Alain Roussel : Compte rendu du livre d'Alice Massénat, Le Squelette exhaustif.
© : Alain Roussel.
On a beau chercher : on est perdu,
« en suspens dans un semblant de vie », avec en soi des paysages
brûlés, dévastés. On ne peut plus ni reculer, ni avancer, on ne peut pas non
plus rester immobile. On voudrait parfois être mort mais l'on est vivant, qu'on
le veuille ou non, forcé à être au monde, mais en désespoir de tout. C'est de
cette façon, du moins à la première lecture, que je ressens le livre d'Alice
Massénat, Le Squelette exhaustif, paru aux éditions Les
Hauts-Fonds. Et l'on ne pouvait choisir meilleur éditeur pour cet écrit qui
menace à tout instant de chavirer, d'être entraîné dans les profondeurs de
l'être, « en mer de cactus », où il faut lutter contre la pieuvre
innommable qui jette sur l'intruse son encre noire. Mais l'angoisse n'est-elle
pas une preuve, à défaut d'une autre, que l'on existe ? Nulle concession dans l'écriture d'Alice
Massénat. Le corps souffrant – « je n'étais qu'une vulgaire
écharde » – dans lequel elle entre comme par effraction, est au
centre et la rappelle constamment à son propre désordre. Elle s'ouvre les
veines du langage et le sang qui en coule ce sont ces mots qui ruissellent au
fil des pages. Mais l'on aurait tort de croire que cette écriture-là n'est
qu'une manière d'exprimer seulement, par le cri, un mal-être. Sa poésie, qui ne
ressemble à aucune autre, est « son radeau de survie », selon la
belle expression de son préfacier et ami, Jacques Josse. Elle vient, par une
sorte de rituel magique très personnel, comme un exorcisme, une conjuration et
surtout comme un appel à une nouvelle naissance. Il y a en effet cette
« chrysalide » présente dans son œuvre qui ne demande qu'à devenir
papillon, l'espoir fou d'un envol. « Donnez-moi mes équinoxes de l'aigle
aux plumes de verre », écrit-elle. Tout le livre porte les cicatrices des luttes
incessantes et fratricides entre Éros et Thanatos. L'amour, la mort, la haine,
la solitude, la révolte, la souffrance, la passion, tout ce qui vient crier à
fleur de nerfs : en quelque sorte, ces poèmes sont des lettres d'amour.
J'en veux pour preuve les derniers poèmes, regroupés sous le titre que je
trouve superbe, « le Picador aux yeux d'étain », dont voici un
extrait : Je saisis ses yeux ses binocles et sa peau il se retourne en des
failles de crocs La fleur dix fois plus sensuelle que soumise Hier la clameur entre caducs et adages alors que le ravin s'affûtait tout à toi Et tes bras qui m'enserrent et cet amour qui luit au détour d'un pal plus
beau que jamais Je t'offre mon sang et mes blessures pleins poumons sur la valse
urticante du miroir aux yeux de
chouette Je veux au parterre du fleuve de
ma mémoire enjamber cet acide de nos corps et biscornue je t'ouvrirai
la mer dans nos propres mots. Alain Roussel |