi capable de se procurer ce genre de denrées, même si elles sont difficiles à recueillir, mais comme ses récipients sont percés et fêlés, il serait forcé de les remplir sans cesse, jour et nuit, en s'infligeant les plus pénibles peines. Alors, regarde bien, si ces deux hommes représentent chacun une manière de vivre, de laquelle dis-tu qu'elle est la plus heureuse ? Est-ce la vie de l'homme déréglé ou celle de l'homme tempérant ? En te racontant cela est-ce que je te convaincs d'admettre que la vie tempérante vaut mieux que la vie déréglée ? Platon, Gorgias, 493d-494a, traduction M. Canto, éd.
Garnier-Flammarion, 1987, p. 232 Voir par ailleurs, sur ce site, le cours de Jacqueline Morne sur le Gorgias. |