Alain Roussel : Note de lecture sur le livre d'Henri Droguet, Grandeur nature. Mise en ligne le 27 août 2020. © : Alain Roussel.
Ramdams dans la langueNe vous attendez pas, avec Henri Droguet, qui a par ailleurs publié plus d'une trentaine de livres, notamment chez Gallimard, à une lecture de tout repos. Vous n'y trouverez pas en effet, avec ce nouveau livre, Grandeur nature, la paix de l'esprit. Dès les premiers mots, il vous bouscule, vous harcèle d'adjectifs qui se succèdent à grande vitesse et vous entraînent, par des siphons phonétiques, dans une tornade. Vous voilà arrachés du sol, toutes assises suspendues, et livrés à des figures de style, telle l'anacoluthe, qui ne servent pas à consolider le « discours » mais à le dynamiter savamment, vous laissant en plein désarroi. Cette offense faite au sens, ces ruptures même, ont le pouvoir, en même temps qu'ils vous prennent au dépourvu, de vous rendre joyeux, tant la poésie, chez Henri Droguet, est une fête. C'est une sorte d'invitation à un Gai Savoir et vous vous surprenez mentalement à danser avec délectation dans le désastre. C'est que, pour Henri Droguet, le monde est un chaos. Il ne le pose pas d'emblée comme une condition préalable à l'écriture – rien de « réaliste » chez lui –, même si les poèmes de cet armoricain évoquent fréquemment la mer, le ciel et le vent, sans oublier les nuages. Tout part des mots qu'il collectionne avec gourmandise et qui peuvent aussi bien provenir d'une conversation ou d'une lecture. De leurs relations, des rapports de sympathie ou d'antipathie, de rapprochement ou d'éloignement, voire d'indifférence, qu'ils établissent entre eux, selon aussi le hasard et le choix de l'auteur, jaillissent en premier jet de très courts poèmes. C'est à partir de ces fragments qu'en architecte du Verbe il va construire son univers, y glissant « délibérément des ruptures, des trous, des lacunes, de l'indécision tonale, en bref du désordre », faisant ainsi écho à celui dans lequel nous vivons, en quête perpétuelle d'un équilibre instable entre cosmos et chaos. Extraits QUATUOR N¡3 Tout en chaos croustillé chancreux bouillu cuivreux seuil feuilleté touillis de soies opale et mauves brèche d'or plumetée barbichue tricotis et remaillures
c'est que ça le ciel
chaos de boue mixeur polychrome sorbetière où le gris le bleu ardoise horizon
l'or miellé plombagineux
infusent perfusent les congélations lumineuses
des ombres et rouge à mourir Bételgeuse
(28 mars 2013) GRANDEUR NATURE le vent machine à découdre bigorne et déglingue l'aveu aveugle règne l'ombre ne pèse rien là-bas le grand foutoir
cabossé sauvage et tonnant l'océan cogneur rogue implose étrille estampe métronomique inexorable il monte c'est tout jour et l'or à la
grève dans la lumière plombée
diffuse et des îles au loin qui
sont nos rêves dans la coulisse un ange
exilé serre dans son panier trois
nuages (un noir, un blanc, un rouge) souffle dans sa trompe gamme légère fluide heureuse vivante absolument métaphysique une ondée susurre au matin
caillé dans un arbre en bataille il a plu plu replu il repleuvra
(6 octobre 2019) Alain Roussel |