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Roger-Yves Roche : Compte rendu d'Hervé Martin, D'une vallée perdue à mes jours de mémoire.
© : Roger-Yves Roche.

Mise en ligne le 20 juillet 2023.

Roche Hervé Martin, D'une vallée perdue à mes jours de mémoire, encres de Sophie Brassart, éditions Au Salvart, 2023, 48 p. 18 €.


La mémoire ne choisit pas entre les (sur)vivants et les morts. Elle réveille les uns, veille les autres. D'une vallée perdue à mes jours de mémoire d'Hervé Martin est un petit livre qui ne dit pas son nom, le dit trop bien, hésite entre la lumière et l'ombre, l'enfance et le précipice :

 

« Aux cœurs sonnants dans les poitrines

le poids des médailles ne comble pas l'absence

 

Des années après la mémoire ne peut rien

contre la béance   le trou des jours perdus

 

De ceux qui ne mêlent plus de pas

aux traces de leur ombre  »

 

D'un événement de guerre, l'embuscade dans la vallée d'Uzbin, à 50 km à l'est de Kaboul (août 2008), Hervé Martin fait un poème stoïque-déchirant, que les encres de Sophie Brassart accompagnent, comme les éclairs l'orage. Et sans doute le temps de l'écriture n'a-t-il pas suivi exactement celui du souvenir, s'est même soustrait à lui, comme pour enfin regarder la blessure en face : « Il aura fallu une dizaine d'années avant que l'auteur puisse écrire sur cet épisode tragique qui aurait pu briser sa famille. »

 

Entre son petit d'homme qui « prend des allures de héros quand il joue Et soudain s'interrompt dans le jeu    et dit     je serai commando » et celui qu'il est devenu, se trouve pris « dans la poussière des lacets », s'en tirera presque malgré lui, c'est la langue du père qui court, halète, va par les sentiers et les crevasses, passe sous le soleil, sauve ceux qui ont sauvé et n'ont pu être sauvés :

 

« Et ceux    Amis    Compagnons

Binômes et camarades

Contre tout ordre régulier

Désobéissants aux consignes de repli

 

Restèrent cibles ultimes

Pour protéger ce retour d'embuscade

Ramener les derniers rescapés

de sueurs et de sang

ébahis de torpeur »

 

Ils sont désormais prénoms au-dessus des mots (Grégory, Jean-Christophe, Kévin), stèles nécessaires et pourtant dérisoires, tandis que le fils revient à des « jours ordinaires » « Côtoyant des rives incertaines     et promesses sans rêves ».

 

Reste le livre, écrit comme dans le redan de l'histoire. Événement que le poète n'a pas vécu et vient cependant de revivre, voix portée au-delà d'un voir, dans une région que seuls les mots peuvent atteindre.

Roger-Yves Roche