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Henri Droguet : Avant-dernières nouvelles

Henri Droguet est né à Cherbourg en 1944. Il vit à Saint-Malo où il a enseigné les lettres de 1972 à 2004.

Il a publié des recueils de poèmes aux éditions Gallimard (Le Contre-dit, Le Passé décomposé, Noir sur blanc, La Main au feu, 48°39'N-2°014W (et autres lieux), Avis de passage, Off) et Champ-Vallon (Ventôses), un ouvrage en prose intitulé Albert & Cie, histoire, aux éditions Apogée, et, en collaboration avec des plasticiens (Thierry Le Saëc, Éric Brault, Dominique Penloup, Pierre Alechinsky), quelques ouvrages d'artiste.

Mis en ligne le 24 janvier 2010.

© : Henri Droguet

Voir, sur ce site, Pour tout vous dire (ou presque), et Comment j'ai écrit certains de mes poèmes (essai) par Henri Droguet.


Avant-dernières nouvelles

RE-JEU (pour en finir)

Dieu est / n'est pas:

     > la femme de ma vie ou mieux encore

        une vraie jeune fille

     > hebdomadaire

     > sucré-salé

     > chenu

     > métaphysiquement incorrect

     > équilatéral

     > rocheux (tout comme moi)

     > impotent

     > ni fait ni à faire

     > le gardien de mon frère

          (et le mien)

     > unijambiste

 

IL est / n'est pas DONC j'existe

 

(rayez les mentions inutiles

 rayez tout

 ne rayez rien

                        à votre guise)

 

6 avril 2009


ÉPIPHANIE

« Puisque l'hiver   – m'as-tu chanté –

  hérisse ce séjour

  qu'en tous bosquets

  choient tous arbres chancis… »

mais c'est faillie rengaine

leurre et piètre

baliverne ça   mensonger délice

     (ou l'inverse)

 

quiconque/ on/ quelqu'un/ nous/ tout un chacun

est aux prises en proie

au flux banalement définitif des jours

le chaotique écho l'éboulement

sonore et là-bas d'une queue d'orage

le tumulte éolien déferlant et respiratoire

du grand souffle hirsute et procréateur

 

les épars vents conjoignent

le substantiel massif et savoureux désordre

des égarants nimbus  des flots

furieusement bègues et des

embruns percolateurs

 

et sur un talus bas rencogné les hampes

dressées nues réelles de l'armérie

dite gazon d'Olympe ou jonc marin

bourgeonnements crêpelés verdoiements

du printemps les confuses merveilles

et le déchirant pour finir plaisir vague

 

« Mais toute joie   – chantes-tu –

y es-tu ? qui es-tu ? que fais-tu ?

toute joie veut l'éternité. »

 

8 mai 2009


JE JE JE

La femme de ma vie   celle

à qui j'écrivais : « Toi   ta parole

(dans tous les sens) révélée

du commencement de nos jours-ensemble

jusqu'à la fin  c'est-à-dire

révélée à moi dans notre temps

est ce qui me fonde en vérité

c'est-à-dire encore en mon ætre-Je

pas dans ma transitoire insaisissable essence

Toi et personne d'autre   mais cela

grâce à Dieu »   dort

sur ma droite et ses bruits divers

et physiologiques m'enchantent

et je porte la main (gauche) sur elle

au hasard et je tombe

n'importe où   c'est ainsi

que je dors… ou pas

 

22 mai 2009


EN CHAIR ET EN MOTS

c'est le déjuc et déjà

la forêt crépite il achâne

tout ce qui doit périr flambe

et tout ce qui vit

roidement suit sa voie

cette terre est à nous

 

les nuages déjà lèchent l'œil des anges

et le cul amidonné du ciel

à la froide entraille

germent noirs et violets

les gros légumes suceurs de temps

 

la nuit bientôt démaillera vos rêves

les os et les chemins vagues

les poings   tout

                    tout sera sous l'herbe

blanchi crispé débâti

 

5 juin 2009


FESTIVAL

La vie ça va sans trève

et sans fin ça dérêve et le vent

frisé vaque et s'

affaire à l'escampette

dans les bleutés lavis lavandiers

l'or ocreux des javelles

les glauques verdelets et pelus fourrages

et plus loin dans l'inachèvement

dans l'inou• qui dé-

nomme  

              la mer

plissée sauvage poissonnante

compilement de nacre ou d'émeraude

zinc bitumeux poisseux

qui bombarde

 

                         ici

un poulain brouteur de luzernes

bande mornement 

 

mince filet  ruisseau d'émail et d'or

trop tôt couramment perdu   la sagesse file

entropique aux gouffres

et murmure l'incertaine immortalité

de l'oblique dieu gyrovague

masturbateur à l'œil troqué

– un vol fuligineux d'oiseaux

croquetants carnivores froufroute

et l'environne –

                          il desserre son poing   rêve

au terminal retour à l'impollu

bric-à-brac et tohu-

bohu définitif d'avant que

             ça 

       commence

 

6 août 2009


AUTREMENT DIT

La câline l'imprévisible soie sauvage

âprement crue

turquoise et bleue  la mer

on s'y sera baigné

on s'y jette à pas d'heure

était-ce hier ou demain déjà ?

et le flux indéterminé

rigoureusement des nuages

s'y mire aux plis déplis

céruléens replis

 

l'air courait

le grand silence hanté dérobé

l'éternité momentanée fragile l'ombre douce

épaississaient les nuits

on avait joué parmi les pierres

les noirs lichens aux thalles

crustacés verruqueux   un roncier

où furtive et menue jubilante

cuicuitait la fauvette

les argiopes les orbitèles

tissaient ramaillaient leurs réseaux

l'impétueux fredon des orages

démantelait des confins

accablait l'enfant anonyme et taiseux

c'était dans des lieux-dits   La barricade

La queue du chat   L'absence

 

3 septembre 2009


RÉSUMÉ DU CHAPITRE PRÉCÉDENT

l'effréné débâtisseur souffle

sur les brandes et les

calunes mellifères   le gros

furibond ressac et l'ivre brou

              ha ha

ça se rincarne aux quatre coins

 

l'enfer et l'enfer des caresses

     éclope éclope éclope

 

dans le noir et la suie des siècles

des siècles les vieux pères

grattent à main poilue le ventre

au roc et la bête

au pied fourchu s'élance

et le méga paléo proboscidien

secoue ses laines ses puanteurs

c'est la nuit des tigres la nuit

le doux placard   la lune

est un copeau d'argent rose

                 il repleut

déjà sur les fillettes bleues

               les mésanges

 

assez ! assez les bataclans !

as-tu soif ? bois ton encre

as-tu faim ? bouffe ton ombre vaine

perds le nord! 

                          va !

                                 va !

 

11 octobre 2009


DOXOLOGIE

À pogne noire le vent noroît

déjante déchante et déjointe

le ciel encore clouté des lueurs

posthumes des astres morts

et le tourbillon l'alphabet

désordonné des neiges et

c'est le jour

 

un convoi tacatacant quitte

les steppes les stupeurs potagères des banlieues

des bourgs transis fangeux briquettes fontes

murailles d'ombre et de miel surfondu

un rat ripaille dans les orges

 

on dit qu'on entendra

un glas lacunaire discret et le contrepoint

disyllabique d'un coucou

dans un lieu perdu un débit de boissons solitaire

et glacé      Chez Abel & Ca•n

                Les frères de la côte

l'ivrogne local mâchonnera ses tirades :

« et du cruel destin déplorable victime

Qu'un dieu vengeur immole en son temple fumant… »

« Et cette vie, dis-moi, faut-il s'en faire un monde ? »

il ira compisser emphatiquement des orties

« Alleluia ! – dira-t-il – Alleluia ! c'est comme ça

 et pas autrement. »

 

15 novembre 2009


COQUECIGRUES GRIMACES CARESSES

Il repleut pleut re-

pleut ah les effaçures

aux soirs aux matins la lumière

ténuement qui s'opacifie

à l'entrelacs le guingois des ganivelles

aux jardins et taillis buées d'os

 

vitrifié presque le vague flot bave à

bave à l'estran

miroir fluide ambre clair

sa poisse argent vaporisé

puis s'éloigne et laisse

énormément

sa place au vide

 

au gouffre donc ils auront

chanté les compagnons

de doute et de déroute

        et le dernier

compte ses pas bout au vent

s'arrache le visage griffonne

il ne sait plus désormais

à qui parler   qui prendre aux mots

qui dit quoi

           il dit : « Sois ce

                       qu'incessamment tu deviens. »

 

12 décembre2009


POUR TOUT DIRE

Laconique opiniâtrement

noir un grain tombe aux docks

à chambres froides et fûts de béton silos

de congélation   ce qui pue

l'écaille et la tripe

 

désordonnée ressassante la mer

ébrèche édente et se délivre

la nuit s'écourte

et le vent de guingois dézingue

inévitable il désencombre

et désoude la métaphore

ainsi l'arpent mur anthracite à nuages

étoupes roussies dans l'est à l'estompe

après dissipation des brumes matinales

 

le ciel c'est du creux

et c'est bas ça se bouche

c'est ce laitage absolument

périphérique et bleu + ou -

plutôt –      C'est nul

le part   Ailleurs pour tout

Peut-être et  N'importe quoi  dire

désonge le rêveur qui ronge et jette

à l'enclos son pain gris fadement

puis se mouche et marche

dans les collines et les arbres ranimés refeuillus

stérile il s'introspecte  

rentend son cœur qui cogne

et cogne audible

il fait du sentiment

il tricote l'idylle et la faribole

il pousse ses romances

l'âme larmes de fond

et ses mots à l'aveugle trouvent

incontournablement ce qu'il cherche

 

mais que cherche-t-il ?

 

6 janvier 2010


Henri Droguet

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