Alain Roussel : note sur le recueil de Pierre Perrin, Des jours de pleine terre. Alain Roussel a écrit une trentaine de livres ou plaquettes, notamment aux éditions Lettres vives, chez Cadex, chez Plasma, à la Différence, au Cadran ligné, chez Apogée, le Réalgar, Maurice Nadeau… Il a participé à de nombreuses revues : Phases (d'Édouard Jaguer), Opus International, Surréalisme (Vincent Bounoure), Mai hors saison, L'Autre, Nulle part, la Polygraphe, Supérieur Inconnu…). Il s'inscrit dans une double démarche. L'une est d'ordre poétique. L'autre revendique la liberté de la langue et le bonheur d'écrire ; l'imaginaire et l'humour y jouent un rôle essentiel. Texte d'abord publié sur le site En attendant Nadeau.
Mis en ligne le 14 mars 2023. © : Alain Roussel.
L’art poétique de Pierre PerrinPierre Perrin, qu’il ne faut pas confondre avec le compositeur-interprète de même nom, est poète, romancier et critique littéraire, ayant collaboré notamment à la Nouvelle Revue Française et à Poésie 1/vagabondages. Il a été lauréat, en 1996, du prix Kowalski pour son recueil « La Vie crépusculaire ». Par ailleurs, il a dirigé les revues « La Bartavelle » et « Possibles », celle-ci interrompue et relancée sous forme numérique en 2015, puis depuis quelque temps sous forme papier.
Divisé en cinq parties qui suggèrent différentes
approches de lecture mais qui ne sont pas cloisonnées et respirent la vie, Des
jours de pleine terre est un choix rigoureux de poèmes écrits entre 1969 et
2022. Certains ont été publiés en revues, d’autres en recueils, mais ils ont
été méticuleusement revisités pour cette édition. Il y a tout un aspect
autobiographique, mais avec cette particularité d’être écrit en poèmes, des poèmes
qui ont toutefois la saveur de la prose et se donnent à lire aussi comme un
récit vertical. Ce serait mal connaître ce poète d’y voir un artifice. S’il
choisit de se raconter sous cette forme, c’est qu’il pense que la poésie est la
mieux à même d’exprimer pleinement l’émotion de certains moments vécus, dans ce
qu’ils peuvent avoir parfois d’excessif, tout en la canalisant, jouant ainsi
parfaitement, comme dans la tragédie antique, son rôle de catharsis, si
important pour cet écrivain qui attend de la langue un pouvoir libérateur. Dans la première section, il évoque son enfance
à la ferme familiale, avec ses « odeurs de choux, d’ail et de lard
grillé », l’étable qui jouxte la cuisine, les rats, la pauvreté, la
honte, les premiers éveils à la sexualité, et tous ces actes de cruauté qui
marquent l’enfant comme autant de drames : chien abattu « car il
mange trop », les chatons tués « à coups de fourche » ou
ces « Tendres rapaces pris au piège, roués de coups,/Démembrés, parfois
cloués vifs, votre incrédulité,/Vos tremblements, vos râles ne quittent pas mes
veines ». Les pages évoquant les plaisirs charnels et les
amours perdus sont descriptives, d’une précision étonnante dans l’érotisme,
allant jusqu’à restituer les odeurs, comme s’il fallait faire revenir par les
mots celle – ou celles – qui est partie pour toujours. Il y a une vieille
blessure que le poète porte en lui depuis l’enfance et qui ne guérira jamais
tout à fait, malgré le baume des mots, et jamais vraiment dite, mais là, que
l’on devine dans le secret de l’être. La partie intitulée De notre monde sans tain
porte un regard sans concession sur une époque et ses hypocrisies, ses
lâchetés, les droits de l’Homme sans cesse bafoués, y compris dans les pays
occidentaux, la guerre en Ukraine. Pierre Perrin évoque aussi, dans cette
section, quelques belles figures d’écrivains et de poètes – René Guy Cadou,
Jacques Réda, Jean Pérol – et le peintre Gustave Courbet auquel il a par
ailleurs consacré un roman : Le Modèle oublié. Il se dégage de la
dernière partie, À la lisière de la paix, une sorte de sagesse. Le
bonheur d’écrire est là, sans réticence : « Sur le chemin des
syllabes, rocailleux, abrupt, un jour le vent se lève, la voix chante et le
poète se découvre aussi à l’aise dans sa langue qu’on peut l’être dans sa peau.
Il n’écrit pas une leçon ni pour sauver quoi que ce soit ; l’oubli est
partie intégrante de la vie ; il écrit pour le plaisir de donner, quand
même la communication poétique reste solitaire. » Pierre Perrin est un amoureux de la langue
française. Il l’explore avec volupté, dans sa richesse et ses multiples nuances
trop souvent inexploitées, ce qui donne à son œuvre, presque classique, une
étonnante modernité face aux nouvelles vieilleries poétiques trop en vogue
aujourd’hui. Pourquoi devrait-on maltraiter la langue, alors que dans une
syntaxe quasiment traditionnelle on peut exprimer tout ce que l’on
ressent ? Et pourquoi donc devrait-on avoir peur du lyrisme ? Ce
poète-là, qui attend beaucoup de ses vrais lecteurs, cherche un ordre intérieur
où la clarté domine, venant éclairer à la fois le sens d’une vie et d’une
écriture, avec justesse et émotion. Dans son poème, L’Atelier, il résume
ainsi son art poétique : « On a dégauchi, raboté, scié d’équerre,
tenonné, mortaisé, Mouluré le moins possible et longtemps épuré,
poli. Le tour de main n’est rien si la matière, la
vie, ne le presse. En littérature, la volonté ne peut que coiffer
le hasard. La vie, comme les vitraux des églises, se
dévisage De l’intérieur ; la décoction ne singe pas
la décoration. Tous les fards du
monde ne valent pas une pupille. Tout attachée à rester vivante, la rigueur
respire. Loin des Ravaillac et du micron d’âme, un
cadeau Fourré de tendresse est glissé de main à main
nue. Le livre sur la table, à la façon d’une longue
lettre, Le poète y est tout entier – si loin que soit
le corps. » Alain Roussel |