© : Alain Roussel.
Cette note de lecture a été publiée d'abord sur le site En attendant Nadeau.
Jean-Pascal Dubost,
Du travail,
L'Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle
éditeur, 210 p., 25 Û
Le
labeur joyeux de l'écriture
D'où vient
l'inspiration ? Qu'est-ce que l'inspiration ? Ces questions n'ont
cessé de tourmenter les poètes depuis la plus haute Antiquité. L'inspiration
fut longtemps considérée comme d'origine divine. Ainsi le poète était-il, selon
Platon, un possédé, sous l'emprise d'un dieu qui s'exprime par son
intermédiaire. Avec le romantisme, puis le surréalisme et d'une manière plus
générale toute la modernité, cette conception se fit plus individuelle et subjective :
l'inspiration est dans l'homme, le rôle du poète consistant à la faire surgir
de son inconscient, soit par l'attente, par une sorte d'abandon, de lâcher
prise, soit en allant la chercher. C'est cette deuxième démarche qu'adopte
Jean-Pascal Dubost dans son nouveau livre, « Du travail » –
avec des dessins de Francis Limérat –, écrit dans le cadre d'une
résidence d'auteur en Ardèche et publié aux éditions de l'Atelier contemporain.
La réflexion que mène Dubost dans ce livre se
veut radicale. Il pose en préalable : rêverie
n'est pas rêve, le poète n'est pas un rêveur, l'inspiration n'existe pas.
Ou plutôt l'inspiration, qui n'a rien de divin, est à trouver par un long et
minutieux travail sur soi. Il oppose la
volonté humaine à l'oracle divin, la sueur à l'extase, la lucidité travailleuse
à la folie inspirée. On ne peut s'empêcher de penser, en le lisant, à ces
« horribles travailleurs » de poésie dont parle Rimbaud dans sa
célèbre lettre à Demeny. Mais il ne fait pas sienne le « Je est un
autre » du poète-voyant, qui d'une certaine manière, dépossède le Je. S'il
fallait inventer une formule, ce serait plutôt, en ce qui le concerne,
« Je est Je », il n'y a pas d'autre Je que Je. Ainsi qu'il
l'écrit : Le poète n'est pas
ailleurs, il est ici, maintenant, présent, n'aspire pas à autre chose qu'à la
parole qui se parle, pas à l'originelle, mais à la parole des hommes de son
temps. Poème est non-attente, action, combat, énergie renouvelable par soi-même
et rien d'autre que soi-même. On l'aura compris, Dubost n'attend rien de
l'inspiration, sinon dans sa définition la plus simple qui consiste à aspirer
de l'air et qu'il reformule en l'élargissant métaphoriquement comme l'entrée fracassante du réel dans le
corps, pour ensuite le restituer
dans une forme verbale travaillée et retravaillée, engageant l'être entier,
chair, nerfs, souffle, voix, pensée, émotions : expirer le poème.
Tout commence donc en Ardèche, en résidence
d'écriture. Il est convenu avec les organisateurs que la démarche porterait sur
l'amont du poème, son élaboration au fil des jours, avec en arrière-plan,
constamment, une interrogation sur l'inspiration qui est censé le produire. Le
territoire ardéchois serait évoqué, stimulé en ce sens en de longues marches « travaillantes »
qui mettent la rêverie en route pour aboutir à la création poétique :
vingt poèmes qui doivent répondre à la question lancinante : « D'où
vous vient l'inspiration ? » Les thèmes choisis interrogent
l'écriture dans ses multiples aspects, de la ponctuation, du quadratin, des
mots-outils, à la rhétorique, aux néologismes, au coq-à-l'âne. L'auteur choisit
pour s'exprimer la forme du journal, la mieux à même de rendre compte de
l'expérimentation au présent, de la faire vivre au fur et à mesure avec ses
trouvailles, ses aléas, ses silences, sa jubilation, ses hésitations, sa
fatigue, ses moments d'éclairement. Ce travail d'écriture ne s'achèvera pas à
la fin de la résidence en Ardèche, mais se poursuivra en forêt de Brocéliande
où Dubost vit, un lien étant toutefois maintenu avec le lieu d'accueil par la
mise en place d'un blog, « Rêverie au travail », alimenté régulièrement
par de nouveaux apports jusqu'à la phase finale du « montage ».
Grand lecteur, « verbiphage et
bibliophage », environné de livres, il aime aussi à respirer l'air de la
littérature. Il restitue dans son livre, en les interprétant et en les
intégrant, de grands auteurs du passé tels que Nietzche, Pound, Valéry, Ponge, ou
des poètes d'aujourd'hui, Ivar Ch'Vavar, Yves di Manno…
Cet amoureux baroque de la langue a un rapport
charnel avec les mots qu'il triture, malaxe, caresse, bouscule, réinvente,
créant de nouveaux vocables souvent à partir de « l'ancien
français ». La poésie est pour lui, essentiellement, une question de
souffle, mental et surtout physique : Je
ne suis pas un patient, n'attends ni ne subis, mais un impatient, prompt, actif,
dominateur, l'agent grammatical du souffle de voix active ; je ne suis pas
écrit, j'écris. Mais, spiromètre, j'inspire du réel que j'expire dans la forme
choisie. Ce souffle donne forme interne au bloc, le bloc est bloc de souffle,
c'est pourquoi le poème en bloc est une forme-souffle aussi bien qu'une
forme-rythme, une forme-voix, une forme-tension, une forme-intensité, une
forme-complexe, tout à la fois…
Lire son livre c'est être témoin d'une
passionnante quête poétique. Jean-Pascal Dubost nous fait entrer dans son
atelier d'écriture. Il nous fait partager ses promenades où le futur poème
prend naissance, comme il s'alimente aussi de lectures, de réflexions, de
doutes, avec des périodes de sevrage, de raturages, de reprise en main, de
reformulations pour aboutir à sa forme définitive. Il met son lecteur en
situation de questionnement, l'oblige à une lecture active, parfois réactive.
Mais n'est-ce pas ce que l'on demande à un livre ?
Alain Roussel