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FRANÇOISE SÉRANDOUR

Parler, lire, écrire
L'invention des écritures en terrains français, portugais et marocain

Chapitre 1 : La parole, énonciation et médiation.

© Françoise Sérandour.

Mis en ligne le 3 janvier 2005.



Parler, lire, écrire

L'invention des écritures en terrains français, portugais et marocain


SOMMAIRE DE CE CHAPITRE
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Chapitre 1

La Parole : énonciation et médiation

C'est à travers les mots que le sens sera cherché, par la médiation des mots, comme d'un matériel dont il faudra apprendre à se servir.

Georges Gusdorf[1]

Introduction : Pour une médiation

Au centre des enjeux de notre pratique anthropologique et pédagogique, pour une facilitation à l'accès à l'écrit sur les terrains éducatif, culturel, social qui se fasse par le biais nécessaire de la parole et de la dimension symbolique, nous voudrions réintroduire la question de la parole dans ce qu'elle est précisément réelle et présente dans la transmission des savoirs et de la culture. Car les processus liés à la parole s'ordonnent principalement à la logique de l'expression, de l'énonciation, de la communication, de la transmission, et de la création. Ainsi nous nous référons dans ce premier chapitre aux travaux philosophiques de Georges Gusdorf en ce qu'il expose une thèse selon laquelle la parole est fondamentalement caractérisée par une double fonction, celle « d'expression de soi[2] » pour une « communication à l'autre[3] ».

Le fil conducteur de son livre est celui de la parole en tant qu'expression de la pensée : expression de soi, avec son propre style, qui ne peut trouver sa raison d'être que pour l'autre. La parole est dès lors considérée en tant qu'elle est acte.

La parole relève également d'un souci de soi dans son rapport à l'esprit et au corps, en même temps que du rapport à l'autre : les psychologues font remarquer que ce rapport peut s'exprimer singulièrement de diverses façons, par l'expression de soi et par l'affirmation, ou la transmission ou (et) la séduction[4]. Ce rapport à la corporéité, celle du soi et celle de l'autre, exige une référence à une conscience intentionnelle, au sens phénoménologique du terme[5]. C'est pourquoi, en certaines situations, nous pouvons dire jusqu'à l'indicible par le langage maîtrisé de la voix ou encore des gestes ; ce que démontre par exemple l'ethnologue Geneviève Calame-Griaule sur le terrain, en ayant observé les conteurs Dogons raconter leurs récits dans les villages d'Afrique.

En effet, le travail de l'écrivain, comme celui de l'artiste, suppose une conscience de l'autre, du lecteur, du spectateur. Certes, l'expression puise ses émotions et ses expériences dans le vécu ; cependant, le travail de l'interprétation de l'artiste exige tout particulièrement une conscience globale du tout — pensée, corps, voix, chant — qui compose l'œuvre de l'auteur, et par conséquent « une distance » avec ses émotions ressenties, une retenue ; il doit apprendre à y accorder ses propres capacités d'« invention[6] » afin de la restituer au mieux. Ce travail de transmission — et de création tout en même temps — semble se rapprocher, pour nous, du concept de médiation propre au pédagogue. À partir de cette parole qui s'exprime pour instruire, enseigner, transmettre, apprendre, rappeler quelque chose à l'autre, disent les pédagogues depuis Aristote ou saint Augustin[7], nous posons l'hypothèse d'une médiation : la parole peut-elle être perçue en effet comme médiation, certes dans le sens évident d'une transmission des savoirs pédagogiques et culturels, mais également pour un partage du sens de l'écrit ?

1 - Expression et communication : une nécessaire distance

Les deux intentions de la parole humaine sont complémentaires. L'expression pure, dégagée de toute communication, demeure une fiction, car toute parole implique la visée d'autrui.

Georges Gusdorf[8]

Le langage a une histoire et nous renvoie au problème des origines du monde : « Le discours qui prétend remonter aux origines du langage doit remonter à un état antérieur à ses conditions même de possibilité », c'est-à-dire à « une reconnaissance spontanée de la tradition ». La tradition dit évoquer le mythe d'une création divine qui « nous précède et nous dépasse[9] » ; et en effet, dans divers textes auxquels nous pouvons nous référer dans les ouvrages des mythologues comme dans ceux des historiens des religions, il est rapporté qu'une parole divine créa les choses et les êtres. Mais la thèse philosophique qui fonde le langage en tant qu'acte humain, dans le sens d'une rencontre et d'un dialogue constructif, étaye notre démarche sur la transmission des savoirs par le biais d'une parole, « énonciatrice » et « symbolique ».

1. 1. La parole est acte de création : parole divine, parole humaine

« À proprement parler, le langage ne crée pas le monde », mais il « appelle le monde à l'existence » : « La parole est structure d'univers ; elle procède à une rééducation du monde naturel, qui grâce à elle devient la surréalité humaine, à la mesure de la nouvelle puissance qui l'a suscitée » écrit Georges Gusdorf. C'est lui donner « une réalité humaine[10] ».

Dans cette perspective, si nous nous tournons du côté des religions, les exemples cités par les mythologues et par les historiens des religions ne manquent pas. Ainsi, dans ses ouvrages sur les mythes des peuples « primitifs », Mircea Eliade analyse les mythes cosmogoniques et initiatiques chez les Amérindiens, les Polynésiens, ou les Australiens. Selon le mythe cosmogonique polynésien, « les paroles cosmogoniques d'Io, grâce auxquelles le monde est entré dans l'existence, sont des paroles créatrices, chargées de puissance sacrée[11] ».

Il n'existait, au commencement, que les Eaux et les Ténèbres. Io, le dieu suprême, sépara les eaux par la puissance de la pensée et de ses paroles, et créa le Ciel et la Terre. Il dit : Que les eaux se séparent, que les Cieux se forment, que la Terre devienne !

C'est le mythe d'une unité de langue, dite divine et dominatrice et instaurée par les dieux. De nombreuses légendes nous content la Création du monde, celle-ci par exemple née en Amérique, et racontée au Nord chez les Amérindiens Zuni et Hopis, au Nouveau Mexique.

Avant le début des temps, il n'y avait que « Celui qui est tout », le Créateur. Tout le reste n'était rien. Tout le reste n'était qu'obscurité. Le Créateur créa la vie à partir de lui-même. D'abord, il fit flotter un épais brouillard. Du brouillard, il retira la lumière, puis créa le soleil…[12]

Cette « herméneutique créatrice » des religions archaïques a tenté d'apporter des « solutions positives à l'Histoire, aux transformations et aux crises de l'histoire ». Leurs mythes s'entretiennent dans leur mémoire par des rites conservés et encore reproduits aujourd'hui chez certaines tribus. Gilbert Durand cite de nombreux exemples de « la puissance de la Parole » dans son ouvrage sur l'anthropologie de l'imaginaire[13]. Rappelons la parole du chaman puissante et surnaturelle, provoquée et alimentée par les visions, qui existe encore aujourd'hui ; il sait se relier à la parole des dieux, pour la transmettre ensuite aux hommes de sa tribu. C'est ainsi que les Amérindiens apprenaient à comprendre leur rapport au monde, rapporte aussi l'anthropologue Jack Goody dans son livre Entre l'oralité et l'écriture[14]. Plusieurs textes décrivent un temps d'unité de parole et de création par le biais de la parole divine, les légendes ayant la fonction de rappeler aux individus de ces sociétés qu'il y eut un autre temps où les hommes et les animaux parlaient le même langage et possédaient tout en même temps le pouvoir surnaturel de la parole et celui de la force animale, un état dont il ne reste plus aujourd'hui la représentation que chez les chamans :

En ces temps premiers, il n'y avait pas de différence. Pas de différence entre les hommes et les animaux. […] Un homme pouvait se transformer en animal s'il le désirait, et un animal pouvait devenir un être humain s'il le pensait ! C'était comme cela ! 

Toutes les créatures vivaient sur la terre, parlaient le même langage ; elles se comprenaient très bien, et même se mariaient entre elles. Les mots étaient magie, et l'esprit possédait bien d'étranges pouvoirs ! Il suffisait qu'une chose soit dite ou pensée pour que la chose dite ou pensée se réalise, à condition qu'il possède le pouvoir de la parole[15].

Tout comme Gilbert Durand, Georges Gusdorf fait référence aux religions anciennes égyptiennes et à la spiritualité hindoue : dans les Brâhmanes, premiers textes qui succèderont aux Veda, Prajâpati, le « maître des créatures » qui surgit de l'eau primordiale (en brisant la coquille de l'œuf d'or qui le portait), « par sa seule force de parole, tira du néant le monde où nous vivons[16] ». Et dans le judaïsme, « Dieu dit et les choses sont », « le Verbe est en lui-même créateur » ; et dans la Bible, « Le Livre », il est écrit : « Au commencement était le verbe[17]. » Pour la Genèse, la tragédie de l'incompréhension entre les hommes à cause de la multiplicité des langues viendrait de ce que les hommes auraient voulu s'élever jusqu'au ciel avec la tour de Babel, jusqu'à ressembler à Dieu. Alors, est apparue la confusion des langues « qui rend les hommes étrangers les uns aux autres[18] ».

Ainsi, du mythe d'une unité de langue, divine et dominatrice et instaurée par les dieux, est née la diversité des langages humains qui se révéleront cependant actifs et ouverts à la réflexion et à l'expression par l'invention des écritures. C'est ainsi que dans ce même ordre d'idées, les Mésopotamiens, en posant la langue orale comme une création divine, auraient tenté d'échapper à cet ordre divin en créant l'écriture, comme un nouveau regard sur le monde, un nouveau modèle de pouvoir[19].

À cet égard, dans sa recherche sur le langage, Walter Benjamin reprend la distinction entre l'aspect communicatif et l'aspect symbolique du langage. Il dégage trois étapes dans la genèse du langage : une parole divine et créatrice — « le langage y est créateur de réalité » —, puis une parole nominatrice (dans le récit biblique) — c'est la fonction poétique du langage —, et enfin la perte du pouvoir magique de dénomination par l'épisode de la tour de Babel — le langage se « dégrade en pouvoir de communication[20] ».

a – L'acte de parole

Pour comprendre la représentation de la parole dans la création des mythes « qui disent le monde », nous empruntons ici à Spiros Theodorou une explication de l'élaboration du mythe de la Création. Décrit dans la Genèse 2, puis dans la Genèse 3, un grand pas est fait dans l'élaboration de la représentation de la parole par l'homme, en Méditerranée : « C'est que l'humanisation de la parole prend acte dans la prise de conscience de la mort[21]. »

En effet, tout d'abord, la parole catégorise : Spiros Theodorou note, dans la Genèse 2, qu'elle « dénombre » et « dit tout ce qu'il y a à dire », comme une langue qui ressemble étrangement au langage binaire de l'informatique ; « une parole dans cette langue-là dit tout ce qu'il y a à dire de son objet, sans aucun reste… ». Il y est dit que l'homme désigne « tout bétail, tout oiseau du ciel et toute bête des champs » ; de même, lorsque Dieu créa la femme, prise d'une côte de l'homme : « l'homme s'écria : […], ON l'appellera femme car c'est de l'homme qu'elle a été prise. » Et Spiros Theodorou souligne le pronom impersonnel (traduit par « celle-ci sera appelée "femme", car elle fut tirée de l'homme, celle-ci », dans la Bible de Jérusalem)[22].

Mais ensuite, souligne cet auteur, dans la Genèse 3, la prise de conscience de l'irruption de la mort qui apparaît par « tout ce que l'on appelle "l'histoire" du salut, ou "l'économie" du salut », est traduite par un fait de langage : « La mort humanise la langue, la rend apte à la parole. » La mort y est évoquée : « Tu es poussière et à la poussière tu retourneras. » Et immédiatement suit la désignation de la femme qui est, cette fois, humanisée, personnifiée par un pronom possessif : « L'homme appela SA femme du nom d'Ève car c'est elle qui est la mère de tout vivant. » Spiros Theodorou souligne là aussi le pronom « sa », en montrant l'énorme différence anthropologique entre les deux citations :

Celle-ci, on l'appellera femme (Vulgate : virago ; le féminin de masculin, la femelle). L'homme appela sa femme du nom d'Ève (Vulgate : uxor ; l'épouse).

Dans sa longue analyse, le chercheur précise que ce mythe de la création est « fondamental sur le statut de la parole humaine dans le monde primitif de la Méditerranée » : « Il nous dit la liaison immédiate, la liaison intime, et la simultanéité nécessaire entre les trois éléments qui constituent l'homme en tant qu'homme : la conscience de la mort, la conscience de la personne, et la conscience de l'usage humain de la parole pour se nommer, se reconnaître soi comme humain et se parler entre humains. »

Nous retrouvons ainsi le caractère créateur de la parole en acte, reconnu à leur manière par les primitifs et les théologiens, qui faisaient du verbe un attribut de la divinité . […] Le langage apporte dénomination, précision, décision, à la fois conscience et connaissance. Le nom crée l'objet, seul il l'atteint par delà l'inconsistance des apparences. Mais il crée aussi bien l'existence personnelle[23].

b - Séduction et sagesse

En nous référant au mythe grec d'Orphée, au pouvoir de la voix et de la parole chantée sur la mort, nous voulons mettre l'accent sur son pouvoir de « séduction » positif, et « utile[24] ». Dans ce mythe de la connaissance, Orphée, fils d'un roi et d'une muse, connaît les secrets des dieux ; considéré par les poètes grecs comme « utile », il transmet et révèle ses savoirs par son chant[25].

Plus qu'un mortel, il jouait divinement de la lyre et sa voix charmait les hommes, les bêtes et les arbres, les pierres ; et le pouvoir de sa voix était si grand que sa douleur exprimée par sa parole chantée imposa aux Furies des Enfers silence et respect. Elles se retirèrent, le visage baigné de larmes, est-il dit ! Hadès et Perséphone lui donnèrent l'autorisation de pénétrer dans le monde des morts et de rappeler à la vie sa femme Euridyce[26].

Il fit couler des larmes de fer, /Au long des joues de Pluton… [27]

Plus près de nous, le conte de Schahrazade, et la « sagesse » d'une parole. Au cours de mille et une nuits, la parole de Schahrazade sut retenir le fil de l'épée au dessus de sa tête. Mille et une nuits, ses contes — abondants en « leçons », en messages et en merveilles — redonnèrent l'espoir à un roi meurtri, devenu insensible à la cruauté et à la mort. Tout en sauvant sa vie et celles de mille jeunes femmes condamnées à mourir dans les mêmes conditions, sa voix attentive au Prince Schahriar tissa jour après jour, dans son âme, une toile unie faite de désir et de générosité nouvelle.

Elle était attentive au moindre mouvement de mon âme, aux froncements de mes sourcils. Elle redonnait la force du rêve, cette capacité de voir l'invisible, l'épaisseur du jour[28].

1. 2. La parole : une langue vivante

Pour situer à présent la parole en tant qu'acte d'intégration, nous nous référerons aux définitions de Georges Gusdorf, telles qu'il nous les donne en avant-propos de son livre : elles nous permettront de poser les fonctions de la langue, du langage et de la parole très justement par rapport à l'expression (nomination, énonciation) et à la communication dans « un champ de compréhension ».

Le langage est une fonction psychologique correspondant à la mise en œuvre d'un ensemble de dispositifs anatomiques et physiologiques, se prolongeant en montages intellectuels pour se systématiser en un complexe exercice d'ensemble, caractéristique […] de la seule espèce humaine[29].

La langue est le système d'expression parlée particulier à telle ou telle communauté humaine. L'exercice du langage produit à la longue une sorte de dépôt sédimentaire, qui prend valeur d'institution et s'impose au parler individuel, sous les espèces d'un vocabulaire et d'une grammaire.

La parole désigne la réalité humaine telle qu'elle se fait jour dans l'expression […] affirmation de la personne, d'ordre moral et métaphysique.

Ainsi donc, s'il est vrai de dire que la langue fournit le cadre pour l'exercice de la parole, il faut reconnaître aussi que la langue n'existe que dans la parole qui l'assiste et la promeut[30].

Selon le dictionnaire, la parole établie comme acquisition de l'homme est bien « un élément du langage parlé » et « une faculté de communiquer la pensée[31] ». Et les travaux linguistiques font varier les terminologies de ce mot qui peut être : énoncé, énonciation, discours, signifiant/signifié. La production de sens en est inséparable. Par l'énonciation, la langue ne peut être considérée à la manière d'un « système fermé ». En effet, le dictionnaire peut être compris comme code du langage institué. Il n'est jamais fini, jamais fixé : « Une langue vivante apparaît ainsi comme la langue d'hommes vivants. »

Les linguistes ont montré que l'unité de compte du parler vivant ne se présente pas sous forme de noms, verbes et adjectifs, isolés les uns des autres, comme des grains dans un sac. L'élément de parole est un tout complexe, animé par une intention de signification : c'est l'image verbale qui s'exprime en phrases plus ou moins complexes, parfois réduites à un seul mot, mais répondant toujours à la manifestation d'un sens[32].

En effet, les travaux du linguiste Ferdinand de Saussure[33] ont révélé cette dichotomie entre la langue et la parole : alors que la langue est conçue comme un système abstrait, un code (une institution sociale, passive), la parole est la manifestation concrète de ce système dans les productions langagières (ou messages) des utilisateurs de la langue. La parole relève des choix, des motivations, de l'intelligence, en somme de la créativité des individus : « Elle produit le discours. »

Saussure tentait de démontrer que « la langue est sans unité de départ, sans donnée première : rien ne signifie par soi-même. Tout ne devient porteur de sens que par opposition, par différence ; et chaque élément n'existe qu'en se définissant par rapport à l'autre[34]. » Par contre, ce qui se dessine plus clairement dans la nouvelle mise en forme du cours de Saussure, et qui nous concerne particulièrement, c'est « une conscience du rapport entre le système de la langue et l'action de la parole qui produit le discours[35] ».

Par ailleurs, Roland Barthes distingue les deux mots « énoncé » et « énonciation », qui réalisent le discours. L'énoncé est l'objet ordinaire de la linguistique ; mais il concerne le discours de la science : « le savoir est un énoncé » ; tandis que « dans l'écriture, il est une énonciation ». L'énonciation implique une intention.

L'énonciation, elle, en exposant la place et l'énergie du sujet, voire son manque (qui n'est pas son absence), vise le réel même du langage ; elle reconnaît que le langage est un immense halo d'implications, d'effets, de retentissements, de tours, de retours, de redans[36].

1. 3. La parole, rencontre avec l'autre

Georges Gusdorf résume les grands axes de la parole par son pouvoir d'expression et son pouvoir de communication. La parole est expression de soi — le « je » — par le style, et communication à l'autre dans le sens de construire une action. Le deuxième concept de la parole, celui de la communication, évoque une communication à l'autre par la langue, forme et signes, jusqu'au dialogue. Et, analysant la construction du langage dans un rapport du « je » au « tu », il pose la thèse que dans l'intervalle de cet « entre-deux », entre deux langages différents, la parole conciliatrice permet de se comprendre et de créer « une unité du nous ».

Considérant la parole en tant que rencontre, nous touchons alors à la question de la compréhension entre deux sujets qui établissent une communication, ce « rapport entre deux sujets dans un champ de compréhension ». Dans son texte, Georges Gusdorf souligne l'expression « champ de compréhension », parce qu'il fait appel à un troisième terme crucial, « l'autre ». Ainsi, l'homme appelle le monde à l'existence par sa parole : l'homme s'exprime, énonce, parle son point de vue, dit un discours, « mais un troisième terme s'avère nécessaire, c'est l'autre, auquel ma parole s'adresse. Je parle parce que je ne suis pas seul ». Le moi n'existe que dans la réciprocité avec l'autre : « La parole est ici comme le trait d'union[37]. »

Également, dans Problèmes de linguistique générale, Émile Benveniste rappelle que la conscience de soi, qui s'exprime par le « je », se pose avant tout en se distinguant de ce qui est autre qu'elle ; prendre conscience du « soi » présuppose le langage et la distinction je/tu. La subjectivité est traitée dans son rapport au langage comme « capacité du locuteur à se poser comme sujet » :

La conscience de soi n'est possible que si elle s'éprouve par contraste. Je n'emploie je qu'en m'adressant à quelqu'un, qui sera dans mon allocution tu. C'est cette condition de dialogue qui est constitutive de la personne, car elle implique en réciprocité que je deviens tu dans l'allocution de celui qui à son tour se désigne par je. Le langage n'est possible que parce que chaque locuteur se pose comme sujet, en renvoyant à lui-même je dans son discours[38].

a - Distance et sens critique

L'expression puise ses émotions et ses expériences dans son vécu. Cette prise de conscience du vécu que nous n'avons de cesse de manifester, d'énoncer, d'annoncer « permet de passer de la passivité du rangement intérieur à l'activité créatrice : parler, écrire, exprimer, c'est faire œuvre », dit Gusdorf : « Chez l'écrivain, il est besoin du langage de tout le monde, mais il l'utilise comme personne ne s'en est servi, en créant sa personnalité tout en même temps. Avec exigence et ascèse, l'écrivain et mieux encore le poète, retrouve la parole qui délivre le mot en se délivrant lui-même[39]. »

Exigence et ascèse signifient par conséquent que l'on ait une éthique de soi, le souci d'un rapport à soi. La parole ici atteste la distance, et cette distance pratiquée chez l'écrivain dans le travail de la langue, « réduire le langage à l'obéissance », demande une ascèse, une exigence de tous les instants « du côté de soi, pour donner la parole au meilleur de son être » en tant qu'expression de la pensée ; et, du côté de l'autre, pour lui donner la possibilité de créer ses propres représentations. Ainsi cette tempérance que pratiquent le chanteur de chant lyrique et la conteuse par rapport à l'interprétation des paroles du texte.

Dans son livre Une chambre à soi, écrit en 1927, Virginia Woolf explicite cette distance que l'écrivain doit avoir entre sa propre vie et son écriture en analysant des écritures d'écrivains, tel Shakespeare, telle Jane Austen, et en les comparant à d'autres écrivains qui ne savent pas taire leur indignation ou leur colère : cette « brusquerie » se retrouve dans les phrases qui sont écrites dans « la rage » au lieu d'être écrites « sagement ». Ainsi, Charlotte Brontë dans Jane Eyre :

On voit qu'elle n'arrivera jamais à manifester entièrement son génie. Elle écrira dans la rage quand elle devrait écrire sagement. Elle parlera d'elle-même quand elle devrait parler de ses personnages. Elle est en guerre avec son sort.

Et encore :

Je lus une ou deux pages du livre [Orgueil et Préjugés], mais je ne pus y trouver aucune preuve du tort que lui auraient causé les conditions dans lesquelles se trouvait Jane Austen. Voilà qui était peut-être le plus miraculeux de l'affaire. Nous sommes là, devant une femme qui, aux environs de 1800, écrivit sans haine, sans amertume, sans crainte, sans récriminations, sans verser dans le sermon. C'est ainsi qu'écrivait Shakespeare, pensai-je, regardant « Antoine et Cléopâtre » ; et quand on compare Shakespeare à Jane Austen, sans doute est-ce parce que l'on pense que l'esprit de l'un et celui de l'autre ont surmonté tous les obstacles[40] .

Laisser tomber « ses états d'âme » ! Pour Virginia Woolf, il s'agit bien de ne plus être imprégnée, habitée par sa propre indignation ou sa colère, ou par tout autre sentiment négatif ou bien trop envahissant, pour laisser venir à soi les sensations et les émotions du monde. Ainsi, ce qui doit être décrit (une analyse, un personnage) le sera dans une distance avec soi-même qui profitera à l'écriture.

Nous pouvons rapprocher cette capacité à se décentrer de soi-même de celle de la démarche anthropologique qui, pour François Laplantine, « entraîne aussi une véritable révolution épistémologique, qui commence par une révolution du regard. Elle implique un décentrement radical, un éclatement de l'idée qu'il existe un « centre du monde ; et, corrélativement, un élargissement du savoir et une mutation de soi-même[41] ». Il s'agit donc de se considérer dans un état d'esprit qui nécessite de ne pas s'encombrer du poids et des ressentiments de la quotidienneté de la vie, de ses propres émotions, mais de les transposer, afin de laisser la place aux vibrations du monde en soi et les mettre en valeur, amplifier leur présence.

N'est-ce pas un écrivain grec qui, dans son Traité du sublime, parlait en ces termes de l'écriture de la poétesse grecque, Sappho, née sur l'île de Lesbos, en la cité de Mytilène ?

N'es-tu pas étonné de voir comment, au même moment, elle va chercher l'âme, le corps, l'ouïe, la langue, la vue, la peau, comme si tout cela s'était enfui et ne lui appartenait plus et comment, contradictoirement, elle gèle et brûle, est folle et sensée, effrayée, ou presque morte, en sorte que ce n'est pas une émotion qui domine, mais un concours de plusieurs émotions ? Tout cela arrive aux gens qui aiment ; mais c'est, comme je l'ai dit, le choix des détails et leur combinaison en un tout qui font le caractère exceptionnel du poème[42].

Car, d'emblée, plongé dans le style, le lecteur est confronté à la « ligne de vie » de l'écrivain en tant que style de vivre en général, écrit Gusdorf dans son chapitre sur l'expression. Cela signifie une affirmation de soi et de sa personnalité intégrée mutuellement par l'écrivain et le lecteur dans une « ligne de vie » analogue au style de l'homme « qui soigne ses vêtements, ses attitudes comme on soigne sa parole ». Nous approfondirons chez l'écrivain, cette notion de style dans la problématique de la réception, mais tout d'abord, pour qu'il y ait réceptivité du point de vue et des intentions de l'auteur, celui-ci doit tenir compte de l'autre.

Cette attention à l'autre chez l'artiste demande réciproquement au lecteur (ou à l'amateur d'art) de faire un effort pour comprendre. Celui-ci « doit y mettre du sien » :

L'effort du créateur demande en réciprocité un effort analogue de dépouillement : la communication implique un partage de difficulté. Or le lecteur moyen, l'auditeur ou le spectateur banal croient pouvoir obtenir sans y mettre le prix ce qui a coûté tant de peine au créateur : il préférera toujours l'écrivain ou l'artiste à la mode qui parle et qui sent comme tout le monde[43].

Ne s'agit-il pas, en l'occurrence, d'une formation du lecteur, d'un sens critique formé à la lecture des textes de la littérature et des points de vue des auteurs ? De sa propre distance ? Cette distance du lecteur qui requiert un recul, un écart, c'est l'intervalle où se logera la médiation entre le texte et le lecteur. Roland Barthes s'interroge également sur l'objectivité du lecteur dans Le Plaisir du texte : « Le plaisir aurait-il la capacité de rendre le lecteur "objectif" ? » Il constate la « stupéfiante habileté ménagère avec laquelle le sujet se partage, divisant sa lecture, résistant à la contagion du jugement, à la métonymie du contentement[44] ». Aussi, à la question posée « Est-il encore possible d'apprendre à lire ? », dans un entretien sur le thème Littérature/Enseignement, il répond notamment en insistant sur la fonction du sens critique que l'école doit faire acquérir à chaque élève. Il rappelle la dimension d'une obligation d'une « pensée éthique de la sémiologie » :

Tout d'abord, il faut maintenir en les déplaçant les acquis de l'école laïque, libérale : l'exercice de l'esprit critique, le décryptage des codes, en s'aidant des études sémiologiques. C'est instaurer un nouveau « régime de lisibilité[45]. »

b – Parole de savoir et de dialogue

Au cours de notre cheminement, la fonction de la parole concernant la communication du savoir s'est révélée double : elle en est venue à signifier clairement, pour nous-même, d'une part une fonction d'interprétation, et d'autre part une fonction « maïeutique ». Pour Socrate, l'exercice de la parole consiste à faire découvrir à l'interlocuteur, par une série de questions, les vérités qu'il porte en lui. Ainsi dans le Gorgias, qui porte sur le thème de la rhétorique, Socrate réfute l'idée du pouvoir d'une parole qui peut faire croire n'importe quoi : « Il faut distinguer faire croire et faire savoir. Le savoir suppose l'acquisition raisonnée d'une connaissance[46] ». De même, dans les récents travaux de Françoise Waquet sur l'oralité et la transmission du savoir, nous trouvons maintes descriptions et analyses des différentes formes de l'oralité qui se sont imposées pour la transmission du savoir (conversation, symposium, séminaire…), par « la supériorité de la parole sur l'écrit, et partant, de l'instruction orale sur celle donnée par les livres » dont parlait encore Socrate dans le Phèdre de Platon.

Et Socrate de montrer les effets féconds de la parole pour la communication du savoir, tout particulièrement lorsqu'elle se donne dans l'entretien entre le maître et l'élève, en fait, dans le dialogue[47].

Dans son étude, Françoise Waquet rapporte que l'adjectif « socratique » fut appliqué à ce type d'enseignement [séminaires] où professeur et élèves travaillaient et discutaient ensemble, pour le distinguer des cours ex cathedra qualifiés, eux, de dogmatiques » ou de « monologiques » ; c'est « une filiation ininterrompue [qui] unissait, sous le signe de “la méthode socratique” les écoles de l'Antiquité, les écoles ecclésiastiques, les premières universités médiévales et les séminaires allemands où les exercices pratiques conservaient cette tradition d'un enseignement “actif” fondé sur le dialogue », ne se préoccupant « d'autre chose que de la rigueur, de la sincérité et du sérieux de la recherche[48] ».

Mais dans ce rapport à la littérature et au savoir, nous pouvons aussi nous référer aux éléments structurants de la pensée de Roland Barthes dans son texte sur La Littérature et l'enseignement. Il faut enseigner la littérature, mais non pas son histoire, dit-il : « L'important n'est pas d'élaborer, de diffuser un savoir sur la littérature […], c'est de manifester la littérature comme une médiatrice de savoir. » Aujourd'hui, « les textes essaient alors de constituer une sémiosis, c'est-à-dire une mise en scène de signifiance ». « Le texte est une mise en scène du symbolique, non pas du contenu, mais des détours, des retours, bref des jouissances du symbolisme [49]. »

 

L'accès à la lecture et à l'écrit demande de toute évidence un effort, un travail, et une certaine habitude de la lecture. C'est pourquoi notre thèse voudrait démontrer que la parole revalorisée — dans sa fonction de passeur de sens et d'accès à l'écrit, et dans le dialogue comme principe — peut réduire cet écart qui existe entre l'écrit (la littérature) et l'interlocuteur ou le sujet produisant de l'écrit.

Précisément, en tout premier et en nous appuyant sur nos expériences de conteuse, notre parole — celle du maître d'atelier — qui est voix et présence corporelle, est interprétation de textes, mais elle est aussi régulatrice et conciliatrice, et « réassurante ». C'est ce dernier qualificatif qui définit les premières expériences d'écriture d'Élisabeth Bing avec des enfants « difficiles », lorsqu'elle se lança avec eux à « nager jusqu'à la page[50] ». Cette parole, la nôtre, existe en même temps pour tous et pour chacun dans sa singularité pour inciter et motiver à la lecture et à l'écriture. C'est l'acte de lire qui donne sa plénitude à l'histoire ; l'histoire ne se termine que dans l'action de la réception de la lecture ou du spectacle, c'est le lecteur qui donne le sens à l'histoire, à la littérature.

Entre les paroles pédagogiques à caractère socratique, la nôtre est différente de celle qui coordonne les expériences d'« histoire de vie[51] », celle-ci plutôt à visée thérapeutique pour une réinsertion individuelle dans la société ; et différente aussi de celle qui impulse des productions individuelles dans de nombreux espaces d'ateliers d'écritures. (Mais elle est aussi celle qui « se soumet » aux paroles de l'atelier et qui « en est traversée[52] ».)

 

Secondement, la parole est donnée à chacun et à tous, non pas dans le but de s'exprimer pour soi seulement, mais dans le but d'un échange et d'une confrontation d'idées et de réflexions, d'une communication à l'autre dans le groupe, dans une collectivité. Parler, dire, exprimer, énoncer quelque chose pour que la parole de l'autre trouve à rebondir sur la sienne ! Ainsi, dans l'acte de l'écriture collective intégrant l'idée de redonner un sens à la parole, l'émergence de sens et la cohérence du discours ont lieu dans la mutualisation, c'est-à-dire dans la réciprocité mutuelle de paroles diverses et différentes, pour aboutir non pas à des productions individuelles juxtaposées, mais à une œuvre unique collective (écrite en petits groupes).

Pour cela, il est nécessaire de passer de l'expression d'un « chaos » d'idées et de ressources exprimées par chacun à l'énonciation d'un ordre agencé et collectif des choses, des idées et événements ; nous sommes dans le champ de la parole, de la verbalisation collective. Puis, dans ce travail de langage en interaction, en mutualisation à l'intérieur d'un groupe, il reste alors à démontrer cette capacité de transformer et de sublimer un désordre d'idées en un ordre d'événements (de faits) qui soit cohérence et vraisemblance, unité, sans liquider la pluralité (et la complexité) des vérités où le sujet se construit et expérimente son écriture à travers un récit. Dans ces histoires écrites à partir des expériences de vie et des ressources individuelles, la fonction de l'imaginaire permet de prendre de la distance par rapport à son histoire, ses émotions, « états d'âme », expériences, savoirs ; car en quoi la fiction est-elle un moyen d'interpeller le réel, sinon en utliisant le langage pour réfléchir et inventer et transfigurer ce réel ? En prendre conscience, dans les paroles échangées et dans les écritures, interpelle, motive, provoque le changement :

Avec la phrase pour unité de discours, […], le langage est orienté au-delà de lui-même : il dit quelque chose sur quelque chose. […] L'événement complet, c'est non seulement que quelqu'un prenne la parole et s'adresse à un interlocuteur, c'est aussi qu'il ambitionne de porter au langage et de partager avec autrui une expérience nouvelle. C'est cette expérience qui, à son tour, a le monde comme horizon[53].

 

En conclusion, le langage peut être exprimé pour soi, et pour l'autre, dans le sens où il y a compréhension et construction avec l'autre. La Tour de Babel ne fut donc pas vaine : l'homme est un « être parlant » et un « être agissant ».

Ayant, selon le mythe, perdu la parole des dieux (une parole unifiante mais passive), nous avons gagné une parole active dans la diversité des langages d'aujourd'hui, en nous exprimant, en communiquant dans le dialogue pour nous intégrer dans une société (ou une communauté). Le langage ne se dégrade pas si une médiation conduit à l'échange et à la création, et la communication opérant dans un champ de compréhension de sens avec une parole conciliatrice, c'est dans cette interaction que peut se faire une unité de création. Jean Foucambert écrit dans ce sens sur l'apprentissage des savoirs à l'école :

À tous les niveaux, l'école est une vaste entreprise où se développent, dans un groupe engagé sur un projet commun, les savoirs individuels au contact des savoirs en devenir chez les autres. On souhaiterait pouvoir la comparer à un vaste atelier où collaborent, autour d'une commande qui les réunit, des individus qui se forment à travers cette production. Entre les instituteurs et les élèves, entre les élèves eux-mêmes, au sein de l'équipe enseignante, des tours de main doivent être montrés, des informations communiquées, des conseils donnés, des contrôles exercés, des prises de consciences provoquées, des avis échangés, des entraînements proposés, des démonstrations effectuées, des activités réflexives stimulées…[54]

2 - La parole, un rapport à soi et à l'autre

La parole n'est pas seulement un outil de communication objective, mais également un moyen conscient ou subconscient d'expression et d'action sur autrui par son contenu émotionnel.

Cécile Fournier[55]

2. 1. Médiation entre locuteur et destinataire : le dialogue

Ainsi, la parole magistrale est bonne — et indispensable — puisqu'elle transmet des connaissances et des savoirs. Mais elle est différente d'une parole qui ne transmet que des informations, ou d'une parole démonstrative, quand elle a le souci de l'autre dans sa démarche de compréhension et d'appropriation de ce qui est dit. Certes, si le point de départ de la parole est l'autre, c'est que nous parlons, nous écrivons pour quelqu'un, même enfermé dans notre tour d'ivoire. En conséquence, c'est l'affrontement avec autrui qui permet de rendre la pensée « intelligible », c'est-à-dire de « lire entre les lignes de sa propre pensée naturellement confuse ». C'est que, par delà l'échange de propos, « s'institue une véritable collaboration entre les deux partenaires ». La deuxième voix, celle de l'interlocuteur qui est donc le destinataire de la parole, réalise les intentions du locuteur. C'est le dialogue[56].

Ce dialogue, basé sur une reconnaissance d'autrui, pose la question du langage. Quel langage utilisons-nous ? Et tout d'abord, la langue est-elle la même pour les deux parties, puisque la langue est le cadre, la règle sociale qui permet de comprendre le même langage ? Ou bien alors, il y a intermédiaire, celui de l'interprète, ici médiateur entre deux règles sociales[57]. Mais, utiliser le même langage suppose, comme le démontre Georges Gusdorf, un même champ de compréhension basé sur des connaissances et des valeurs communes, ou proches. Tout comme l'écrit Edmond Ortigues dans son texte sur La Parole et la langue : « C'est être convié à comprendre un certain champ de présence humaine, avec ses multiples coordonnées historiques, culturelles, sociales, personnelles[58]. »

Dans sa recherche sur Le Discours et le symbole, Edmond Ortigues interroge des notions qui gravitent autour de la forme et du sens, c'est-à-dire : langage, langue, mais aussi mot, signe. Ces deux fondements du langage expriment un discours, mais la langue est l'institution d'une règle sociale, « une règle d'entente » qui intègre le droit de réponse : « Chacun peut dire ce qu'il veut, mais en conséquence de notre dette commune, ma parole n'a de sens que par son droit à recevoir de vous une réponse. »

Le travail sur le langage est donc un travail de rapport à soi et de rapport à l'autre. Le terme utilisé par Edmond Ortigues est celui de la médiation, dans le sens de ce double rapport : la médiation réside bien dans « l'espace, l'intervalle, le milieu », entre les deux partenaires, le locuteur et le destinataire ; « le double mouvement du rapport à soi et du rapport à l'autre qui s'institue dans le langage est le centre médiateur en fonction de quoi les interlocuteurs apparaissent comme tels[59]. »

2. 2. Le schéma de la communication

En voyant de plus près le schéma de la communication tel qu'il est décrit en ingénierie de la langue[60], nous nous rendons compte qu'il inclut « la perception ou la production d'un message ou d'une action, en tant que processus implicite ou explicite ».

Plusieurs modes de communication coexistent :

- Pour la perception, les cinq sens sont interpellés : l'audition, la vision, le toucher, le goût et l'odorat. La lecture est une opération visuelle particulière. La perception de la parole est une opération particulière de l'audition liée à des sons du langage parlé.

- Pour la production, cela inclut le son : parole, ou production de sons en général, et la vision : production de dessins ou plus spécifiquement de messages écrits.

- La cognition est la fonction qui a pour tâche de comprendre ou de générer un message ou une action à partir de connaissances. Cette activité est reliée à des processus conscients (qui permettent par exemple de conduire un raisonnement) ou inconscients.

La communication humaine a donc pour capacité de « prendre en compte la tâche à accomplir et l'objectif à atteindre », ce qui n'est pas le mode d'activité de la machine ; et ce schéma général montre bien que c'est cette double capacité pensée et réalisée en même temps qui permet le dialogue, une interface entre deux êtres humains (ou plusieurs) dans un environnement donné. Le schéma classique — émetteur, message, récepteur — se montre limité pour rendre compte du fait que la communication humaine ne se réduit pas à un simple enregistrement de données fournies, mais constitue une analyse qui permet la reconstruction en pensée des phénomènes à partir des savoirs et des expériences personnelles.

En résumé, la communication humaine inclut des aspects de perception, de production et de cognition ; et plusieurs moyens peuvent être utilisés pour communiquer : le geste (qui va du geste corporel au geste verbal rythmo-mélodié pur, au geste verbal de plus en plus « algébrisé », selon Marcel Jousse[61]), le langage parlé, le langage écrit.

2. 3. Paroles ou gestes, pour une éthique de soi

La parole est certes le moyen le plus affiné pour s'exprimer et communiquer, mais le geste seul existe également ; ainsi le mime, l'expressivité au théâtre, les signes dans la langue des sourds.

Le canal de transmission du message peut-être la voix, qui s'entend par les vibrations de l'air. La voix est un moyen de faire entendre la parole : « elle permet à la pensée de se muer en structures chantées ou parlées ». Mais certaines activités vocales n'ont pas besoin du support de la parole pour être une manifestation émotionnelle : ainsi le rire, les gémissements, les pleurs, les cris et onomatopées, la mélopée vocalique. Ce sont des gestes laryngo-buccaux qui suffisent à manifester et à transmettre de façon immédiate une émotion, un message.

Le geste corporel peut accompagner la voix ou la remplacer lorsque le langage parlé n'est plus que perception : ainsi dans le mime ou la langue des sourds. Dans ce dernier cas, il est cependant important de tenir compte du son de la voix : pour certaines personnes malentendantes, il est reconnu que l'intonation, le timbre, le souffle — qui passent par l'articulation et la posture physique de l'émetteur — peuvent prolonger le message (le dramatiser ou le nuancer) et aider à sa compréhension[62]. Par contre, « l'Art du mime », tel que le transmet aujourd'hui le grand artiste Marcel Marceau, nécessite une « grammaire du mime » : un travail extrêmement rigoureux du corps et des gestes permet d'acquérir les « bonnes » positions de toutes les parties du corps, essentiellement la tête, le cou, les bras, les mains. Alors, le mime peut suggérer, sans la parole, « montrer à voir » et transmettre au spectateur des émotions et sensations, une histoire, un rêve, une réalité tangible de la vie[63].

2. 4. La voix, technique et don : un accord avec soi-même

L'art du chant reflète l'épanouissement, le calme intérieur.

Hélène Sorez

La voix est inhérente au corps, physiologiquement, psychologiquement, sociologiquement, et ne peut être traitée ou travaillée sans convenir du rapport que la personne entretient avec elle-même et avec son corps, qu'il soit positif, ou bien négatif.

Pour les psychologues, la parole est une activité qui ne peut se comprendre qu'en fonction d'un certain nombre de rapports que le sujet entretient dans l'expression et la communication. Dans L'Art de la parole, Hélène Sorez cite ces quatre rapports :

- le rapport que l'on entretient avec le langage

- le rapport que l'on entretient avec soi-même

- le rapport que l'on entretient avec les autres

- le rapport que l'on entretient avec l'ensemble du monde extérieur.

 

Une fois que l'on a intégré une maîtrise de la langue, c'est-à-dire ses différentes contraintes, l'expression orale ne se fait « qu'en fonction de ce que l'on est soi-même et de la façon dont on se voit soi-même », que l'on soit introverti ou extraverti. Cependant, pour pouvoir s'exprimer, et parler avec plaisir, il y a besoin de s'accepter soi-même, de se considérer dans une position positive, d'« être en accord avec soi-même ». « La parole est dépendante de la réflexion, du désir de communiquer, de l'action de l'acceptation de soi-même en traitant du rapport au langage, aux autres et à soi-même[64]. »

Dans la perspective de cette communication positive, une technique d'expression porte sur de nombreux points : la décontraction, la respiration (le souffle), l'articulation, le geste, le regard. De toute évidence, dans l'expression orale, il y a une technique instrumentale qui se révèle dans le corps, les gestes et la voix ; la parole est un acte et un acte libératoire, et « c'est bien en s'exprimant qu'on apprend à s'exprimer », mais « en reliant la parole à un processus général de créativité ».

Ainsi, pour Hélène Sorez, psychologue, tout autant que pour Georges Gusdorf ou Edmond Ortigues, philosophes, « la parole est dépendante de la réflexion, du désir de communiquer, de l'action de l'acceptation de soi-même en traitant du rapport au langage, aux autres et à soi-même ». Cependant, seule la « réponse compréhensive », lorsque quelqu'un nous parle, « favorise l'expression chez l'autre et en retour une meilleure expression de soi-même ». Cette réponse compréhensive signifie effort : « un effort pour s'introduire sincèrement dans la pensée de l'autre […] C'est un effort pour clarifier — sans le déformer — l'essentiel de ce qui a été dit pour respecter l'autre et lui manifester une considération réelle[65]. »

Nous sommes, ici, dans une posture d'exigence de l'écoute fondée sur un rapport éthique à soi-même, un rapport critique et positif. Elle permet la négociation, les échanges : c'est entrer dans la logique de l'autre, en acceptant les différences.

Elle est, selon Guy Cornut[66], outil de communication, et ne peut être dissociée de la personnalité de chacun.

1 - Outil d'expression de soi, elle transmet les émotions, par le timbre et le ton ; et, entre autres, par les cris, les rires, les gémissements.

2 - Outil d'affirmation de soi, elle permet d'exercer une action sur son interlocuteur : « Plus on cherche à entraîner l'adhésion de celui qui écoute (se faire obéir, convaincre, séduire), plus on a besoin d'un haut niveau d'énergie qui se traduira par une modification des diverses caractéristiques de l'émission vocale : intensité, tonalité, timbre, articulation, débit, gestes associés[67]. »

a - L'explicite

« Cette force de détermination » est appelée par François Le Huche « projection vocale ». Et la « voix professionnelle » demande ce haut niveau d'énergie : la voix du comédien, la voix du chef.

Selon le point de vue donné dans son livre La Voix, les différentes manifestations vocales sont répertoriées selon leur aspect expressif, en distinguant trois tonalités :

1- le ton émotionnel : craintes, sanglots, joie, hilarité, désespoir…

2- le ton du message : insinuant, mielleux, sarcastique, hypocrite, suppliant, humble, timide…

3- le ton de la communication : décidé, ferme, sec, mou, emphatique, séducteur, etc.[68]

Par conséquent, il ne peut être question de sous-estimer les dimensions physiologiques. Ainsi Guy Cornut établit un classement des manifestations vocales, en référence à certaines notions : « L'on distingue la hauteur de la voix (aiguë ou grave), le registre (mode d'émission), la fonction (parlée, chantée, criée). » La voix pleure, chante, crie, parle haut ou bas et, dans ce cas, elle susurre, chuchote, murmure. Tendre, douce, elle peut être voluptueuse, sensuelle, séductrice, charmeuse ; dans ce cas, elle émeut, porte à l'écoute et à la conciliation. Énergique, forte, vindicative ou menaçante, elle inspire le respect, ou bien la peur; elle peut humilier, atteindre l'estime de soi…

Puis, à l'émission de la voix, se rattachent les notions de timbre et d'intensité, auxquelles se rajoute celle de la couleur de la voix qui donne « la possibilité expressive », selon les capacités d'adaptation et d'interprétation (intensité, nuances). Toutes ces notions sont liées à la manière de parler, de chanter et, notamment, d'enseigner.

b - L'implicite

Si, dans ce contexte, la voix est un outil de communication dont la technique d'émission peut s'élaborer en fonction du système d'expression choisi et des buts recherchés, il ne faut pas oublier enfin que nous baignons dans une culture, — cette notion étant définie, à l'instar d'Edward Sapir, comme l'ensemble des représentations, des valorisations effectives, des habitudes, des règles sociales, des codes symboliques. Cécile Fournier, travaillant sur la voix considérée comme « art et métier », évoque les travaux des sociologues sur les comportements lorsqu'elle écrit : « Nos habitudes linguistiques et vocales, comme notre comportement et notre personnalité, sont influencés et façonnés par le milieu vital dans lequel nous évoluons. […] et inversement, notre voix, à l'image de nos gestes et de nos attitudes, révèle notre milieu, nos habitudes de vie, notre tempérament[69]. »

Certes, il peut s'agir de « l'implicite non verbal » dont parlent certains sociologues, parmi lesquels Pierre Bourdieu dans son petit livre Sur la télévision :

Certains sociologues se sont essayés à dégager l'implicite non verbal de la communication verbale : nous disons autant par les regards, par les silences, par les gestes, les mimiques, les mouvements des yeux, etc., que par la parole elle-même. Et aussi par l'intonation, par toutes sortes de choses. On livre donc énormément plus qu'on ne peut contrôler. Il y a tellement de niveaux dans l'expression, ne serait-ce qu'au niveau de la parole proprement dite — si on contrôle le niveau phonologique, on ne contrôle pas le niveau syntaxique, et ainsi de suite — que personne, même le plus maître de lui-même, à moins de jouer un rôle ou de pratiquer la langue de bois, ne peut tout maîtriser[70].

Et cependant, il est important d'apprendre à maîtriser les « signes de suggestion », tels que les évoque l'ethnologue Geneviève Calame-Griaule à propos des conteurs africains. Le fait de conter implique la personne du conteur.

Plusieurs éléments corporels peuvent intervenir : l'intonation, le timbre, les silences, les pauses, les accélérations et lenteurs calculées ; de même, les signes du corps : gestes ébauchés de la main, mimiques, imperceptibles mouvements des lèvres, des yeux, de la tête : « Chaque conte est un tissu de mots, de regards, de mimiques et de gestes[71]. »

Ainsi, chez les conteurs Dogons, il existe des personnes d'un certain âge et qualifiées de « professeurs de contes » qui enseignent aux jeunes gens l'art du conte, la manière de le dire et en particulier les gestes adéquats. « Le conteur contient ses gestes à l'intérieur d'un carré imaginaire que l'on peut placer autour de la tête, des épaules et du buste. » Ce carré se rapproche aussi du carré de l'orateur dans lequel se pratique la langue des signes chez les sourds. Ainsi, le corps prolonge le message, le dramatise ou le nuance, remplace un mot, une phrase, accorde un silence[72]. De la même façon, le langage de « la danse des mains » accompagne les chanteurs Touaregs lors de leurs chants. Dans la position assis en tailleur au sol (effectivement dans un carré délimité pour chaque protagoniste), une femme et un homme se parlent avec leurs mains : cet art signifie plus que les mots chantés, plus que la musique des tambours (le tindé joué par les femmes) et des instruments à cordes qui accompagnent les voix de femmes et d'hommes (l'imzal, le tehardant)[73].

La retenue des gestes participe elle aussi au travail d'identification du conteur Dogon et à sa concentration. Source d'énergie, elle restitue au mieux le sens du récit et transmet une émotion, car si la voix captive et bouleverse, il ne s'agit pas pour autant de se laisser submerger par les sentiments des personnages, ni par l'émotion. Cette tempérance obligée, forme de distanciation par rapport à une représentation subjective, est nécessaire à la représentation individuelle de chacun, à la création de l'imaginaire.

c - Technique et don : « la voix d'or »

On parle bien souvent de beauté, de magie, de « don du ciel » ; la voix est cependant bien corporelle, elle dont le fondement est physique et technique.

Et en tout premier, un conditionnement commence dès l'enfance, par la voix et l'oreille[74]. La voix résulte de contractions musculaires et son émission passe par tout le corps et les gestes. Signalons dans ce sens les travaux importants de Marie-Louise Aucher, portant sur la thèse de la réception des sons en rapport avec chacune des parties du corps : « une réception élective des sons de la voix existerait aux divers niveaux du corps, de la tête aux pieds[75] ». Dans ce cas, une conscience immédiate des mots, de la danse, de la musique est requise ; non seulement sur un mot, un pas, une note, mais plutôt sur le récit entier, la chorégraphie, la partition. Par sa concentration, le conteur, le danseur ou le musicien s'immerge dans la parole ou dans la musique.

À cet égard, Cécile Fournier rappelle « l'investissement physique » nécessaire à cet art : « Le potentiel expressif du comédien ou du chanteur d'opéra tenant aussi à cette impressionnante faculté de maîtriser l'espace », puisqu'il doit rendre son discours intelligible à un grand nombre de personnes réparties dans cet espace. C'est pourquoi le micro fait problème, car il masque des facettes de la voix, explique-t-elle : « L'amplification artificielle ne confère pas le même pouvoir malgré les apparences et, en tout état de cause, le micro résout le problème de la portée, pas celui de l'intonation, du timbre, de la palette de nuances[76]. »

 

De même que l'actrice et tragédienne Sarah Bernhardt[77] recherchait dans le travail de la voix un absolu, une volonté d'aboutir à la perfection, de même aujourd'hui, les chanteuses d'art lyrique doivent travailler leur voix pour parvenir à restituer au mieux, en plénitude, l'émotion et la beauté que l'auteur a écrites dans sa musique et dans son texte. Il s'agit tout à la fois d'un investissement corporel et spirituel qui permet « une harmonie » avec soi-même comme avec les autres[78].

Le corps ne se sépare pas de l'âme pour transmettre la parole, le chant, un cri, mais, bien plus, seul le corps peut transmettre, de telle sorte que l'écrivain Denise Bramihi peut évoquer Taos Amrouche, « le merle blanc de Kabylie », dans des termes qui associent le corps à l'émotion (et à l'âme) par la voix qui ravit, investit l'être, envahit celui qui se laisse prendre à son écoute.

Seule sur scène, chantant a capella, elle soumettait son public à la présence charnelle de sa voix qui remplissait tout l'espace. Elle a même, en toute clarté, comparé l'acte de chanter à l'acte sexuel. Elle y joignait une exigence spirituelle, un goût pour les choses lumineuses, fleurs, fruits, une aspiration à une plénitude qui serait fusion de la chair et de l'âme, celle du Cantique des Cantiques[79].

À propos de la musique, lorsqu'il s'agit de la musique chantée (lied ou mélodie), Barthes parle du « grain » de la voix, « le grain de la voix, lorsque celle-ci est en double posture, en double production : de langue et de musique ». « La voix qui chante, cet espace très précis où une langue rencontre une voix et laisse entendre, à qui sait y porter son écoute, ce qu'on peut appeler son “grain”[80] ». Ceux qui pratiquent le travail de la voix, les musicologues, les chanteurs eux-mêmes, cherchent à expliquer le sens de cette rencontre : c'est que la voix fait « résonance ». Cela signifie qu'elle conduit à une compréhension des intentions de l'auteur (paroles et musiques), portant celui qui écoute à des « correspondances[81] », selon cette vision de la poésie et de la musique comme moyen d'accéder à la beauté et au divin[82].

Cependant le chant demande une maîtrise de l'émotion : introvertie chez le conteur comme chez le chanteur qui chante une mélodie, un lied (Berlioz, Schubert)[83], la voix aide l'autre à passer de l'autre côté du miroir tout en lui donnant des clés pour apprendre à construire ses représentations, ses points de vue. Et, de toute évidence, il y a ici une prise de distance avec le spectaculaire : le chant serait-il le moyen de porter la parole lorsque celle-ci ne peut plus être proférée, indicible ? « La voix de ces femmes porte l'expression et le reflet des sentiments qu'elles ressentent dans leur corps et dans leur pensées. Elles nous emportent au-delà du quotidien par l'émotion transmise par leur voix », disent les musicologues[84] : « voix qui nous parlent de l'autre rive, mais que nous connaissons », tel le psychagogue[85], le meneur des âmes, celui qui reconduit les âmes à la mort par le moyen de « la beauté[86] ».

d - le regard

Nous voudrions conclure sur l'identité première de la parole dans le rapport à soi, et à l'autre, et notamment sur l'importance du regard. Serait-il au principe de toute chose ? En anthropologie certes. Particulièrement dans l'art de la parole, il inclut les notions de style et de distance, qu'il soit art du chant ou art de l'expression dans la démarche de l'écrivain ; il est nécessité dans l'art du chant (l'interprétation). L'exigence qui guide la pensée et l'action, la présence corporelle et le travail de nuances musicales de la parole — rencontre avec une voix — sont un tout (aux parties indissociables) pour une compréhension de sens en direction de l'auditeur, du spectateur. Si, en anthropologie, il s'agit d'une « modification du regard » que l'on porte sur soi, ce regard-là ne va pas de soi (il faut de la patience et de nombreux essais, du travail, une disponibilité) ; en pédagogie et en philosophie, nous allons également trouver matière à approfondir une approche plus précise de ce regard chez le pédagogue, puisque la parole est inséparable de son acte de passeur de savoir et de sens.

Ainsi, écrit Barthes, la parole est immédiatement théâtrale, non innocente et naturelle, mais bien au contraire, tactique :

En premier lieu, nous perdons [dans la trappe de la scription], c'est évident, une innocence ; non pas que la parole soit d'elle-même fraîche, naturelle, spontanée, véridique, expressive d'une sorte d'intériorité pure ; bien au contraire, notre parole (surtout en public) est immédiatement théâtrale, elle emprunte ses tours (au sens stylistique et ludique du terme) à tout un ensemble de codes culturels et oratoires : la parole est toujours tactique ; mais en passant à l'écrit, c'est l'innocence même de cette tactique, perceptible à qui sait écouter, comme d'autres savent lire, que nous gommons ; l'innocence est toujours exposée[87].

3 - La médiation en terrains pédagogiques et culturels

[Dans le processus de médiation] le sens n'est plus alors conçu comme un énoncé programmatique, élaboré en dehors de l'expérience commune, mais comme le résultat de la relation intersubjective, c'est-à-dire d'une relation qui se manifeste dans la confrontation et dans l'échange entre des subjectivités.

Jean Caune[88]

Nos exemples présentés jusqu'à présent — l'écrivain, le chanteur — convoquent une exigence d'expression de la parole ainsi qu'une disponibilité à l'imaginaire et au symbolique. Cette exigence dans l'écriture et dans le chant incite à s'approprier un savoir, une culture, ou une différence, de sorte que nous y avons décelé une médiation — un passage mutuel de sens — entre celui qui parle, écrit, ou chante et celui qui lit, ou écoute. Si bien que notre démarche anthropologique (médiation narrative et médiation en écriture) se positionne effectivement dans une pédagogie dite « d'effort », mais qui serait, plus exactement dite, du « désir » (désir de connaître et faire), que ce soit dans un cadre culturel ou éducatif.

À cet égard, travailler sur le concept de médiation signifie que nous l'interprétons en tant que relation, certifiant « une rencontre entre au moins deux personnes », comme le rappelle Gaston Mialaret dans sa Pédagogie générale[89]. Aussi pour le cerner bien plus du côté étymologique du passeur, du messager intermédiaire et passeur de sens, nous allons à présent nous pencher sur la philosophie de l'éducation, et sur le rôle même du pédagogue qui, comme c'était l'usage chez les Grecs, avait fonction d'accompagnateur. Il était l'esclave qui accompagnait l'élève à l'école, celui qui lui rappelait son devoir, l'aidait à parfaire son savoir et lui apprenait sans doute à apprendre. Par extension, explique Mialaret, le pédagogue est devenu synonyme de maître, précepteur.

Du côté des pratiques sociales et culturelles, ce « concept de médiation pose et risque aussi la problématique des actes de parole qui font sens dans le projet de formation du sujet », comme l'écrit Jean Caune dans Pour une éthique de la médiation[90]. Dans ce livre, il s'attache particulièrement à la question de la construction de sens dans des pratiques de médiation culturelle ; il y montre que la spécificité de la médiation culturelle tient à ce qu'elle « est donnée par le fait qu'elle permet à un sujet d'entrer en relation avec d'autres par le biais d'une expression qui lui donne une place dans une communauté. »

3. 1. Le messager, passeur de sens

Étymologiquement, le mot médiateur nous ramène à un concept concernant la négociation : c'est celui qui concilie, joue le rôle d'entremetteur, celui qui passe un message, ce rôle étant dévolu à Hermès parmi les dieux grecs ! Le mot médiateur — en latin mediator, du verbe mediare, s'interposer — est celui qui sert d'intermédiaire, d'arbitre, de conciliateur. Il a donc à voir avec un conflit[91]. Dès 1160, il existe le terme de s'entremettre ; la personne qui s'entremet « entre et mettre », c'est l'intervalle. C'est celle qui intervient entre deux ou plusieurs personnes par un moyen, un truchement. La médiation, mot apparu en ce sens en 1561[92], est une entremise destinée à concilier où à faire parvenir à un accord des personnes ou des partis ayant des différends ; une personne sert d'intermédiaire dans la communication, choisie pour mener un accord entre des parties adverses, pour faciliter une négociation, dans des situations délicates. Dans tous les cas, il s'agit de sortir d'un blocage, où les choses et les gens sont figés, paralysés, où l'histoire est en attente.

Selon les mythes grecs, le récit du mythe est émergence de sens en rapport avec le monde (le pourquoi, le comment). Hermès par exemple est nommé le dieu du voyage et des passages. Dans l'ouvrage de Jean-Pierre Vernant[93], Hermès, fils de Zeus et de la Nymphe Maïa, est un jeune dieu messager lié au mouvement, aux contacts et transactions, au passage, au commerce. Pour Zeus, il relie la terre et le ciel, les vivants et les morts. Il possède la puissance du va et vient d'un monde à l'autre, du haut vers le bas et vice versa : « Hermès met ses sandales, il est rapide comme l'éclair, comme la pensée. » C'est celui qui va à la rencontre de l'autre, sans peur. Pour Platon, le nom d'Hermès venait de hermêneus, « celui qui interprète » l'impénétrable, l'obscur, le secret, d'où provient l'herméneutique qui est l'art d'expliquer, interpréter les textes, les textes sacrés tout d'abord, les symboles et les systèmes signifiants, et pour Ricœur, la divergence et la multiplicité du sens.

Ainsi être messager et « passeur » entre les espaces, entre les temps, entre les dieux et les hommes, c'est être aussi le dieu passeur de sens.

3. 2. Le pédagogue : l'exigence à l'origine du désir

En convoquant une philosophie de l'éducation dans le sens d'une réflexion constante sur la pratique, nous mettons l'accent sur un rapport à soi-même et à l'autre dans la pratique quotidienne de la transmission du savoir et de la culture. Ainsi, Gaston Mialaret met en exergue la réflexion, c'est-à-dire une remise en cause à partir de la pratique qui engage l'éducateur dans « un chemin de la philosophie de l'éducation » : « La pédagogie est une réflexion sur les finalités de l'éducation et une analyse objective de ses conditions d'existence et de fonctionnement. Elle est en rapport direct avec l'action éducative qui constitue son champ de réflexion et d'analyse sans toutefois se confondre avec elle[94]. »

En ce qui concerne les finalités de l'éducation, il nous rappelle les grands maîtres de l'éducation, tels Socrate, Platon, mais aussi Freinet et tant d'autres, ordonnant l'action éducative dans une philosophie du devenir et des possibilités de l'être humain. Socrate, et sa parole « maïeutique », l'accoucheur de paroles, définit dans le dialogue du Gorgias sa philosophie de l'art de la parole au service du savoir et de la recherche de la vérité, et non comme un simple « savoir-faire » au service de la rhétorique qui veut convaincre à tout prix[95]. Dans Le Banquet, tout être désireux de savoir, de vaincre l'ignorance, devient philosophe, c'est-à-dire, en grec, « aime le savoir » ; les thèmes de l'éducation — et de l'amour — y sont argumentés par la voix de Diotime, « sage-femme » et porte-parole de la conception de Socrate[96]. Célestin Freinet, quant à lui, a été le pédagogue qui osait montrer sa confiance en la capacité d'expression et de créativité de l'enfant[97]. Ainsi donc, pour Mialaret, la réflexion philosophique, en tant que réflexion au second degré, s'applique parfaitement au « savoir pédagogique ». Cette analyse de la pratique est possible parce que l'éducateur se positionne dans des finalités de son enseignement par rapport « au devenir et aux possibilités de l'être humain ».

Jean Gagnepain, enseignant et chercheur en linguistique, parle quant à lui de l'éducation de l'effort à l'intérieur de la problématique de la médiation. Pour être exigeant avec autrui, il faut d'abord l'être avec soi-même, souligne-t-il dans Du Vouloir dire :

L'on ne saurait sous-estimer, au-delà de tout misérabilisme, l'erreur de trop de formateurs visant à l'exploitation systématique des aptitudes plutôt qu'au développement de la vie intérieure du postulant. C'est que cette force d'exigence et ce désir de dépassement existent bien en chacun de nous, et ce n'est pas respecter les gens, y compris les enfants, que de les tenir, comme il est d'usage depuis un certain temps, systématiquement pour des malades ou des impuissants. C'est la démission des maîtres qui fait les esclaves, non la rigueur du règlement[98].

Dans le texte sur les « pédagogies de situations » où il se réfère à la formation en troisième cycle[99], Jean-Jacques Morne précise que ce sont les situations proposées qui constituent un terrain d'implication dans lesquelles les formateurs jouent un rôle de médiation : il s'agit de caractériser l'action spécifique du pédagogue dans ce qu'il fait « des situations où il agit pour une autonomie émancipatrice de celui dont il a la charge », en opposition aux limites des modèles pédagogiques plus traditionnels « qui privilégient une logique de la conservation, du renforcement ou de l'adaptation à un état de fait ». La pédagogie devient « un art au service de la vie » où les relations qui se développent entre les personnes se font sur le terrain même des opérations et des interventions du pédagogue ; celui-ci doit se donner les conditions pratiques et méthodologiques pour libérer les énergies de création, pour promouvoir les capacités à « s'autoriser à faire un pas de côté ».

Le formateur est bien impliqué, non pour imposer dogmatiquement certains savoirs ou modeler le comportement des personnes au bénéfice d'une quelconque technique. Il assure les conditions d'un passage… « de l'autre côté du miroir », là où le sujet retrouve son autonomie, sa créativité. Il accompagne ce passage, le suit, au besoin l'encourage. Mais c'est la personne qui passe d'un état à un autre, et elle seule[100].

Ainsi, en tant que pédagogue, il souligne que la formation à la conduite de projets porte à interpeller nos points de vue familiers, à adopter effectivement et non formellement une position critique par rapport à nos savoirs, à prendre la mesure du sens et de la portée pratique d'autres façons de faire, de penser, de comprendre : c'est-à-dire à « s'autoriser à » ne pas reproduire, mais à adopter une posture de propositions qui amène l'enfant, l'élève, l'adulte à s'autoriser lui-même. « Il s'agit donc de “former”, non d'agir à la place de la personne qui lui est confiée, « mais de lui apprendre, en la formant, à se passer de lui[101]. »

Dans son article « De l'acte volontaire à l'action autonome », dans la revue Éducation permanente, Bernard Alix, se rapportant également à sa pratique de professeur en philosophie, insiste sur le rapport à la phénoménologie qui requiert un caractère intentionnel de l'action en éducation, portée par la conscience. C'est « la liberté d'agir[102]. » Il s'agit bien, en effet, de poser la question du désir comme objet inhérent au métier de médiation (l'enseignant, l'éducateur, le parent). Cela signifie que notre propre désir de connaître (l'exigence et la curiosité intellectuelle), et notre propre plaisir de partager donneront à l'autre le désir de savoir, d'être actif, de faire (produire et créer). Il ne s'agit donc pas de motivation pour telle ou telle chose, mais de désir « tenu en éveil, soutenu, encouragé, optimalisé », écrit encore Jean-Jacques Morne.

 

Et en ce qui concerne notre problématique, notre rôle maïeutique ne serait-il donc pas d'accorder l'autre à l'écrit — au texte, au livre — en mettant en scène notre propre intentionnalité, notre désir de l'écrit, en tant qu'enseignant ou formateur ? Cela signifie ici notre propre désir de partager notre passion, tout en sachant user de moyens novateurs pour déclencher et favoriser une relation « de désir » avec la lecture ou (et) l'écriture. Ainsi, notre propos, qui concerne l'enseignement, rebondit par rapport aux recherches didactiques des dernières années : dans leur ouvrage collectif Le Français au collège, les auteurs prônent une conception de l'enseignement du français au collège qui tranche en faveur « d'un choix didactique » relevant de théories actualisées « transférables pour l'élève et utiles dans la construction des savoirs » ; à savoir « une discipline rassemblée », « un enseignement porteur de sens », « une pédagogie de projet[103] ».

3. 3. Pour une formation à la médiation

Néanmoins, il s'agit d'avoir le souci de ce que cette médiation peut provoquer chez l'autre par rapport à son histoire et ses savoirs, et de chercher à comprendre.

Certes, l'art de la médiation, suivant son rôle maïeutique, est de savoir conduire la parole dans la fonction d'accompagnement : aider à s'approprier la capacité à entrer dans la logique d'un discours d'une part, et donc communiquer avec l'autre ; mais il réside aussi dans celle de s'autoriser à manifester sa capacité de projection et de création dans le présent et le futur. En effet, dans nos pratiques de médiation sur le terrain, la parole tout d'abord conduit concrètement l'autre à se reconnaître, puis à s'approprier une sensibilité et des capacités dans le processus d'écriture. La question de la distance resurgit alors, effective par rapport à soi et à la parole énoncée. Ainsi, il est important de prendre conscience que l'aide peut se faire dans le sens de faire advenir la parole, les mots — les découvrir, les choisir, les mettre en cohérence, de manière positive, en construction —, tout comme elle peut le faire dans le sens d'une rupture ou d'un abandon de quelque chose. Le principe de la maïeutique socratique n'est pas d'apporter à quelqu'un la vérité (le vrai, le beau, la soif de connaître), mais de l'aider à la découvrir en lui et de la mettre ainsi au jour. Le risque de cette aide est par conséquent de donner la possibilité d'entrevoir un choix à faire, c'est-à-dire de « se séparer » de quelque chose (en soi, du monde), d'« être sa liberté », de s'engager. Apprendre à voir et à penser autrement, accepter de transformer son regard comporte un risque, celui de se perdre, ou de perdre certaines choses, pour avancer.

À cet égard, et en tant que pédagogue, Philippe Meirieu pose le problème d'une formation à la médiation chez certains professeurs de lettres et les professeurs d'école : pour ceux qui n'ont peut-être pas reçu la formation « au travail sur le texte », le texte qui, tout d'abord, « donne sens et interpellation, objet résistant et support de l'imagination ». Dans son entretien « D'abord la Littérature », il insiste sur le besoin d'une réflexion sur la médiation nécessaire pour entrer dans les textes littéraires, au contraire des écrits fonctionnels qui semblaient plus proches des élèves en difficulté. C'est en travaillant en lycée professionnel qu'il s'est aperçu de l'intérêt des élèves pour « des textes difficiles, inquiétants, mystérieux », par exemple la mythologie, dont les textes sont chargés de symbolique. « Il faut réhabiliter le récit comme outil pédagogique de plein exercice » ; et « en effet, c'est construire aussi sa vie par le récit qu'on en donne », dit-il en se référant, entre autres auteurs, à Paul Ricœur : « Construire un savoir, c'est choisir et relier certains faits, c'est transformer des faits en événements. »

[Ainsi] la littérature est l'accès à un temps privilégié : celui où le symbole, immédiatement, entre dans la vie individuelle pour aider à construire la personnalité[104].

3. 4. La médiation culturelle : des actes de parole

Jean Caune travaille précisément sur cette question de la construction de sens sur le terrain culturel. Son ambition est de montrer la spécificité de la médiation culturelle, une spécificité qui n'est pas acquise par le seul fait qu'elle se déroule dans un lieu culturel, dit-il, mais qui lui « est donnée par le fait qu'elle permet à un sujet d'entrer en relation avec d'autres par le biais d'une expression qui lui donne une place dans une communauté ».

Et la question du sens est bien alors celle du sens non plus « conçu comme un énoncé programmatique, élaboré en dehors de l'expérience commune, mais comme le résultat de la relation intersubjective, c'est-à-dire d'une relation qui se manifeste dans la confrontation et dans l'échange entre des subjectivités », c'est-à-dire par une parole qui engage. Pour lui, il s'agit donc de réfléchir véritablement au sens politique de pratiques culturelles, et il ressort clairement de sa recherche qu'une pratique esthétique de la médiation dans des pratiques culturelles met en exergue des expériences où la parole partagée « fonde le lien sensible entre des sujets membres d'une même collectivité » et « acquiert du sens ». Dès lors, son étude tend à démontrer « comment la médiation passe d'abord par la relation du sujet à autrui à travers le biais d'une « parole » qui l'engage[105] ». Ainsi, en accord avec sa recherche sur le concept de la médiation, nous pensons qu'il ne peut être en rien « un concept tiers » qui viendrait à s'installer dans « le couple information/communication pour faciliter une mise en circulation des informations ». Mais, tout au contraire, nous partons de ce lien qui vise à construire un sens entre un sujet et un autre :

La médiation, à mon sens, comme processus et concept, présente une valeur compréhensive des relations humaines à la condition de redonner une profondeur à la parole du sujet et à ses effets. […] La médiation est un processus ternaire qui met en relation un sujet, un support d'énonciation et un espace de références où la parole trouve une place et un sens. […] C'est dire que la médiation ne peut s'analyser qu'en fonction d'une herméneutique qui donne toute sa place à l'expérience vécue du sujet[106].

a - Des passeurs de sens

Les pratiques culturelles sont nombreuses, ne serait-ce que dans les domaines du livre et de la peinture[107]. D'une part, il est certain qu'un travail de médiation s'exerce de plus en plus, grâce à des médiateurs culturels, rattachés à une action culturelle (mairie, musée, théâtre), qui travaillent dans le sens d'un accès à la culture, sinon pour tous, du moins pour le plus grand nombre. Cet accompagnement à l'accès à la culture, notamment auprès des jeunes de l'école primaire, collège et lycée, propose une facilitation à l'accès des œuvres présentées en musée, à la découverte du théâtre et des œuvres données en spectacle. Ces programmes « découverte » sont centrés sur des spectacles appropriés à l'âge du public[108]. Mais de plus en plus, les grands théâtres et centres de culture se penchent aussi sur la question de la réception du spectateur, sur l'interprétation qu'il retire d'une œuvre, en faisant appel à des chercheurs en mission[109]. Également, de jeunes chercheurs en thèse s'interrogent sur la réception de l'Art, sur « la construction de la relation entre le spectateur et l'œuvre au musée », en faisant l'hypothèse que « cette relation se construirait par la fréquence du regard liée à une parole médiatrice ».

b - Des « passeurs de livres »

Par ailleurs, nous pouvons prendre simplement comme exemple les bibliothécaires qui placent cette notion de médiation au cœur de leur questionnement sur l'accès aux livres.

Les bibliothécaires de L'Heure Joyeuse à Paris[110] furent les premières à revendiquer ce rôle de médiation entre le livre (texte, illustrations) et l'enfant, en faisant office de formation pour les premières bibliothécaires, de telle sorte qu'aujourd'hui, des bibliothécaires, soucieuses de leur rôle, se donnent le nom de « passeurs de livres » car elles se situent dans des pratiques d'aide, d'accompagnement, pour que la rencontre entre un jeune et un livre (un texte, un auteur, une histoire) ait lieu[111]. Face à des enfants en difficulté, en réticence vis-à-vis des livres, la question est personnelle, en rapport avec chaque sujet, libre de son désir de lire : « C'est à la dimension personnelle, à eux-mêmes et à nous-mêmes, que nous renvoient les enfants, autant qu'aux livres. Implicitement, l'enfant questionne le bibliothécaire sur son désir de lire […]. Nous nous sentons interpellés par notre propre rapport aux livres[112]. »

Conclusion : la Parole, transmission et dialogue

En conclusion, notre réflexion sur la question de la parole dans le projet d'une facilitation à l'accès à l'écrit se trouve au carrefour de plusieurs entrées disciplinaires, en tant que parole de savoir et de dialogue, telle la parole socratique. Nous avons vu que la parole, depuis le mythe, est considérée comme un acte créateur qui catégorise, nomme et donne vie aux mots et aux choses. Philosophiquement définie comme expression pour une communication à l'autre, en tant qu'écoute immédiate et réponse, la parole humaine (par opposition avec celle des dieux) présuppose la conscience d'un rapport à soi et à l'autre qui se travaille dans le style inhérent au langage de l'écrivain (« puisque c'est là que commence l'écriture », avoue Barthes), comme notamment dans l'interprétation, où la présence évidente du corps (voix, gestes du chanteur, du conteur) nécessite, en même temps que la recréation du texte, une distance. Cette distanciation liée au regard sur soi et sur l'autre est au cœur de l'art de la parole, de sa mise en scène, pour une plus grande compréhension de sens. De cette même manière, le savoir et la culture pourraient donc être transmis et partagés dans des pratiques pédagogiques de médiation en terrains éducatifs et culturels, suscitant peut-être chez l'autre (l'enfant, l'élève, l'adulte) l'exigence et l'envie de savoir, lui permettant d'apprendre à construire ses capacités et son désir d'autonomie. Alors, dans l'intervalle respecté, dans cet écart que l'on pourrait appeler « entre-deux », on peut oser inventer son propre savoir.

 

Nous étions du côté de la parole interprétative et maïeutique — définie comme transmission, et échanges en dialogue —, avec la dimension essentielle du corps. Nous allons voir à présent la notion du plaisir à la réception de la lecture d'un texte en tant que spectateur (ou auditeur). Nous y distinguons particulièrement la composition d'une histoire, selon Aristote, ou le « code des actions narratives[113] », en y considérant la dimension symbolique qui, pour nous, et à l'instar de Aristote, Ricœur, Barthes, est particulièrement importante dans toute relation à l'écrit.


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[1] Georges GUSDORF, La Parole, PUF, 1986, [1e éd. 1952] : « Venir au monde, c'est prendre la parole, transfigurer l'expérience en un univers de discours », p. 12.

[2] Georges GUSDORF, La Parole, op. cit.  : « La fonction expressive de la parole humaine fait équilibre à sa fonction communicative », ch. « L'Expression », p. 69. Cela signifie que le langage n'existe qu'entre deux êtres, même dans le soliloque (avec l'autre qu'est soi-même) : je parle, j'énonce, j'écris, je m'exprime, — même dans ma tour d'ivoire d'écrivain —, pour dire quelque chose à l'autre, et m'affirmer dans mon être.

[3] Georges GUSDORF, La Parole, op. cit. : « Par opposition à l'impersonnalité de la langue morte, en troisième personne, l'expression manifeste le je, la communication est recherche du toi, — le je et le tu tendant à se rassembler dans l'unité du nous, attestation de la langue vivante », ch. « La Communication », p. 61.

[4] Hélène SOREZ, Prendre la parole, Hatier, coll. « Profil/Formation », 1976.

[5] Dans son livre Saint Augustin et les Actes de parole, Jean-Louis CHRÉTIEN met en valeur « les actes de paroles » de saint Augustin, c'est-à-dire une « phénoménologie de la voix et de la parole suivant le fil conducteur de ses actes, ce en quoi ils font événement, ce par quoi s'y jouent notre vie et notre mort », PUF, coll. « Épiméthée », 2002. Cette conception phénoménologique de la conscience, principalement élaborée par Edmond Husserl dans ses Méditations cartésiennes, a constitué un bouleversement épistémologique au regard du point de vue cartésien, en posant l'alter ego — autrement dit l'autre semblable et distant — comme fondement irréductible de la constitution de l'ego, de la conscience (de soi en même temps que de l'autre).

[6] Jean-Pierre MIQUEL, Le Théâtre des acteurs, ces étranges animaux, Flammarion, 1996.

[7] SAINT AUGUSTIN, De Magistro, Klincksieck. 1993. Voir aussi : Alain BENTOLILA, De l'illettrisme en général et de l'école en particulier, Plon, 1996. Également, Luc FERRY, Lettre à tous ceux qui aiment l'école. Pour expliquer les réformes en cours, Odile Jacob/Scéren [CNDP-CRDP], 2003. Les réformes s'inscrivent « dans le cadre des missions fondamentales de l'école » : « Instruire, c'est-à-dire transmettre des connaissances et une culture ; éduquer, c'est-à-dire former le futur adulte et le futur citoyen dans une société démocratique ; enfin préparer à la vie professionnelle », Avant-propos, p. 8.

[8] Georges GUSDORF, La Parole, op. cit., p. 66.

[9] Luc BRISSON, « La fureur étymologique », Sciences et Avenir, n° 125, déc-jan. 2001.

[10] Georges GUSDORF, La Parole, op. cit., p. 130.

[11] Mircea ELIADE, Aspects du Mythe, Paris, Gallimard, coll. Folio-Essais, 1988 [1e éd. 1963], p. 46. Voir aussi : « Religions australiennes », Avant-propos de Mircea Eliade, p. 14, trad. de l'anglais par L. Jospin, Petite bibliothèque Payot-Rivage, 1998 [1e éd. 1972].

[12] Légendes amérindiennes sur les origines du monde : Légende Zuni, in TAYLOR C.J., Des os dans un panier, trad. Michèle Boileau, éd. Toundra/Grandir, 1984. Voir aussi : Les Hopis sur le sentier de la guerre, éd. du Rocher, coll. « Sagesse indienne », 1996 : « Avant le début des temps, à l'origine, il n'y avait que Taïowa, le Créateur. Il n'existait ni commencement, ni fin, ni temps, ni forme, ni vie… ». Également, Paul G. ZOLBROD, Le Livre des Indiens Navajos. Diné Bahané. Première traduction du discours des origines ou l'histoire vraie du peuple Navajo, éd. du Rocher, coll. « Nuage rouge », 1995 [1e éd. 1992].

[13] Gilbert DURAND, Les Structures anthropologiques de l'imaginaire, Introduction à l'archétypologie générale, Dunod, 1992 [1e éd. Bordas, 1965], p. 176-177.

[14] Jack GOODY, Entre l'oralité et l'écriture, PUF, coll. « Ethnologies », 1994 : « Nous avons noté […] qu'on trouvait des formes institutionnelles intéressantes de ces différents modes d'acquisition de savoir chez les Ojibway d'Amérique du Nord, où deux sortes de chamanisme apparaissent, les chamans étant les transmetteurs reconnus du savoir spécial » p. 164. De même, sur le pouvoir et le savoir des chamans, ROZIN Philippe : « Écrire et lire chez Indiens d'Amérique du Nord : sur les relations existant entre les différentes phases du rêve visionnaire et le concept de devenir » in Idées, revue philosophique, n° 6, oct. 2000, p. 54.

[15] Légende esquimau d'Amérique du Nord, que l'on retrouve également chez les Amérindiens en Amazonie d'Amérique du Sud, dans « La fille du Grand Serpent et la Nuit » : « […] Et c'est pourquoi, la Fille du Grand Serpent, des Eaux et de la Nuit se maria avec un jeune-homme de la Terre… » in Béatrice TANAKA (traductrice), Légende cosmogonique des Indiens Tupis, éd. La Farandole, 1987.

[16] Gilbert DURAND, Les Structures anthropologiques de l'imaginaire, op. cit.

[17] Évangile selon saint Jean, I, 1-18. Rappelons que le Coran commence par la même phrase. Dans la tradition de l'Islam, c'est Allah qui dicte les sourates du Coran à Mahomet.

[18] Genèse XI, 1-9. Tour que les descendants de Noé tentèrent d'élever pour escalader le ciel, selon le modèle des ziggourat d'Our de Babylone, dédiés au dieu Mardouk, au XVIIIe siècle avant notre ère, en Mésopotamie. D'après la Bible, symbole de l'orgueil de l'homme, et explication populaire de la diversité des langues.

[19] Jean-Jacques GLASSNER, Écrire à Sumer. L'invention du cunéiforme, Seuil, 2002. Mais aussi les ouvrages de Jean BOTTÉRO, dont « Les noms de Marduk, l'écriture et la “logique” en Mésopotamie ancienne », in « Ancien Near Eastern Studies in Memory of Jacob J. Finkelstein  », Connecticut Academy of Arts and Sciences, éd. Meloir, 1977.

[20] Walter BENJAMIN, « Sur le langage en général et sur le langage humain », in Mythe et violence, Denoël, 1971, p. 79-98. Voir aussi Jean CAUNE, Acteur-spectateur, une relation dans le blanc de mots, préface de Régis Debray, Nizet, 1996, p. 24-25.

[21] Spiros THEODOROU, La Parole, Communication au Colloque Paroles en Méditerranée, Centre des Ressources de l'Oralité de Toulouse, les 27 et 28 avril 2001. Sur ce sujet, il se réfère aux travaux de Marcel Détienne (Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque), de Jean-Pierre Vernant, pour la Grèce, op. cit, et de Jean BOTTÉRO (pour la Mésopotamie), Babylone et la Bible. Entretiens avec Hélène Monsacré, éd. Les Belles Lettres, 1994.

[22] La Sainte Bible, trad. sous la dir. de l'École biblique de Jérusalem, Desclée de Brouwer, 1968. L'Ancien Testament : Le Pentateuque. La Genèse chap. 2 et 3, p. 17-18.

[23] Georges GUSDORF, La Parole, op. cit., p. 39

[24] Orphée, fils du roi de Thrace, Œagre, et de la muse Calliope. Il est considéré comme le plus grand musicien de l'Antiquité : « Lorsqu'il chantait ou jouait, son pouvoir ne connaissait pas de limite et rien, ni personne, ne pouvait lui résister », in Edith HAMILTON, La Mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes, éd. Gérard et Co, 1962, p. 120.

[25] Jack GOODY, Entre l'oralité et l'écriture, op. cit.  : Le poète Aristophane, dans sa pièce, Les Grenouilles, parle de Homère, et autres, comme poètes utiles qui savent transmettre des savoirs.

[26] Orphée et Euridyce fut mis en musique et en paroles par de nombreux musiciens : Gluck, Monteverdi… Également en film par Jean Cocteau : Orphée, avec Maria Casarès et Jean Marais, 1950, texte intégral, éd. Librio, 1995.

[27] Virgile et Ovide, poètes romains, inspirés par Apollonios, poète grec du IIIe siècle, in La Mythologie, ses dieux, ses héros ses légendes, op. cit., p. 119.

[28] Les Mille et une nuits, contes traduits par MARDRUS Dr Joseph–Charles, Robert Laffont, 1999, coll. « Bouquins », préface de Marc Fumaroli : 2 t. [1e éd. 1980]. Alf Lailah Oua Lailah est un recueil de contes arabes, selon deux documents, l'un du IXe siècle, l'autre du Xe siècle. Voir aussi Marc-Alain OUAKIN, dans Bibliothérapie. Lire, c'est guérir, « La voix et les paroles de Schahrazade », Seuil, 1994.

[29] Georges GUSDORF, La Parole, op. cit., p. 62.

[30] Georges GUSDORF, La Parole, op. cit. Et encore, « Le langage et la langue sont des données abstraites, des conditions de possibilité de la parole qui les incarne en les assumant pour les faire passer à l'acte. Seuls existent des hommes parlants, c'est-à-dire capables de langage, et qui se situent dans l'horizon d'une langue », p. 38.

[31] Dictionnaire de la langue française, Le Robert, éd. 1994, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey.

[32] Paul RICŒUR, L'Idéologie de l'utopie, Seuil, 1997.

[33] Ferdinand DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale, édité par Simon Bouquet et Rudolf Engler, Gallimard, 2002. Mise en forme par l'éditeur Simon Bouquet à partir des notes retrouvées du chercheur.

[34] Simon BOUQUET, Introduction à la lecture de Saussure, Payot, 1997. Voir aussi Roger-Pol DROIT, « L'Angoisse du chercheur face au vide », in Le Monde, 8 février 2002.

[35] Michel ARRIVÉ, in Le Monde, 8 février 2002, « Que change cette édition ? », au sujet des Écrits de linguistique générale de Saussure, publiés à partir des notes de Saussure par Simon Bouquet et Rudolf Engler.

[36] Roland BARTHES, Leçon, in Roland Barthes. Œuvres complètes, tome III, 1974-1980, Seuil, 1995 [1e éd. Seuil, 1978], p. 408.

[37] Georges GUSDORF, La Parole, op. cit. « La Parole comme rencontre », p. 49-59. Souligné dans le texte par l'auteur.

[38] Émile BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale, tome 1, Gallimard, 1991, p. 259-261.

[39] Georges GUSDORF, La Parole, op. cit., p. 73-74.

[40] Virginia WOOLF, Une chambre à soi, Denoël, 1927, p. 103.

[41] François LAPLANTINE, Clefs pour l'anthropologie, Paris, Seghers, 1987, rééd. Petite Bibliothèque Payot, 1995 : L'Anthropologie, « L'étude de l'homme dans sa diversité », p. 23.

[42] Ce commentaire d'un poème de Sappho est celui du Pseudo-Longin, dans son Traité du sublime. Cité dans SAPPHO, Poèmes et fragments, édition bilingue, texte établi et traduit par Philippe Brunet. Paris, L'Âge d'homme, 1991 : « Dix témoignages sur l'œuvre de Sappho » (p. 148).

[43] Georges GUSDORF, La Parole, op. cit., p. 88.

[44] Roland BARTHES, Le Plaisir du texte, Paris, Points-Seuil, 1982, « La critique et le lecteur », p. 27.

[45] Roland BARTHES, Le Grain de la voix. Entretiens 1962-1980, Paris, Points-Seuil, 1981, p. 258.

[46] PLATON, Gorgias. Présentation et traduction par Monique Canto-Spenber, Garnier-Flammarion, 1993. « Il faut savoir ce qui est juste ou injuste » (452a), p. 149

[47] Françoise WAQUET, Parler comme un livre. L'oralité et le savoir (XVIe-XXe s), op. cit., introduction, p. 16. Également, « Le dialogue de Socrate », in Décrire l'oralité, part. II, ch. 4 : « Un modèle simple et sublime ».

[48] Françoise WAQUET, « Le dialogue de Socrate », op. cit., part. II, ch. 4, p. 207.

[49] Roland BARTHES, Le Grain de la voix. Entretiens 1962-1980. op. cit. : « Pendant des siècles, la littérature a été à la fois une mathésis et une mimésis […]. Aujourd'hui, le texte est une sémiosis », quoiqu'elle ne puisse plus avoir la fonction complète d'une mathésis, c'est-à-dire « un champ complet du savoir, mettant en scène à travers des textes très divers tous les savoirs du monde à un moment donné, il serait très intéressant de faire émerger, par exemple, le savoir investi dans Balzac », p. 254-255.

[50] Élisabeth BING, Et je nageai jusqu'à la page. Vers un atelier d'écriture, Paris, éd. des Femmes, 2002 [1e éd. 1976].

[51] Gaston et Marie-Michèle PINEAU, Produire sa vie. Autoformation et autobiographie, coll. « Éducation Permanente », Paris, Edilig, Montréal, Saint-Martin, 1983. Également Pierre DOMINICÉ, L'Histoire de vie comme processus de formation, coll. « Défi-formation », L'Harmattan, 1990.

[52] Michel SÉONNET, Une part de la vérité du monde . Atelier d'écriture en Centre, avec huit femmes : « L'écrivain se soumet lui aussi à l'atelier, en est traversé. » Internet, avril 2003. Disponible sur le site animé par François Bon : http://www.remue.net/.

[53] Paul RICŒUR, Temps et récit 1. L'intrigue et le récit historique, Paris, Seuil, Points-Essais, 2001, p. 147 [1e éd. 1983].

[54] Jean FOUCAMBERT, L'Enfant, le maître et la lecture. « Du côté de la lecture », dir. de l'ouvrage, René LA BORDERIE, Paris, Nathan Pédagogie, coll. « Les repères pédagogiques » 1995. p. 26.

[55] Cécile FOURNIER, La Voix, un art et un métier, éd. CCL, coll. « Jardins d'Isère », 2e éd. revue et augmentée, 1989.

[56] Georges GUSDORF, La Parole, ch. « Homo loquens », p. 100-101.

[57] Ainsi « la langue des sourds ». L'interprète est le médiateur entre les sourds et les entendants. Il connaît les deux langues, la LDS et le français, que nous utilisions en cours de licence à l'Université de Rennes 2 (2000-2001).

[58] Edmond ORTIGUES, Le Discours et le symbole, Aubier, 1965, p. 75

[59] Edmond ORTIGUES, Le Discours et le symbole, op. cit. p. 77.

[60] Cahier d'Études et de Recherches francophones : Langues : J. Mariani, Laboratoire d'informatiques pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur, CNRS, Orsay-France. nov. 1997, n° 0.

[61] Marcel JOUSSE, L'Anthropologie du geste, Gallimard 1981. Mais aussi Le Style oral, rythmique et mnémotechnique, Le Centurion, 1981.

[62] C'est ainsi qu'il nous était demandé de nous adresser au groupe d'étudiants sourds de la licence de Sciences de l'éducation (Université de Rennes 2). Coordination de l'association pour les Sourds Accès. L'interprète de la langue des signes (LDS) se plaçait derrière le professeur, un peu en retrait, bien visible de tous les participants.

[63] Marcel MARCEAU, 1937. Mime français, dans la lignée de Charles Chaplin, Jean-Louis Barreau. A créé son école internationale de mime à Paris.

[64] Hélène SOREZ, Prendre la parole, Paris, Hatier, 1976. C'est l'auteur qui souligne.

[65] Hélène SOREZ, Prendre la parole, op. cit., p. 70-71.

[66] Guy CORNUT, La Voix, « Que sais-je ? » PUF, 3e éd, 1983, p. 52.

[67] François LE HUCHE, Les Apprentissages de la communication, parler, lire, écrire, éd. Ramsay, 1990.

[68] Guy CORNUT, La Voix, op. cit., p. 54.

[69] Cécile FOURNIER, La Voix, un art et un métier, op. cit., p. 25. Voir aussi Pierre Bourdieu pour le concept de l'habitus.

[70] Pierre BOURDIEU, Sur la télévision, suivi de L'Empire du journalisme, éd. Liber, 1996.

[71] Geneviève CALAME-GRIAULE, Ethnologie et langage, éd du CNRS, Gallimard, 1991.

[72] Geneviève CALAME-GRIAULE. Film réalisé au Niger en 1975 ; il s'agit d'un document de travail sur l'étude des gestes. In « Le renouveau du Conte », CNRS, 1991. De même, c'est dans un carré que se pratique la langue des signes chez les sourds (LDS), ce qui permet d'économiser l'effort pour celui qui fait les gestes comme pour celui qui les regarde ; c'est pourquoi l'interprète de la LDS se met à côté, et un peu en retrait du professeur qui parle la langue courante (ici, le français, licence Université Rennes 2).

[73] Groupe TARTIT, Spectacle de chants touaregs du Mali (Boucle du Niger), tournée internationale (fév. 2002, Bretagne/France). Disque Amazagh, Ensemble Tartit, Touaregs Kel Antessar. 3e Festival Voix de femmes. 2002. (Avec le soutien du Festival Voix des Femmes, Liège, et de IKÖNE, a.s.b.i., Bruxelles.) Les Touaregs sont des Berbères.

[74] Il faut entendre les sons pour les reproduire. D'où le grand problème des sourds. Voir : Gabriel ROUSTEAU, La Psychophonie : pédagogie et rééducation par le chant et la musique, thèse médicale, Nantes, 1982 et Jean-Claude LAFON, Les Enfants déficients auditifs, SIMEP, Villeurbanne-Paris, 1985.

[75] Marie-Louise AUCHER (1906-1994), fondatrice de la psychophonie, a donné des cours et des conférences dans des écoles à Paris dans les années 1973 sur l'harmonie par le chant (« la chanson du discours »). Nous avons fait profit de ses enseignements.

[76] Cécile FOURNIER, La Voix, un art et un métier, op. cit., p. 27

[77] Sarah Bernhardt (1844-1923), tragédienne française, fut « la voix d'or » de son siècle. Connue et admirée par J. Rostand, Cocteau, Colette, Lucien Guitry, elle joua Pelléas et Mélisande, Lorenzaccio, Athalie, La Dame aux Camélias, à la Comédie Française et fit des tournées à Londres, en Roumanie, Bolivie, Hongrie… Voir Philippe Jullian, Sarah Bernhardt, Balland, 1977. Elle avait une maison à Belle-Île-en-Mer où, assise dans le siège de pierre qu'elle s'était fait tailler face à la mer, elle travaillait sa voix (l'écho y renvoyant le son).

[78] Maria Callas change sa voix lorsqu'elle chante Madame Butterfly de Puccini. Elle la rend plus légère, aérienne : dans l'un des dialogues où la jeune fille ne comprend pas ce qui lui arrive, elle rend le dialogue expressif uniquement par un travail de voix (et non en appuyant le ton, les mots).

[79] Denise BRAHIMI, Taos Amrouche, romancière, éd. Losfeld,1996. Certains amis l'appelaient « petite reine karomama  », nom d'une reine égyptienne (sa statue est au musée du Louvre). Taos Amrouche a écrit Le Grain magique. Contes, poèmes et proverbes berbères de Kabylie, éd. La Découverte/Poche, 1996.

[80] Roland BARTHES, L'Obvie et l'obtus, Essais critiques III : « Écoute », p. 226, et « Le Grain de la voix », p. 239, in « 2. Le Corps de la musique ». Coll. « Tel Quel », Seuil, 1982.

[81] Charles BAUDELAIRE, 1857, « Correspondances », in Les Fleurs du mal. Baudelaire s'expliquera dans ses Notes nouvelles sur Edgar Poe .

[82] Gérard LESNE, haute-contre. Spécialisé dans le répertoire baroque (Vivaldi, Händel, etc.), il travaille sur des partitions anciennes à la bibliothèque de Venise, avec une musicologue du CNRS. Les voix de haute-contre (Alfred Deller, le premier, Guy de Mey, Gérard Lesne, René Jacobs) atteignent un tel degré de sensualité et d'émotion que nous participons pleinement à la douleur ou à la joie de leur chant. Ainsi, dans le Salve Regina de Pergolèse, la voix exprime la souffrance quasi indicible de Marie devant son fils sur la Croix.

[83] Elle peut être introvertie dans les lieder par exemple — et tout particulièrement dans les lieder de Schubert —, et extravertie dans les opéras.

[84] André TUBEUF : analyse du chant lyrique lors d'une émission à France Musique (27.01.96). Comme voix, citons, entre autres, une soprano comme Elisabeth Schwarzkopf (dans les lieder de Richard Strauss et de Franz Schubert), les mezzo-sopranos Kathleen Ferrier dans Mahler et Anne Sofie von Otter. Voir aussi André TUBEUF, Le Lied allemand, poètes et paysages, F. Bourin, 1992.

[85] Synonyme de psychopompe, de pompaios, qui conduit. Le rôle de conducteur des âmes était surtout celui d'Hermès, de Charon, d'Orphée.

[86] PLATON, Le Banquet, Notes et commentaires B. Piettre, éd. Nathan, coll. « Les intégrales de Philo », 1983 : dans le discours de Diotime rapporté par Socrate, la beauté est saisie comme « absolue, au-delà de l'espace, du temps, de toute situation relative » (210b-211c), p. 81.

[87] Roland BARTHES, Le Grain de la voix. Entretiens 1962-1980 : « La trappe de la scription », in « De la parole à l'écriture », p. 9.

[88] Jean CAUNE, Pour une éthique de la médiation. Le sens des pratiques culturelles, Grenoble, PUG, 1999, p. 19-21.

[89] Gaston MIALARET, Pédagogie générale, PUF, 1991. Voir aussi Les Sciences de l'éducation, PUF, « Que sais-je ? » in Introduction, et p. 5.

[90] Jean Caune, professeur à l'Université Stendhal de Grenoble, comédien, metteur en scène, a mis en place le Centre d'Action Culturelle de la Villeneuve de Grenoble (1971-75) et a dirigé la Maison de la Culture de Chambéry (1982-88).

[91] Grand Larousse Universel, t. 10, 1984-1990 : « Commission médiatrice dans un conflit de travail ».

[92] Trésor de la Langue Française, dictionnaire de la langue du XIXe et XXe siècles.

[92] Jean-Pierre VERNANT, L'Univers, les dieux, les hommes. Vernant raconte les mythes, Seuil, coll. « La Librairie du XXe siècle », 2000, p. 142.

[94] Gaston MIALARET, Les Sciences de l'éducation, op. cit., p. 3-4.

[95] PLATON, Gorgias, trad. Monique Canto, op. cit.

[96] PLATON, Le Banquet, préface de Jacqueline de Romilly, trad. Bernard et Renée Piettre, présentation et commentaire de B. Piettre, Paris, Nathan, coll. « Les Intégrales de Philo », 1983.

[97] Célestin FREINET, L'Éducation du travail, Neuchâtel, éd. Delachaux et Niestlé. 1967. Voir aussi Jean FOUCAMBERT, L'Enfant, le maître et la lecture. op. cit., p. 71. Les mouvements d'éducation nouvelle, Célestin Freinet et l'Institut coopératif de l'École Moderne-ICEM, ont mis en valeur textes libres, imprimerie, échanges interscolaires, gestion communautaire par la coopérative, étude du milieu local, journal mural d'information, bibliothèque de travail…

[98] Jean GAGNEPAIN, Du Vouloir dire. Traité d'épistémologie des Sciences humaines (vol. III, « Guérir l'homme, Former l'homme, Sauver l'homme »), éd. De Boeck, 1995.

[99] Jean-Jacques MORNE, « Autoformation critique et critique de l'autoformation : De la manifestation des "pédagogies de situation" », in Études dirigées et aides à l'autoformation, Actes de l'Université d'été de Rennes, oct. 1996, dir. Ch. LERAY et E. LAGADEC, Rennes, CRDP-CNDP, 1998 : « La formation en Dess Cogef est explicitement ordonnée à un parti pris pédagogique original : une pédagogie de situations, conçue pour susciter, exercer et promouvoir des démarches de conduite de projets dans le domaine de l'éducation et de la formation. La conduite de projets ne pouvant être réduite à l'application d'une "technologie" du projet, à la mise en œuvre de dispositions "psychologiques", ni à l'agencement "d'informations préexistantes", elle travaille des situations, les transforme. Elle implique des communautés hétérogènes de personnes, interpelle les institutions dans ce qu'elles ont d'établi, elle engendre de nouveaux savoirs d'expérience », p. 55.

[100] Jean-Jacques MORNE, op. cit.  : « Le métier de pédagogue existe, au moins en pratique », p. 51-52.

[101] Jean-Jacques MORNE, « Autoformation critique et critique de l'autoformation ». op. cit.

[102] Bernard ALIX, « De l'acte volontaire à l'action autonome », in Éducation permanente, n° 136, 1999, p. 191.

[103] Katherine WEILAND, Janine PUYGRENIER-RENAULT, avec la collaboration de Christian BARBE, Anne-Marie COLLIN, Danielle MOMMEJA., L'Enseignement du français au collège, coll. « Parcours didactiques », éd. Bertrand-Lacoste. Les auteurs prônent une approche « cloisonnée », c'est-à-dire des disciplines qui s'articulent entre elles, non séparées de l'enseignement du français, et non « décloisonnées », ch. 3, p. 23-24.

[104] Philippe MEIRIEU, « D'abord la littérature ! » Entretien avec Philippe Meirieu, directeur de l'IUFM de Lyon, Lire au lycée professionnel, n° 39, été 2002, p. 14-15.

[105] Jean CAUNE, Pour une éthique de la médiation, op. cit., p. 19-21.

[106] Jean CAUNE, Pour une éthique de la médiation, op. cit.  : « La pensée de la médiation », p. 170.

[107] Le premier musée pour enfants fut sans doute celui du Musée en Herbe, créé au jardin de Boulogne : l'été 1975, nous avions participé à l'ouverture de ce petit espace d'accès à la peinture et à la musique (auprès de celui des Guignols), avec Sylvie Laferrère, Claire Merleau-Monty, Annie Tardivel. Ensuite, cet espace de « musée ouvert » sera accueilli dans un autre lieu du Jardin d'acclimatation, en 1978, aux conditions plus propices aux expositions d'œuvres et à la concentration, et dans un deuxième lieu situé aux anciennes Halles de Paris.

[108] Ainsi, par exemple, à partir d'une œuvre donnée au TNB (Théâtre National de Bretagne), des documents pédagogiques sont remis aux enseignants, des interventions en classe et des visites au lieu de théâtre, des rencontres avec les artistes sont proposées par des médiateurs chargés des relations avec le public scolaire. En France, en Bretagne, de nombreux exemples pourraient être cités : en particulier les projets d'action culturelle envers les classes (Pack). En outre, des conventions existent : par exemple, l'instauration d'un Pôle régional de ressources « Théâtre, spectacle et arts de la piste » entre la Direction régionale des affaires culturelles de Bretagne et le Rectorat de l'Académie de Rennes, pour les années 2002-2003.

[109] Laurent FLEURY, Le TNP et le Centre Pompidou : deux institutions culturelles entre l'État et le public. Contribution à une sociologie des politiques de la culture en France après 1945, Thèse de doctorat de science politique, Université Paris IX, 1999.

[110] L'Heure Joyeuse. 1924-1994. 70 ans de jeunesse. Agence culturelle de Paris, Direction des affaires culturelles, Mairie de Paris, 1994 : Témoignages réunis par Viviane Ezratty, Françoise Lév&ecic;que et Françoise Tenier, éd. Bibliothèque de l'Heure joyeuse.

[111] Marie-Aude MURAIL, Continue la lecture, on n'aime pas la récré, Calmann-Lévy, 1993. « Notre boulot commun, c'est de donner envie de lire, sachant que c'est en lisant qu'on devient apte à lire et que c'est en lisant encore qu'on devient lecteur. »

[112] « Lectures faciles? », in « Passeurs de livres », La Revue des Livres pour enfants (revue consacrée à la littérature jeunesse), n° 170, juin 1996, p. 56.

[113] Roland BARTHES, Le Grain de la voix. Entretiens 1962-1980, op. cit.  : « Sur S/Z » et « L'Empire des signes », à propos de son analyse sur le récit Sarrasine de Balzac, p. 83.


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